Le vent du Nord
Le vent du Nord souffle en rafale
Sur les hameaux ;
Il bondit, se tord et dévale
Des hauts côteaux.
Il vous mord la face et vous jette
en impromptus,
Les tas de neige qu’il brouette,
Longs et pointus.
Il caracole, il paraît ivre,
De tant tourner,
D’enlacer l’arbre qui se livre,
Abandonné.
Il râle sa funèbre joie,
La fait hurler,
Affolant les êtres qu’il ploie,
Pour les violer.
Sur la plaine, il passe et varlope
Les blancs remous ;
Dans les vallons, il s’enveloppe
Jusqu’aux genoux.
Il clame aux heureux de la terre
Un chant fougueux,
Mais un long refrain de misère
Aux pauvres gueux.
Dans leur mansarde, il passe aux fentes
Ses doigts déments,
Avec des râles de Bacchantes
Dans les tourments.
Il est grand, rude, âpre et farouche,
Le vent du Nord ;
Il rampe, s’apaise, se couche,
Se dresse et mord.
Près des volets fermés, il rôde,
Chantant, criant,
Plus souple qu’une brise chaude
De l’Orient.
J’aime tes fougues, ta furie,
Ton pas d’infant,
Âpre mistral de ma patrie,
Rude géant.
Je voudrais, à travers l’espace,
Aller un peu,
Confondre avec ton cœur de glace
Mon cœur de feu.
Et je suivrais tes courses folles,
Tes sombres jeux,
Fuyant loin des ivresses molles,
Mains sur les yeux.
© Éva SENÉCAL
Extrait de La course dans l'aurore, 1929