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Le Monde de Poetika
Site & Revue de poésie en ligne
N° ISSN : 2802-1797

Pendant que

Pendant que les bateaux
Font l’amour et la guerre
Avec l’eau qui les broie
Pendant que les ruisseaux
Dans le secret des bois
Deviennent des rivières
Moi, moi, je t’aime
Moi, moi, je t’aime
Pendant que le soleil
Plus haut que les nuages
Fait ses nuits et ses jours
Pendant que ses pareils
Continuent des voyages
Chargés d’autant d’amours
Moi, moi, je t’aime
Moi, moi, je t’aime
Pendant que les grands vents
Imaginent des ailes
Aux coins secrets de l’air
Pendant qu’un soleil blanc
Au sable des déserts
Dessine des margelles
Moi, moi, je t’aime
Moi, moi, je t’aime
Pendant que les châteaux
En toutes nos Espagnes
Se font et ne sont plus
Pendant que des chevaux
Aux cavaliers perdus
Traversent des montagnes
Moi, moi, je t’aime
Moi, moi, je t’aime
Pendant qu’un peu de temps
Habite un peu d’espace
En forme de deux coeurs
Pendant que sous l’étang
La mémoire des fleurs
Dort sous son toit de glace

Moi, moi, je t’aime
Moi, moi, je t’aime

Gilles Vigneault
Né le 27 octobre 1928 à Natashquan au Québec, Gilles Vigneault est un poète, auteur de contes et de chansons, auteur-compositeur-interprète québécois. Ardent défenseur de la langue française, c'est un auteur prolifique (plus de 400 poèmes) dont les chansons représentent quelque quarante albums édités. Ses écrits parlent abondamment des gens et de Natashquan, qui a eu, en 1996, la particularité d''être inaccessible par la route, dépendant ainsi des transports maritimes.
Site officiel :
http://gillesvigneault.com/
→ Sa biographie sur Wikipédia

Femme ? De...

Je suis femme de
Ma vie
De mon sang
De mes rêves et cauchemars
De mes peurs et angoisses
De mes réussites et échecs

Je suis fille
De joies
De rires
D’éclats de larmes
De silences plats
De silences bruyants
De mes jouets
De mes jeux
De mes cheveux
De mes billes
De ma corde
De mes sauts
De mes tours

Je suis maitresse
De ma vie, de mon destin
De ma plume, de mon chagrin
De Mes pas
De mon corps
De mes désirs
De mes ardeurs
De mes sensibilités
De mon intuition

Je suis libre esclave
De voler en plein ciel
De ramper en pleine pluie
De trébucher dans la boue
De me redresser et sauter du trou
De céder aux tentations
De vomir mes peines
De me remplir de haine
De me répandre d’amour
De me tromper de chemin
De marcher, marcher jusqu’ au mur
D’y pousser une porte
Vers d’autres chemins
De tourner en rond
De perdre la tête
De retrouver le cœur
De reconquérir les émotions

Je suis muse
De ma poésie
De ma danse
De mes chants
De mes hurlements
De mes créations

Je suis femme
De ces femmes
Que je suis


Doha Zrhibi
Née en 1987 au Maroc. Partager un rythme, une réflexion, une contemplation dans un flux d'écriture-lecture le moins discontinu possible est un plaisir de tous les jours.
Son blog :
https://briseslettrees.net/

La romance du vin

Tout se mêle en un vif éclat de gaîté verte.

Ô le beau soir de mai ! Tous les oiseaux en chœur,

Ainsi que les espoirs naguères à mon cœur,

Modulent leur prélude à ma croisée ouverte.

Ô le beau soir de mai ! le joyeux soir de mai !

Un orgue au loin éclate en froides mélopées ;

Et les rayons, ainsi que de pourpres épées,

Percent le cœur du jour qui se meurt parfumé.

Je suis gai ! je suis gai ! Dans le cristal qui chante,

Verse, verse le vin ! verse encore et toujours,

Que je puisse oublier la tristesse des jours,

Dans le dédain que j’ai de la foule méchante !

Je suis gai ! je suis gai ! Vive le vin et l’Art !...

J’ai le rêve de faire aussi des vers célèbres,

Des vers qui gémiront les musiques funèbres

Des vents d’automne au loin passant dans le brouillard.

C’est le règne du rire amer et de la rage

De se savoir poète et l’objet du mépris,

De se savoir un cœur et de n’être compris

Que par le clair de lune et les grands soirs d’orage !

Femmes ! je bois à vous qui riez du chemin

Où l’Idéal m’appelle en ouvrant ses bras roses ;

Je bois à vous surtout, hommes aux fronts moroses

Qui dédaignez ma vie et repoussez ma main !

Pendant que tout l’azur s’étoile dans la gloire,

Et qu’un hymne s’entonne au renouveau doré,

Sur le jour expirant je n’ai donc pas pleuré,

Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire !

Je suis gai ! je suis gai ! Vive le soir de mai !

Je suis follement gai, sans être pourtant ivre !...

Serait-ce que je suis enfin heureux de vivre ;

Enfin mon cœur est-il guéri d’avoir aimé ?

Les cloches ont chanté ; le vent du soir odore...

Et pendant que le vin ruisselle à joyeux flots,

Je suis si gai, si gai, dans mon rire sonore,

Oh ! si gai, que j’ai peur d’éclater en sanglots !

Emile Nelligan (1879-1941)
Émile Nelligan est considéré comme l’un des plus grands poètes québécois. Poète au destin tragique et fulgurant, il puise chez les parnassiens leur forme et chez les symbolistes leur musicalité et leur imagerie évocatrice. La fragilité des plaisirs se lie à une mélancolie tourmentée et à une sensibilité extrême au monde. La recherche de l’idéal perdu des romantiques est présente, mais dépassée par son tissage de son et d’image.
Souffrant de schizophrénie, Nelligan est interné dans un asile psychiatrique peu avant l'âge de vingt ans et y reste jusqu'à sa mort.
Article source :
lesvoixdelapoesie.com  
→ Sa biographie sur Wikipédia

Jardin d'hiver

Jardin d’hiver,
tes fleurs enserrent
mes pensées,
cieux d’un été
où l’amour endormait
mes pas distraits
sous la rotonde
d’un autre monde.

Ton sourire tendre 
m’invitait à me rendre
à tes parcelles de jour
qu’accrochaient tes atours.

Le temps et le silence
ont–ils eu raison de la romance ? 

Le coeur d’une orchidée
parfume de ses pensées
l’effective possibilité
d’un amour entêté.

Au printemps seulement 
la réponse à nos tourments ?

Jardin d’hiver,  
tes fleurs enserrent
la langueur monotone
d’un long automne.

Les pétales d'un coeur
s’étiolent d'un bonheur
qu'un soleil d'Or
avait rendu fort.

Étoiles parsemées,
instants de volupté,
deux amants piégés
par le temps figé
attendent, fatigués et las,
le retour d’éclats
de leurs fleurs aérées
et non enfermées,
loin de ce jardin d’hiver
si faussement vert.

À force d'hiberner
et de non–donnés,
leurs coeurs déconnectés
ont voulu oublié cette vérité
qu'ils s'aiment sous le soleil
d’un amour vermeil.

Jardin d’hiver,
tes fleurs enserrent
mes pensées,
cieux d'un été.

 

Sandra Dulier
Née en 1974, Sandra Dulier est une poétesse francophone belge. Elle a choisi de s'exprimer essentiellement en poésie libre, décloisonnée, usant de néologismes parfois déroutants, mais pleinement assumés. Elle propose également un volume important de citations qu'elle diffuse sur les réseaux sociaux.
Son blog :
https://www.sandradulier.com/

Poltron

C’est pas tant la peur du tonnerre
Avec son grand zigzag,
C’est pas tant la peur des années
Avec leur grand zodiaque,
C’est pas tant la peur de l’enfer
Avec son grand tic-tac,
C’est pas tant la peur de l’hiver
Avec son grand colback,
C’est pas tant la peur tracassière
Avec son grand bivouac,
C’est pas tant la peur de la guerre
Avec son grand micmac,
C’est pas tant la peur de l’amour
Avec ses grands cornacs,
C’est pas tant la peur du suaire
Avec son grand cloaque :
C’est surtout la peur ordinaire,
C’est surtout la peur de la peur
Avec son bric-à-brac.

