Le bar
C’est Monsieur Ying qui vend du thé
Dans sa boutique au bout du quai
Assis en robe couleur prune
À son comptoir en bois de lune,
C’est Monsieur Ying qui vend du thé,
Et du gen-seng et du saké.
Avec la tresse au dos qu’il a
Parfumée d’huile au camélia.
Or sous son front, ses yeux obliques
Et rangées comme un clavier blanc,
C’est Monsieur Ying à la pratique,
Qui sourit, les montrant ses dents,
Tandis que ses doigts, ongles longs,
Plongent dans des coffrets de laque,
Où sont peints en or des dragons
Que des serpents enroulés traquent,
Pour en tirer Péko, Souchong,
Hang-Kai ou bien encor Hysong,
Selon que c’est thé vert ou noir
Qu’il agrée au client d’avoir.
Mais dans un long kimono bleu
Est là Madame Yiang, sa femme,
Avec du khôl autour des yeux
Qui disent feu, qui jettent flammes,
Et c’est de soir, ceux des navires,
Qui viennent prendre place aux tables,
Boire saké s’ils le désirent
Ou bien s’il leur est agréable,
Aimer, venue la fin du jour :
Car lors dans la fraîcheur qui naît,
C’est Monsieur Ying qui vend du thé
Et Madame Yiang, elle, l’amour.
© Max ELSKAMP
Extrait du recueil Les délectations moroses, 1923