Ce que m'a dit la minute
La minute m’a dit : « Presse-moi dans ta main ;
Tu ne sais aujourd’hui si tu seras demain ;
Ainsi prends tout le suc qui m’enfle comme une outre,
Ne tourne pas la tête et ne passe pas outre,
Vis-moi ! … dans un instant, je serai du passé !
Mais tu ne sais peut-être au juste ce que c’est
Qu’éteindre dans ses bras la minute qui passe,
Si tu comprends la splendeur grave de l’espace
Qui te laissait jadis indifférent et froid,
Si tu sais accepter la douleur sans effroi,
Si tu sais jouir d’un très subtil parfum de rose,
Si pour toi le couchant est une apothéose,
Si tu pleures d’amour, si tu sais voir le beau
Alors suis sans trembler la route du tombeau.
Tu vivras de chansons, de splendeurs, de murmures,
Le chemin n’est plus long si l’on cueille ses mûres,
Et je suis près de toi la mûre du chemin ! »
La minute m’a dit : « Presse-moi dans ta main. »
© Jean COCTEAU
Extrait du recueil La lampe d'Aladin, 1909