 

Norge (1898-1990)
Pseudonyme de Georges Mogin, poète belge francophone. Il publie son premier recueil à 25 ans puis fonde, avec Raymond Rouleau, le Théâtre du Groupe libre, un groupe avant-gardiste et éphémère qui mettra en scène Cocteau, Karel Capek, Max Deauville et Tam-Tam. Il fondra également le Journal des Poètes. Il s'installe en Provence en 1954 où il devient antiquaire. C'est alors pour lui une période de création intense. Son oeuvre est couronnée de plusieurs prix de poésie prestigieux.
→ Sa biographie sur Wikipédia

Le bonheur et l'amour

Allongé sous le pin parasol 
Les yeux fermés, il rêve. 
Un parfum de vanille 
Embaumant l'air soudain 
Le sort de sa rêverie, 
Mais il ne bouge pas, 
Il sait que c'est elle, 
Il l'attend le cœur battant...

Il sent sa main caressant ses cheveux, 
Descendant doucement sur sa nuque, 
Dessinant le contour de son épaule. 
Derrière ses paupières closes 
Il s'enivre de son odeur, 
Suit troublé et ravi 
Le chemin de ses doigts douceur 
Qui, mutins, s'aventurent 
Dans l'échancrure de la chemise, 
Il sent la délicieuse brûlure 
De sa douce main sur sa peau. 
Elle pose un tendre bisou 
Délicatement sur sa joue, 
Continue le voyage 
Jusqu'à se perdre dans son cou, 
Murmurant des mots d'amour 
Pour le charmer plus encore... 
L'instant est si doux, 
Si troublant... il sourit. 
Elle capture ce sourire 
Dans un baiser volé, 
Pose amoureusement 
Sa tête sur son torse... 
Ses bras se referment sur elle, 
Et tous deux restent là, 
Silencieux, dans ce matin d'été, 
Savourant simplement le bonheur 
D'être l'un près de l'autre !

 

Véronique Audelon
Après une enfance passée à Forcalquier dans les Alpes de Haute-Provence et un bref arrêt à Marseille, Véronique Audelon s'est installée à Salon de Provence.
Elle dessine et écrit des poèmes depuis l'adolescence. Son univers d'auteure balance entre poésies, nouvelles et romans. Son premier roman, "Emmurée", est paru en février 2011. Puis "Le Cahier" publié en décembre 2014. Trois recueils sont actuellement en instance de publication.
Elle partage son temps entre son activité de maquettiste PAO free lance et sa passion pour l'écriture. 
Son nouveau site :
https://poesime.wixsite.com/un-univers-de-mots

Après l'amour

Nous nous sommes aimés, nos joies se sont offertes
Et nos coeurs ont battu poussés par cet instinct
Qui unit les amants en se fichant du reste
Tu glisses tes doigts par ma chemise entrouverte
Et pose sur ma peau la paume de ta main
Et les yeux mi-clos
Nous restons sans dire un mot
Sans faire un geste.

Après l’amour
Quand nos corps se détendent
Après l’amour
Quand nos souffles sont courts
Nous restons étendus
Toi et moi, presque nus
Heureux sans rien dire
Eclairés d’un même sourire
Après l’amour
Nous ne formons qu’un être
Après l’amour
Quand nos membres sont lourds
Au sein des draps froissés
Nous restons enlacés
Après l’amour
Au creux du jour
Pour rêver…

Charles Aznavour
→ Sa biographie sur Wikipédia

Tes mots doux

Comme brise légère
s'envolent tes mots
lourds de tendresse
que ta bouche amoureuse
m'adresse
ils s'accrochent aux branches du cœur
frémissent dans son feuillage
l'embaument de leur fine odeur
ils colorent mon ciel
de leurs teintes pastel
ils chantent à mon oreille
de joyeuses ritournelles
qui jamais ne me lassent
mots affectueux qui m'enlacent
mots doux
qui sur mes berges s'échouent
mots calmes
qui s'amarrent à ma jetée
mots fougueux
prononcés dans les élans amoureux
mots veloutés
qui s'endorment sur l'oreiller
mots d'amour
qui éclairent mes nuits
qui enchantent mes jours

 

Yves Brillon
Yves Brillon est né à Montréal. Après son bachot, il part à Lausanne pour ses études.
À son retour il fait son doctorat en criminologie à l'Université de Montréal. Il séjourne en Afrique de 1972 à 1975 où il fait des recherches sur la justice traditionnelle. 
Article source : http://lapoesiequejaime.net/brillon.htm

Il n'y a pas d'âge pour notre Amour

J'aime les rides sinueuses de ton tendre visage,
Elles me racontent l'aventure de notre vie.
J'aime caresser ta peau usée et sauvage,
Elle me fait voyager dans des émois infinis.

J'aime le bleuté de tes yeux devenus sages,
Ils m'assurent que ma beauté n'a pas d'âge.

J'aime tes lèvres que les ans ont irisées,
Elles m'embrassent toujours avec chaleur.
J'aime ton rire mature et tremblé,
Il apaise et estompe mes peurs.

J'aime la pudeur de nos corps enlacés,
Ils prennent, à présent, le temps de se désirer.

J'aime tes mains douces et rugueuses,
Elles câlinent sans grief mes contours alourdis.
J'aime nos passions maladroites et amoureuses,
Elles comprennent que nous avons vieilli.

J'aime cet homme et cette femme que l'on dit vieux,
Ne riment plus avec jeunesse mais avec heureux.

Je t'aime mon Ami, mon Amant, mon Amour,
Je t'aime, parce qu'il n'y a pas d'âge pour l'Amour.

© Image : Irina Nedyalkova

Margaret Bourot
Amateur de poésies et d'écriture Margaret Bourot fait découvrir, par une association, la beauté et l'émotion des "mots", en particulier lors du "Printemps des poètes" et toute l'année en milieu scolaire.

Article source : lemagfemmes.com

Un moment

Un moment suffira pour payer une année ;
Le regret plus longtemps ne peut nourrir mon sort.
Quoi ! L’amour n’a-t-il pas une heure fortunée
Pour celle dont, peut-être, il avance la mort ?

Une heure, une heure, amour ! Une heure sans alarmes,
Avec lui, loin du monde ! Après ce long tourment,
Laisse encor se mêler nos regards et nos larmes ;
Et si c’est trop d’une heure… un moment ! Un moment !

Vois-tu ces fleurs, amour ? C’est lui qui les envoie,
Brûlantes de son souffle, humides de ses pleurs ;
Sèche-les sur mon sein par un rayon de joie,
Et que je vive assez pour lui rendre ses fleurs !

Une heure, une heure, amour ! Une heure sans alarmes,
Avec lui, loin du monde ! Après ce long tourment,
Laisse encor se mêler nos regards et nos larmes ;
Et si c’est trop d’une heure… un moment ! Un moment !

Rends-moi le son chéri de cette voix fidèle :
Il m’aime, il souffre, il meurt, et tu peux le guérir !
Que je sente sa main, que je dise :  » C’est elle !  »
Qu’il me dise :  » Je meurs !  » alors, fais-moi mourir.

Une heure, une heure, amour ! Une heure sans alarmes,
Avec lui, loin du monde ! Après ce long tourment,
Laisse encor se mêler nos regards et nos larmes ;
Et si c’est trop d’une heure… un moment ! Un moment !

