Vieillir
Mourir en rougissant
Suivant la guerre qu’il fait,
Du fait des Allemands
A cause des Anglais.
Mourir baiseur intègre
Entre les seins d’une grosse,
Contre les os d’une maigre,
Dans un cul-de-basse-fosse.
Mourir de frissonner,
Mourir de se dissoudre,
De se racrapoter,
Mourir de se découdre,
Ou terminer sa course
La nuit de ses cent ans,
Vieillard tonitruant
Soulevé par quelques femmes,
Cloué à la Grande Ourse,
Cracher sa dernière dent
En chantant « Amsterdam ».
Mourir cela n’est rien ;
Mourir la belle affaire.
Mais vieillir… ô vieillir !
Mourir, mourir de rire
C’est possiblement vrai,
D’ailleurs la preuve en est
Qu’ils n’osent plus trop rire.
Mourir de faire le pitre
Pour dérider l’ désert,
Mourir face au cancer
Par arrêt de l’arbitre.
Mourir sous le manteau,
Tellement anonyme,
Tellement incognito,
Que meurt un synonyme.
Ou terminer sa course
La nuit de ses cent ans,
Vieillard tonitruant
Soulevé par quelques femmes,
Cloué à la Grande Ourse,
Cracher sa dernière dent
En chantant « Amsterdam ».
Mourir cela n’est rien ;
Mourir la belle affaire.
Mais vieillir… ô vieillir !
Mourir couvert d’honneur
Et ruisselant d’argent,
Asphyxié sous les fleurs
Mourir en monument.
Mourir au bout d’une blonde,
Là où rien ne se passe,
Où le temps nous dépasse,
Où le lit tombe en tombe.
Mourir insignifiant
Au fond d’une tisane
Entre un médicament
Et un fruit qui se fane.
Ou terminer sa course
La nuit de ses mille ans
Vieillard tonitruant
Soulevé par quelques femmes
Cloué à la Grande Ourse,
Cracher sa dernière dent
En chantant « Amsterdam ».
Mourir cela n’est rien ;
Mourir la belle affaire.
Mais vieillir… ô vieillir !
© Jacques BREL