 

Marceline Desbordes-Valmore
Sa page sur le site :
un-poete-une-vie-marceline-desbordes-valmore.html
→ Sa biographie sur Wikipédia

Sonnet 89

A ma mort tu mettras tes deux mains sur mes yeux,
Et que le blé des mains aimées, que leur lumière
Encore un coup sur moi étendent leur fraîcheur,
Pour sentir la douceur qui changea mon destin.

A t’attendre endormi, moi je veux que tu vives,
Et que ton oreille entende toujours le vent;
Que tu sentes le parfum aimé de la mer,
Et marches toujours sur le sable où nous marchâmes.

Ce que j’aime, je veux qu’il continue à vivre,
Toi que j’aimais, que je chantais par dessus tout,
Pour cela, ma fleurie, continue à fleurir,

Pour atteindre ce que mon amour t’ordonna,
Pour que sur tes cheveux se promène mon ombre,
Et pour que soit connue la raison de mon chant.

 

Pablo Neruda (1904-1973)
Extrait de La Centaine d'amour.
Poète, écrivain, diplomate, homme politique et penseur chilien, il est considéré comme l'un des quatre grands de la poésie chilienne.
Sa biographie sur Wikipédia

Les passantes

Je veux dédier ce poème
A toutes les femmes qu’on aime
Pendant quelques instants secrets
A celles qu’on connaît à peine
Qu’un destin différent entraîne
Et qu’on ne retrouve jamais

A celle qu’on voit apparaître
Une seconde à sa fenêtre
Et qui, preste, s’évanouit
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu’on en demeure épanoui

A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font paraître court le chemin
Qu’on est seul, peut-être, à comprendre
Et qu’on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré sa main

A la fine et souple valseuse
Qui vous sembla triste et nerveuse
Par une nuit de carnaval
Qui voulut rester inconnue
Et qui n’est jamais revenue
Tournoyer dans un autre bal

A celles qui sont déjà prises
Et qui, vivant des heures grises
Près d’un être trop différent
Vous ont, inutile folie,
Laissé voir la mélancolie
D’un avenir désespérant

A ces timides amoureuses
Qui restèrent silencieuses
Et portent encor votre deuil
A celles qui s’en sont allées
Loin de vous, tristes esseulées
Victimes d’un stupide orgueil.

Chères images aperçues
Espérances d’un jour déçues
Vous serez dans l’oubli demain
Pour peu que le bonheur survienne
Il est rare qu’on se souvienne
Des épisodes du chemin

Mais si l’on a manqué sa vie
On songe avec un peu d’envie
A tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu’on n’osa pas prendre
Aux coeurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu’on n’a jamais revus

Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l’on n’a pas su retenir

 

Antoine Pol (1888-1971)
Officier, dirigeant d'entreprise et poète français, Antoine Pol est l'auteur de ce poème mis en musique et interprété par Georges Brassens en 1972 (album Fernande).
→ Sa biographie sur Wikipédia

Mai 68

On ferme !
Cri du coeur des gardiens du musée homme usé
Cri du coeur à greffer
à rafistoler
Cri d'un coeur exténué
On ferme !
On ferme la Cinémathèque et la Sorbonne avec
On ferme !
On verrouille l'espoir
On cloître les idées
On ferme !
O.R.T.F. bouclée
Vérités séquestrées
Jeunesse bâillonnée
On ferme !
Et si la jeunesse ouvre la bouche
par la force des choses
par les forces de l'ordre
on la lui fait fermer
On ferme !
Mais la jeunesse à terre
matraquée piétinée 
gazée et aveuglée
se relève pour forcer les grandes portes ouvertes
les portes d'un passé mensonger
périmé
On ouvre !
On ouvre sur la vie
la solidarité
et sur la liberté de la lucidité.

 

Jacques Prévert
→ Sa biographie sur Wikipédia

Eloïse

Eloïse se regarde dans le miroir,

Où sont passées les boucles noires

Qui l’habillaient du matin au soir ?

Coupées, parties, arrachées, tombées,

Bien trop vite, elle est désespérée.

Que vont penser ses camarades

Demain dans la cours de l’école,

Indifférence générale ou secrète rigolade

Ces pensées trop sombres l’affolent.

Et Marta, sa meilleure amie

Elle, qui sait ce que sont les moqueries

Avec son accent venu d’ailleurs

Devant affronter sans cesse les esprits railleurs

Qui se moquent de sa prononciation

Certes différente, mais pleine d’imagination.

Ce matin, un nouveau jour vient déclore

C’est merveilleux, point de mort

Heureusement, cela signifie :

Qu’Eloïse est en vie

Et qu’elle pourra encore conjurer le sort.

Chemise, jeans, ceinturon et bandana sur la tête

Eloïse est fin prête.

Elle pénètre discrètement dans la cour

Et déjà entend les rumeurs de certains discours :

Drôle d’allure, pas habituelle

Coiffe étrange, peu conventionnelle.

Les autres s’écartent sur son passage

Auraient-ils des peurs d’enfants pas sages ?

Mais Eloïse est en vie

Alors elle leur sourit.

Son amie, Marta brave les railleries

S’approche d’Eloïse, prend sa main attendrie

Sous les regards de ces persécuteurs

Marta pense : de quoi ont-ils si peur ?

Ils sont déjà si contaminés

Par tant de préjugés.

 

Marie-France Ochsenbein
Née en 1971 en Seine-et-Marne, Marie-France Ochsenbein est membre de l'Etrave et de Poètes sans Frontières. Elle publie également dans plusieurs revues comme Le Cafard Hérétique, Le Capital des Mots, L'Ampoule, Traction-Brabant, Short Edition...

L'amant nippon

Un cerisier dans un jardin,

Lorsque le ciel se japonise,

Dresse sa torche de satin.

Là-haut, la neige s'éternise...

 

Lorsque le ciel se japonise,

Dans l'étincelle du matin,

Là-haut, la neige s'éternise

Au flancs d'un  volcan clandestin.

 

Dans l'étincelle du matin,

Retombe ma paume indécise.

Aux flancs d'un volcan clandestin,

J'estampe une douleur exquise...

 

Retombe ma paume indécise,

S'émerillonne mon chagrin.

J'estampe une douleur exquise,

Qui  creuse et mord comme un burin.

 

S'émerillonne mon chagrin...

Ma faim de toi toujours s'aiguise,

Qui creuse et mord comme un burin,

Brasier couvant sous la banquise.

 

Ma faim de toi toujours s'aiguise...

Je suis  un  amant incertain,

Brasier  couvant sous la banquise,

Un cerisier dans un jardin.

 

Yvonne Le Meur-Rollet
Yvonne Le Meur-Rollet est née en Bretagne où elle a passé son enfance et son adolescence. Elle est installée depuis 1960 sur la presqu’île de Saint-Jacut-de-la-Mer sur la Côte d’Émeraude. Auteure de nombreux recueils et récemment de nouvelles.

La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur

La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu,
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseau du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d'une couvée d'aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.

 

Paul Eluard (1895-1952)
→ Sa biographie sur Wikipédia

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Léa

Paris, ses cafés noirs qu'on boit en solitaire, 
La Tour Eiffel rouillée et les chalands qui traînent, 
Le métro tortillant comme un long ver de terre 
Vers la butte Montmartre, te diront que je t'aime. 

Comme le caillou rond lancé dans un étang 
Qui fronce tournoyant le miroir des fontaines, 
Comme cette hirondelle annonce le printemps 
Ce bonbon parfumé te dira que je t'aime. 

J'ai cueilli au printemps, une fleur qui respire 
Comme un chat ronronnant éperdument s'étire 
Tout près d'un feu de bois qui craque et qui rougeoie 
Dans un coin de garrigue, il y a toi, il y a moi.

 

Pierre Dard

Lolita

Perdue : Dolorès Haze. Signalement :
Bouche « éclatante », cheveux « noisette » ;
Age : cinq mille trois cents jours (presque quinze ans)
Profession : « néant » (ou bien « starlette »).

Où va-t-on te chercher, Dolorès quel tapis
Magique vers quel astre t’emporte ?
Et quelle marque a-t-elle – Antilope ? Okapi ? –
La voiture qui vibre à ta porte ?

Qui est ton nouveau dieu ! Ce chansonnier bâtard,
Pince-guitare au bar Rimatane ?
Ah, les beaux soirs d’antan quand nous restions si tard
Enlacés près du feu, ma Gitane ?

Ce maudit würlitzer, Lolita, me rend fou !
Avec qui danses-tu, ma caillette ?
Toi et lui en blue jeans et maillot plein de trous,
Et moi, seul dans mon coin, qui vous guette.

Mac Fatum, vieux babouin, est bienheureux, ma foi !
Avec sa femme enfant il voyage,
Et la farfouille au frais, dans les parcs où la loi
Protège tout animal sauvage.

Lolita ! Ses yeux gris demeuraient grands ouverts
Lorsque je baisais sa bouche close.
Dites, connaissez-vous le parfum « soleils verts » ?
Tiens, vous êtes français, je suppose ?

L’autre soir, un air froid d’opéra m’alita.
Son fêlé – bien fol est qui s’y fie !
Il neige. Le décor s’écroule, Lolita !
Lolita, qu’ai-je fait de ta vie ?

C’est fini, je me meurs, ma Lolita, ma Lo !
Oui je meurs de remords et de haine,
Mais ce gros poing velu je le lève à nouveau,
A tes pieds, de nouveau, je me traîne.

Hé, l’agent ! Les voilà – rasant cette lueur
De vitrine que l’orage écrase ;
Socquettes blanches : c’est elle ! Mon pauvre coeur !
C’est bien elle, c’est Dolorès Haze.

Sergent rendez-la moi, ma Lolita, ma Lo
Aux yeux si cruels, aux lèvres si douces.
Lolita : tout au plus quarante et un kilos,
Ma Lo : haute de soixantes pouces.

Ma voiture épuisée est en piteux état,
La dernière étape est la plus dure.
Dans l’herbe d’un fossé je mourrai, Lolita,
Et tout le reste est littérature.

 

Vladimir Nabokov (1899-1977)
Romancier, poète, traducteur et critique littéraire. Son roman Lolita paru en 1955 fait scandale aux Etats-Unis : il est refusé par les éditeurs américains et doit être publié à Paris, mais la critique y reconnaît un chef-d'œuvre.
→ Sa biographie sur Wikipédia

Menton croqué...

Une mer d’huile au lac d’argent

Apaise au souffle de ses vagues ;

Rieuses, des mouettes vaquent

À leurs rêves de goélands…


La  vieille ville ocre et safran,

Sur les arcades du Soleil,

Nous ment avec ses trompe-l’œil,

Ses jalousies et son printemps ;


Mais sa vérité est ailleurs ;

Nullement à ses frontispices,

Mais là où vont les marieurs,

Près de Cnossos et d’Eurydice.


Les amoureux se bécotant,

Vont lézarder à  son Musée ;

Au bastion, d’un air amusé,

Les a pendus notre ami Jean.


« Innamorati » indécents,

Après s’en être énamouré,

Au bastion, une fois croqués,

Un jour les pendit Cocteau Jean...

 

Etienne Busquets
Poète fénassol d'origine catalane (village de Lafenasse dans le Tarn), il est sociétaire des Amis de Jean Cocteau et membre des Poètes sans Frontières de Vital Heurtebize à Orange. Il a remporté plusieurs prix de poésie et collabore dans plusieurs revues et anthologies.
Son blog :
http://etienne.busquets.monsite-orange.fr/

La ville s'endormait

La ville s´endormait
Et j´en oublie le nom
Sur le fleuve en amont 
Un coin de ciel brûlait
La ville s´endormait
Et j´en oublie le nom
Et la nuit peu à peu
Et le temps arrêté

Et mon cheval boueux
Et mon corps fatigué
Et la nuit bleu à bleu
Et l´eau d´une fontaine
Et quelques cris de haine
Versés par quelques vieux
Sur de plus vieilles qu´eux
Dont le corps s’ensommeille

La ville s´endormait
Et j´en oublie le nom
Sur le fleuve en amont
Un coin de ciel brûlait

La ville s´endormait
Et j´en oublie le nom
Et mon cheval qui boit
Et moi qui le regarde
Et ma soif qui prend garde
Qu´elle ne se voit pas
Et la fontaine chante
Et la fatigue plante
Son couteau dans mes reins
Et je fais celui-là
Qui est son souverain
On m´attend quelque part
Comme on attend le roi
Mais on ne m´attend point
Je sais depuis déjà
Que l´on meurt de hasard 
En allongeant le pas

La ville s´endormait
Et j´en oublie le nom
Sur le fleuve en amont
Un coin de ciel brûlait
La ville s´endormait
Et j´en oublie le nom

Il est vrai que parfois près du soir
Les oiseaux ressemblent à des vagues
Et les vagues aux oiseaux 
Et les hommes aux rires
Et les rires aux sanglots
Il est vrai que souvent 
La mer se désenchante
Je veux dire en cela
Qu´elle chante
D´autres chants
Que ceux que la mer chante
Dans les livres d’enfant
Mais les femmes toujours
Ne ressemblent qu´aux femmes
Et d´entre elles les connes
Ne ressemblent qu´aux connes
Et je ne suis pas bien sûr
Comme chante un certain
Qu´elles soient l´avenir de l´homme

La ville s´endormait
Et j´en oublie le nom
Sur le fleuve en amont
Un coin de ciel brûlait 
La ville s´endormait
Et j´en oublie le nom
Et vous êtes passée
Demoiselle inconnue
A deux doigts d’être nue
Sous le lin qui dansait.

 

Jacques Brel (1929-1978)
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Un tour à vélo

Un vélo de pro
Très beau.
Le long du canal
Chemin vicinal,
Pédale.
Jolie fille tombée 
Sur le bas coté
Pleuré.
Longs cheveux bouclés,
De grands yeux nacrés,
Charmé. 
Jambes dénudées,
Deux genoux luxés 
Pitié.
De l’aide apportée, 
Genoux abîmés 
Massés.
Tout doux, frictionner, 
Un peu fantasmer, 
Rêver...
Tout petit merci, déjà repartie,
Dépit.
Très fort pédalé, pour la rattraper,
Foncé.
La côte à monter, très vite essoufflé, 
Vanné. 
Gros point de côté, maillot tout trempé,
Stoppé...
Repos allongé, le long du fossé
Crotté. 
Juste sommeillé, vélo envolé... 
Chercher.

Beau vélo volé, jamais retrouvé...
Jeune fille échappée, occasion loupée...
Pantalon crotté... Ce jour-là rentré,
À pied.

François Besnard
Un poète habitué de la Cave à Poèmes, située à Paris. Il a publié deux recueils.
D'autres textes de cet auteur :
La Cave à Poèmes

Complainte du marin trompé

Quand j’ai quitté Nantes,
Sur mon bâtiment,
J’avais une amante
Pleine d’agrément,
Une souris blanche,
Un bijou charmant.

C’est Marie Jannick
De Landivisiau,
Qui tue les moustiques
Avec son sabot,
Fait danser les filles,
Chanter les oiseaux.

Qui m’a pris ma belle
Au dernier retour.
Moi qui n’aimais qu’elle,
Faut changer d’amour,
Pour moudre à ma vielle,
Pour cuire à mon four.

Sur « Le Roi-d’Espagne »
Ou sur « La Licorne »,
Je ferai campagne,
Va, jusqu’au cap Horn.
En manoeuvre au large,
Ça vaut davantage
Que d’être en Bretagne
Une bête à cornes.

 

Maurice Fombeure (1906-1981)
Né dans la Vienne, professeur de lettres, il reste très attaché à sa région natale qui inspire sa poésie. Un musée lui est consacré à Bonneuil-Matours.
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U

Le vent a soufflu
La pluie a tombu
La neige a fondu
La grêle a grêlu
L’tonnerre a tonnu

L’éclair a brillu

et ça…

ça m’a plu !

 

Alain Boudet  (1950-)
Poète, écrivain pour la jeunesse, et professeur de lettres français. Il administre un site consacré à la poésie et à ses publics : "La Toile de l'Un".
Site : La Toile de l'Un
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Quand on aime

La plupart du temps quand on aime 
Et qu’on a vingt ans,
Ce n’est jamais pour de l’argent.
Les jeunes filles se disent en rêvant ;
Cela m’est égal s’il a de l’argent.
Ce que je veux, c’est qu’il soit beau et grand,
Avec une bouche, des yeux, des dents,
Et puis le reste, évidemment.
Mais la plupart du temps quand on aime
Et qu’on a vingt ans,
Ce n’est jamais pour de l’argent.

La plupart du temps quand on aime
Et qu’on a trente ans,
Ce n’est pas toujours pour de l’argent.
Mais on y pense, naturellement.
Aux diners dans les restaurants,
Avec Madame, avec ou sans.
Mais la plupart du temps quand on aime
Et qu’on a trente ans,
Ce n’est pas toujours pour de l’argent.

La plupart du temps quand on aime
Et qu’on a quarante cinq ans
Ce n’est pas forcément pour de l’argent.
Mais on se renseigne un peu avant.
Avez-vous un appartement ?
Avec des draps, des p’tits, des grands
Et puis de la vaisselle en argent
Avec ce qu’il faut pour mettre dedans,
Et votre vieil oncle, il va comment ?
Mais la plupart du temps quand on aime
Et qu’on a quarante cinq ans,
Ce n’est pas forcément pour de l’argent.

La plupart du temps quand on aime
Et qu’on a soixante dix ans,
Ce n’est jamais pour de l’argent.
Pourvu que de temps en temps
On ait son petit verre de vin blanc,
Oh ! mon Dieu, c’est bien suffisant.
Et puis, voyez-vous le plus marrant,
Quand on aime et qu’on a soixante dix ans,
C’est tout à fait comme à vingt ans ;
Ce n’est jamais pour bien longtemps.

 

Robert Lamoureux (1920-2011) 
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En revenant de Saint-Martin

En revenant de Saint-Martin, j’ai rencontré un p’tit lapin
dessus la neige et tout tremblant dans son joli sac de poils blancs.

Il avait l’air, sous les ételles, d’un pèlerin de Compostelle
et qui tremblait, tremblait, tremblait, comme à ton bras la boîte au lait.

J’l’ai mis tout froid dans mon paletot. Il m’a dit qu’il avait trop chaud.

J’l’ai mis tout chaud dans mon gilet. Il m’a dit : De l’air, s’il te plaît !

Alors j’l’ai mis dans ma culotte. Il a mangé ma p’tite carotte.

 

Paul Fort (1872-1960)
Poète et dramaturge français, il est l'auteur d'une oeuvre poétique abondante, réunie dans "Les Ballades françaises", mêlée de symbolisme, de simplicité et de lyrisme, utilisant le plus souvent le verset.
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Rien

Je ne sens rien
je ne dis rien
je ne sais rien
je ne fais rien
je ne veux rien

je n’ai rien

à part ça je me porte bien.

 

François Caradec (1924-2008)
Ecrivain français, biographe et auteur de pastiches, membre de l'Oulipo, il était l'un des spécialistes français de la bande dessinée et cultivait pastiches et mystifications de tout ordre. 
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Les baisers

Y a dans mon dictionnaire usé
La définition du baiser
Ceux qui ont écrit ça me font de la peine
Braves gens je vais vous dire la mienne
Car un baiser c’est du fuego
C’est pas de la bave d’escargot
Et les vieux schnoks de l’académie
Devaient encore être endormis

Y a le baiser le baiser fourbu et flapi
La langue qui traîne jusqu’à terre
Comme un spaghetti ramolli
Le baiser qui fait courir tout Paris
Le baiser saignant et garni
Avec un steack-frites une serviette
Et le service est compris
Y a aussi le baiser tirelire qui est certainement le plus rigolo
Accroupis la langue dehors les narines pincées et les miches dans l’eau

Y a le baiser russe inconnu chez les aristos
La langue repliée en faucille
Et l’autre tendu en marteau
Le baiser compétition argentin
En dansant roulez un patin
Les lèvres soudées le souffle court un chronomètre à la main

Et puis y a le baiser d’Zézette
Le plus salé le plus sucré c’est le plus chouette
On dirait un chausson aux pommes
Langue de velours palais d’amour on la surnomme
Je l’aime
Elle m’aime

Y a le baiser le baiser hurleur inédit
Allongés tout nus sous la pluie
Dans un champ d’orties à minuit
Y a aussi le baiser du ruminant
Le baiser du flic menaçant
La langue chargée jusqu’aux dents
D’un kilo de parmesan
Y a aussi le baiser tricot très difficile et très pervers
Avec les langues nouées papilles à l’endroit papilles à l’envers

Y a le marocain la langue roulée en pois chiche
Un chameau carré sous les miches
Et un p’tit nombril boute-en-train
Pis y a le baiser mystique hypocrite
Les lèvres mouillées d’eau bénite
Les deux langues en croix à genoux
Le seul qui n’ait pas de goût

Et puis y a le baiser d’Zézette
Le plus salé le plus sucré c’est le plus chouette
Pour l’apprécier il faut comprendre
Qu’il est sublime comme une truffe sous la cendre
Je l’aime
Elle m’aime

Y a le baiser le baiser indien que j’aime bien
On s’embrasse trois fois sur le cul
Et on dit coucou tu m’as eu
Y a le baiser japonais qui me plait
On avale un grand bol de lait
On s’embrasse trois fois sur les seins
Et puis on dit plus rien

Et puis y a le baiser d’Zézette
Le plus salé le plus sucré c’est le plus chouette
A côté de sa bouche en flamme
Le Stromboli n’est qu’un p’tit sorbet de réclame
Je l’aime
Elle m’aime

 

Pierre Perret (1934-)
Auteur-compositeur-interprète jouant sur les mots et la musicalité de la langue française, Pierre Perret ne dédaigne pas pour autant l’argot, qu'il emploie à dessein dans de nombreux textes (il a réécrit les fables de La Fontaine). L'interprète, dans un style apparemment naïf, voire enfantin, avec candeur et humanisme, pose nombre de questions pertinentes qu'il déclame avec un sourire malicieux.
Autres textes
La femme grillagée
Le cul de Lucette

Site officiel
pierreperret.fr
A lire également sur son site
Démenti à propos de la rumeur pour la censure de la chanson "La femme grillagée"

→ Sa biographie sur Wikipédia

Le chat blanc

Un petit chat blanc
qui faisait semblant
d’avoir mal aux dents
disait en miaulant :
« Souris mon amie
j’ai bien du souci.
Le docteur m’a dit :
– Tu seras guéri
si entre tes dents
tu mets un moment,
délicatement,
la queue d’une souris ».
Très obligeamment
souris bonne enfant
s’approcha du chat
qui se la mangea.

Moralité :
Les bons sentiments
ont l’inconvénient
d’amener souvent
de graves ennuis
aux petits enfants
comme-z-aux souris.

Claude Roy  (1915-1997)
Poète, journaliste et écrivain français, il écrit ses premiers poèmes lorsqu'il est fait prisonnier en juin 1940. Il s'engage alors dans la Résistance puis commence à publier des récits de voyages. Il ne cesse de publier des romans, des témoignages sur ses nombreux voyages, des descriptions critiques, des essais sur l'art et sur les artistes, dont beaucoup sont ses amis, des livres pour enfants et des poèmes, car la poésie est au cœur de toute son écriture. Elle en est le fil conducteur, et c'est à travers elle que la littérature prend toute sa place pour donner un sens à son existence inquiète et à des engagements souvent déçus.
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Les naufragés de l'Alzheimer

J'aime ces gens étranges 
Aux trous dans la mémoire 
Des trous remplis de plaies 
Présentes ou bien passées 
Vérités toutes crues 
Remontant en marée
Quand les masques ont fondu 
Que la farce est jouée

J'aime ces gens étranges
A la mémoire trouée
Qui échangent des bribes
De leurs vies effacées
Voyageurs sans papiers 
Sans qualification
Ils sont ce que nous sommes 
Et nous leur ressemblons

J'aime ces gens étranges 
Qui repèrent la fausseté
Des gestes et des paroles 
Réclament l'amour vrai 
Carburent à la tendresse 
Négligent tout le reste 
Ils sont vérité nue
Ils aiment ou ils détestent

J'aime ces gens étranges
Qui ont le mal d'enfance
Comme le mal du pays
Qu'ils chercheraient en silence 
Derrière l'apparence 
De leur mémoire perdue
Leurs corps parlent une langue
Que nous n'entendons plus

Photo : Julos BEAUCARNE

Julos Beaucarne (1936-2021)
Artiste belge accompli (conteur, poète, comédien, écrivain, chanteur, sculpteur), Julos Beaucarne a écrit plus de 500 chansons et enregistré 35 albums. Résolument engagé et humaniste, amateur d'aphorismes, de dialectes et d'accents locaux, ce natif de Bruxelles qui a passé son enfance en Wallonie est un personnage à part dans le monde de la chanson francophone. Théâtre, poésie, chanson : il a toujours mêlé les disciplines comme si elles ne devaient former qu'un tout, pour mieux enchanter le spectateur. Son sens de l'humour typiquement belge, plein d'autodérision, le rend particulièrement attachant.
→ Voir la liste de tous ses textes sur le site
→ Sa biographie sur Wikipédia

Cuisson du pain

Les servantes faisaient le pain pour les dimanches,

Avec le meilleur lait, avec le meilleur grain,

Le front courbé, le coude en pointe hors des manches,

La sueur les mouillant et coulant au pétrin.

 

Leurs mains, leurs doigts, leur corps entier fumait de hâte,

Leur gorge remuait dans les corsages pleins.

Leurs deux poings monstrueux pataugeaient dans la pâte

Et la moulaient en ronds comme la chair des seins.

 

Le bois brûlé se fendillait en braises rouges

Et deux par deux, du bout d’une planche, les gouges

Dans le ventre des fours engouffraient les pains mous.

 

Et les flammes, par les gueules s’ouvrant passage,

Comme une meute énorme et chaude de chiens roux,

Sautaient en rugissant leur mordre le visage.

 

Emile Verhaeren (1855-1916) 
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Il est des nuits où...

Il est des nuits où l'ange se meurt

D'attendre, il en oublie l'hérésie

Qui consiste à s'extirper sans heurt

De l'être qui lui sert d'alibi,

 

A monter son échelle sans bruit,

Pieds nus dans des sabots de voleur,

Etendre une aile de saboteur,

En tirer une plume bleu nuit

 

Puis, d'un geste précis et rageur,

Après l'avoir portée à sa bouche,

Griffonner dans le jour qui nous touche

Un calligramme étrange à nos heures.

© Illustration : Jean Cocteau, autoportrait - Pinterest

Etienne Busquets
Poète fénassol d'origine catalane (village de Lafenasse dans le Tarn), il est sociétaire des Amis de Jean Cocteau et membre des Poètes sans Frontières de Vital Heurtebize à Orange. Il a remporté plusieurs prix de poésie et collabore dans plusieurs revues et anthologies.
Son blog :
http://etienne.busquets.monsite-orange.fr/

La si-Reine et le si-Roi

C'était un jour décalé dans une autre saison
La cinquième inventée ou celle de la déraison
Ils avaient commencé à écrire dans la dérision
Pour marier leurs rires et leurs mots à l'unisson

Tout en haut d'un phare était née une si-Reine
Enfant chéri d'un crayon fou et de la mer sereine
Elle avait coulé de longs jours avec ses marraines
La baleine de la cinquième saison et la belle murène

Ils furent tant troublés quand elle rencontra le si-Roi
Au beau milieu d'un étang de mots écrits avec émois
Les pages de leur histoire d'antan tournaient sans loi
Cherchant dans leur folie autant de foi que de joie

La si-Reine et le si-Roi enfin réunis s'embrassèrent
Noyés dans un amour sans fin au milieu de la mer
La marée dissipait en vain ce fragile instant éphémère
Resté gravé aux confins de tous les océans de la Terre

Ils s'aimèrent face à la mer d'un simple et long bonheur
Enfants des airs et de la liberté ils étaient des voyageurs
La nuit des étoiles de mer éclairaient leurs couleurs
Le jour les vagues en colère caressaient leurs ardeurs

La si-Reine et le si-Roi ambassadeurs aux idées déjantées
Habitaient un château de sable au cœur de la contrée
Que les deux auteurs un peu fous avaient un jour érigé
Brillants bâtisseurs de belles histoires d'amour décalées

Le long des plages il arrive parfois de les entendre rire
Émergeant de l'océan profond et froid pour s'évanouir
Et renaître dans les yeux des poètes de leur souvenir
La si-Reine et le si-Roi n'existent que pour vous ravir

Christel Lacroix
Originaire du Tarn, Christel Lacroix a publié plusieurs romans et recueils de poésie.
Découvrir son blog

Alcool

Parti dans le décor

Au cours d’une nuit d’ivresse

Côtoyer intimement la mort

Presque sans maladresse

Pluie soudaine de gyrophares

Eclairant la nuit noire

Sirènes stridentes au retour

Accélérant les secours

Amas de tôles froissées

Dispersées sur la chaussée

Avenir devenu incertain

Bonheur déjà lointain

Angoisse du verdict final

Peur d’une issue fatale

Attente jugée interminable

Face peut-être à l’insupportable.

Mais une blouse blanche apparait

Heureusement rien d’irréparable

Si ce n’est des regrets

D’avoir été si irresponsable.

Marie-France Ochsenbein
Née en 1971 en Seine-et-Marne, Marie-France Ochsenbein est membre de l'Etrave et de Poètes sans Frontières. Elle publie également dans plusieurs revues comme Le Cafard Hérétique, Le Capital des Mots, L'Ampoule, Traction-Brabant, Short Edition...

Rêve d'une nuit de sable

Le rêve s’est endormi sur la plage 
Et la nuit se dore sur le sable
La mer écume entrailles de l’âge :
Promène nos yeux le temps instable.

Le rêve construit un château de sable 
Aux tourelles que bat le vent du temps :
Forteresse éveillée imprenable
Envahie par un ensommeillement.

Il s’enlise dans les sables mouvants :
Royaume océan perle d’images
Et le sablier remonte le temps
Écume argent perdue dans les âges

Mer émeraude insaisissable
d’images emplit yeux du cœur rêvant :
Rôdent nombre de chimères inlassables.

Le doux jour dans le rêve s’ensable
Égraine pluie fine sur un corps dormant
Songe d’une nuit impénétrable

Vagues à l’arme ricochent dans la nuit
Mère d’Étoile d’ombre ouvre les ailes
De la lune de miel de ce doux fruit :
Temps grisant déborde mes prunelles.

Le rêve a un grain de sable dans l’œil :
Ce doux poignard d’or entre sur le seuil 
Et dérive sur la mer de sable :
Radeau d’espoir, voguant Ineffable 

La nuit est tombée du lit

 

Caroline Baucher
Née en 1983, elle vit actuellement à Paris.
Son blog :
upanishad.free.fr/

Comme du vivant d'écume

Vents de noroît
à nous figer les sangs
corps glaçons prêts
à fondre
sous les languettes de sable
ensevelis rupins
dans le luxe câlin
des isthmes et des presqu’îles
mouvances des terre-pleins
à peine est-il installé
ce soir
accepté tel qu’il nous envoûte
qu’il me prend cette envie
de déchirer
ta chemise pour la nuit
d’humer à plein
ce parfum d’étoiles
qui te va si bien
dans l’émouvance
d’un ressac de ciel
à peine perceptible.

Texte extrait du recueil "Comme du vivant d'écume" (1995)

 

Alain Jégou (1948-2013)
Marin-pêcheur lorientais pendant 28 ans et poète, il est l'auteur d'une trentaine d'ouvrages, dont "Passe Ouest" suivi de "IKARIA LO 686 070", qui a obtenu le prix Livre & Mer Henri Queffélec en 2008.
La médiathèque de Quimperlé lui a dédié un site Internet qui évoque son univers poétique.
Sa page sur le site :
un-poete-une-vie-alain-jegou.html
Son blog :
http://alainjegou.blogspot.fr/

Dans un petit bateau

Dans un petit bateau
Une petite dame
Un petit matelot
Tient les petites rames

Ils s’en vont voyager
Sur un ruisseau tranquille
Sous un ciel passager
Et dormir dans une île

C’est aujourd’hui Dimanche
Il fait bon s’amuser
Se tenir par la hanche
Echanger des baisers

C’est ça la belle vie
Dimanche au bord de l’eau
Heureux ceux qui envient
Le petit matelot

 

Robert Desnos (1900-1945)
Poète français, mort du typhus au camp de concentration de Theresienstadt en Tchécoslovaquie, à peine libérée du joug de l’Allemagne nazie.
Autre texte :
Il était une feuille
→ Sa biographie sur Wikipédia

Le feu ne brûle pas...

Le feu ne brûle pas
c'est un radiateur 
qui gargouille parfois
comme s'il avait peur
comme s'il avait froid
les deux clochers d'Arbois
sonnent à la même heure
ce soir pas d'apéro
en face le carreau
du toit capte un dernier
reflet du jour d'octobre
et puis la cheminée
crache un peu de fumée
que le ciel enveloppe
et va porter ailleurs
comme lettre à la poste

de ma table je vois
la rue par la fenêtre
j'écris ce que je vois
pour ne pas disparaître
je serai disparu
avant demain peut-être
un vieillard dans la rue
croira me reconnaître
ce ne sera pas moi
ce ne sera personne
mourir ne surprend pas
celui qui n'est personne

Chronique douce, Le Promenoir Magique et autres poèmes 1953-2003, La Table Ronde, 2009

 

Jean-Claude Pirotte (1939-2014)
Ecrivain, poète et peintre belge, Jean-Claude Pirotte se consacre à la littérature et la poésie après une courte carrière d'avocat. Il publie une cinquantaine de livres et obtient de nombreux prix dont celui du Grand prix de poésie de l'Académie française ainsi que le prix Goncourt de la poésie en 2012.
Sa page sur le site :
un-poete-une-vie-jeanclaude-pirotte.html
→ Sa biographie sur Wikipédia

Roule ma mère

Comment, par quel ravage, ton œil peut-il s’enfoncer à ce point, s’affaisser ? Les pansements le crucifient. Découverte, ta pupille ne voit plus que des ombres. Après ta surdité, tes lèvres s’effacent. Tu attends la délivrance, quand ta perte m’emporte !
J’ose penser : Laisse-moi ! Je reste les dents serrées. Ton dernier écueil, avant de partir, cherche l’amour pire que des truffes. C’est empêtré d’arômes, autant une injure, que je viens parfois à ta rencontre. C’est par devoir, taraudé de honte tue, incapable de te dispenser une heure de calme, un vernis de tendresse.
Tes bras grêles m’ont si peu, si rarement serré. Tes pieds ont si souvent dressé la colère. Pourtant, tu attends, sans reproche.
Les cierges paient de pauvres indulgences ! Aucune prière ne peut te sauver. Mes billevesées de mécréant contre ton chapelet ! La solitude reste à couper au couteau. Chaque jour apporte un rouleau de barbelés à serrer plus fort contre la peau. 
C’est que te voilà froide, décervelée. La terre engloutit ton œil perdu. Les vers seuls célébreront ta fête ! Ah ! si je pouvais t’embrasser de tout mon crâne ! J’aurai médit naguère. Je me souviens mal. Tes bras ont bien dû me presser contre toi ; tes pieds, te hausser jusqu’à mes joues.
Devant les draps que tu as lavés, avec tes dernières forces, pour moi, je trouve que les mots sont creux. Pauvres paroles, neige pourrissante ! Le temps va peut-être t’insuffler dans mes veines. À deux, nous courrons plus vite. Je piétine à survivre, maman. Je trébuche à ton seuil comme au matin de ma naissance.

 

Pierre Perrin
Né en 1950, Pierre Perrin est un poète, romancier et critique littéraire français qui réside à Chassagne dans le Doubs. Il collabore à plusieurs revues de poésie et a publié plusieurs recueils. Il dirige la nouvelle revue littéraire Possibles.
Site et revue :
http://perrin.chassagne.free.fr/index.php

Les cheveux emmêlés (extrait)

Entends le poème !
Qui oserait nier le rouge
Des fleurs dans les champs ?
Savoureuse jeune fille
Coupable dans le printemps

Quand à l’eau je livre
Mes cheveux longs de cinq pieds
Combien sont-ils doux !
Mais mon coeur de jeune fille
Secret je veux le garder

La couleur pourpre,
A qui donc la raconter ?
Tremblements de sang,
Pensées émues de printemps,
En pleine floraison la vie !

Il est temps, je pars,
Et au revoir me dit-il
Ce dieu de la nuit
Dont la manche m’effleura,
Mes cheveux mouillés de larmes

Les cheveux dénoués
Dans la douceur de la pièce
Le parfum des lis
Je crains qu’ils ne disparaissent
Rouges pâles dans la nuit

Toi qui n’as jamais
Touché une peau douce
Où coule un sang chaud,
Ne te sens-tu pas triste,
Et seul, à prêcher la Voie ?

D’un rouge profond
Les deux pétales de rose
Qui forment tes lèvres
Que tu ne chantes un poème
Sans parfum de noblesse !

Frêles d’apparence
Sont les fleurs de l’été
Mais rouges écarlates
Qui comme cet amour d’enfant
Rient au soleil de midi !

Akiko Yosano (1878-1942)
Poétesse japonaise, qui a été pionnière en tant que femme dans son pays non seulement par l'audace de son écriture mais aussi grâce à son engagement pour la cause des femmes japonaises. Féministe pacifiste, elle a été très active dans son pays.
→ Sa biographie sur Wikipédia

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Maman

T'es ma plus belle histoire d'amour
Depuis l'air de mon premier jour
Mes premiers pas étaient pour toi
Dans le doux espace de tes bras
Ils m'ont empêché de tomber
T'es mon plus beau visage d'amour
Toujours sourire jours après jours
Enfance heureuse auprès de toi
T'es mes plus tendres épaules d'amour
Toujours blotti au creux de toi

Quand mes chagrins m'envahissaient
C'est sur elles que j'allais pleurer
Et un nouveau soleil brillait
T'es ma plus belle histoire d'amour
Toujours présente à mes côtés
Quand je criais mes "au secours"

T'es mes plus belles mains d'amour
Quand elles caressaient mes cheveux
Toutes mes angoisses s'en allaient
Amour tendresse rien que pour moi
Toi et moi le temps fut trop court
T'es ma plus belle maman d'amour
Tu viens quelques fois dans mes nuits
Tu me manques moi je m'ennuie

T'es ma plus belle maman d'amour
D'avoir pas dit que je t'aimais
Restera mon plus grand regret
D'avoir pas dit que je t'aimais
Que je t'aimais que je t'aimais.

Maman je t'aime...

 

Jean-François Millas

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Chanson d'automne

Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone. 

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure, 
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure

Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà, 
Pareil à la
Feuille morte.

 

Paul Verlaine
→ Sa biographie sur Wikipédia

L'été

Il brille, le sauvage Été,
La poitrine pleine de roses.
Il brûle tout, hommes et choses,
Dans sa placide cruauté.

Il met le désir effronté
Sur les jeunes lèvres décloses ;
Il brille, le sauvage Été,
La poitrine pleine de roses.

Roi superbe, il plane irrité
Dans des splendeurs d’apothéoses
Sur les horizons grandioses ;
Fauve dans la blanche clarté,
Il brille, le sauvage Été

 

Théodore de Banville (1823-1891)
Surnommé "le poète du bonheur", Théodore de Banville fut l'un des précurseurs du parnasse. Il professait un amour exclusif de la beauté et la limpidité universelle de l’acte poétique, s'opposant à la fois à la poésie réaliste et à la dégénérescence du romantisme, contre lesquels il affirmait sa foi en la pureté de la création artistique.
→ Sa biographie sur Wikipédia

Merveilleux Noëls

Merveilleux Noëls de mon enfance,
Avec toute cette effervescence
Qui régnait partout dans la maison,
Et le sapin plein de décorations !
Moments de joie sans pareil,
Parés de bonheur et de merveilles ;
Maman qui préparait la bûche,
Nous qui faisions les truffes
Les mains pleines de chocolat,
Plus sur nos doigts que dans le plat !
Et enfin, la dernière nuit venue
Avant le grand jour tant attendu,
Le sommeil qui ne veut pas venir,
Trop excités pour s'endormir ;
Espérer que le Père-Noël va oublier
Les bêtises faites pendant l'année,
Puis au petit matin, se lever,
Et devant nos yeux émerveillés
En découvrant les paquets,
Nos parents qui souriaient !

Je revis ces merveilleux moments
Aujourd'hui, avec mes enfants ;
Décorer toute la maison
De guirlandes en papier crépon,
Mettre dans la crèche les santons,
Sur le sapin, les boules brillantes
Et les guirlandes étincelantes
De mille couleurs scintillantes !
Préparer avec eux le repas de fête,
Sortir les plus belles assiettes,
Et à l'approche du jour formidable
Les découvrir un peu plus sages,
Juste pour que le Père Noël oublie
Qu'ils n'ont pas toujours été gentils !
Avec le même regard pour mes enfants
Qu'avaient jadis pour moi mes parents,
Je retrouve chaque année l'instant magique,
Quand leurs yeux magnifiques
Découvrent sous le sapin,
Leurs cadeaux au petit matin !

 

Véronique Audelon
Après une enfance passée à Forcalquier dans les Alpes de Haute-Provence et un bref arrêt à Marseille, Véronique Audelon s'est installée à Salon de Provence.
Elle dessine et écrit des poèmes depuis l'adolescence. Son univers d'auteure balance entre poésies, nouvelles et romans. Son premier roman, "Emmurée", est paru en février 2011. Puis "Le Cahier" publié en décembre 2014. Trois recueils sont actuellement en instance de publication.
Elle partage son temps entre son activité de maquettiste PAO free lance et sa passion pour l'écriture. 
Son nouveau site :
https://poesime.wixsite.com/un-univers-de-mots

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Brumes et pluies

Ô fins d'automne, hivers, printemps trempés de boue,
Endormeuses saisons ! je vous aime et vous loue
D'envelopper ainsi mon coeur et mon cerveau
D'un linceul vaporeux et d'un vague tombeau.

Dans cette grande plaine où l'autan froid se joue,
Où par les longues nuits la girouette s'enroue,
Mon âme mieux qu'au temps du tiède renouveau
Ouvrira largement ses ailes de corbeau.

Rien n'est plus doux au coeur plein de choses funèbres,
Et sur qui dès longtemps descendent les frimas,
Ô blafardes saisons, reines de nos climats,

Que l'aspect permanent de vos pâles ténèbres,
- Si ce n'est, par un soir sans lune, deux à deux,
D'endormir la douleur sur un lit hasardeux.

Charles Baudelaire (1821-1867)
→ Sa biographie sur Wikipédia

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Campanile d'hiver

La vigne endolorie sous le poids des nuages,
Pareille au clapotis des barques enchainées,
Gémit, pleure et s’éteint comme un brasier mouillé
Par la rage du ciel et son gravier d’outrages.

Les lavoirs de soleil et leurs lourds sarcophages
Ruissellent de tumeurs aux couleurs bigarrées,
Comme si leur destin se tissait sous les dès
De gouttes détachées d’un suaire sauvage.

Seule, morne et feutrée, une cloche d’airain
Sonne un glas parfumé d’une douce beauté
Dont le silence boit la mélodie sans fin.

Or la vigne endurcie, comme un oratorio,
Fugue le long de mots brillants de nouveauté,
Que ce poème joue sur un pas d’adagio.

 

Francis Etienne Sicard
Après une formation d'enseignant, Francis Etienne Sicard publie plusieurs recueils. Grand voyageur, il séjourne à Antibes, Nice, Berlin et voyage en Asie et aux Etats-Unis. Il se consacre également à l'étude de l'esthétisme. II élargit aujourd’hui son champ d’écriture à la nouvelle et se lance un défi : la rédaction d’une partie de ses mémoires.
Son blog : Lettres de soie

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Le printemps

Les bourgeons verts, les bourgeons blancs
Percent déjà le bout des branches,
Et, près des ruisseaux, des étangs
Aux bords parsemés de pervenches,
Teintent les arbustes tremblants ;

Les bourgeons blancs, les bourgeons roses,
Sur les buissons, les espaliers,
Vont se changer en fleurs écloses ;
Et les oiseaux, dans les halliers,
Entre eux déjà parlent de roses ;

Les bourgeons verts, les bourgeons gris,
Reluisant de gomme et de sève
Recouvrent l'écorce qui crève
Le long des rameaux amoindris ;
Les bourgeons blancs, les bourgeons rouges,
Sèment l'éveil universel,
Depuis les cours noires des bouges

Jusqu'au pur sommet sur lequel,
Ô neige éclatante, tu bouges ;
Bourgeons laiteux des marronniers,
Bourgeons de bronze des vieux chênes,
Bourgeons mauves des amandiers,
Bourgeons glauques des jeunes frênes,
Bourgeons cramoisis des pommiers,

Bourgeons d'ambre pâle du saule,
Leur frisson se propage et court,
À travers tout, vers le froid pôle,
Et grandissant avec le jour
Qui lentement sort de sa geôle,
Jette sur le bois, le pré,
Le mont, le val, les champs , les sables,
Son immense réseau tout prêt
À s'ouvrir en fleurs innombrables
Sur le monde transfiguré

Auguste Angellier (1848-1911)
Poète et universitaire français, il fut le premier professeur de langue et littérature anglaise de la Faculté des lettres de Lille. Il fut également critique et historien de la littérature.
→ Sa biographie Wikipédia

Le cancre

Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le coeur
Il dit oui à ce qu’il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur.

 

Jacques Prévert
→ Sa biographie sur Wikipédia

L'émotion

L'EMOTION 
C'est ce qui reste quand 
On t'a tout pris 
Ton nom, tes dires et tes vents 
Tes espoirs, ta jeunesse et tes cris

L'EMOTION 
C'est un sourire 
Pour un tant pis 
Une fille sans dire 
Une femme sans plis 

L'EMOTION 
C'est le cri 
De l'homme en pleurs 
Le coït sur le tri 
D'une femme sans couleur

L'EMOTION 
C'est le fruit 
De rêves brûlants 
Dans les nuits 
Au dédale de l'écran

L'EMOTION 
C'est le chant 
De lèvres trop chaudes 
Qui te refusent son ode 
Comme une plume à son roman

L'EMOTION 
C'est une rue 
Sans appellation 
Une bande de trottoir 
Sans aucune histoire

L'EMOTION 
C'est mon nom 
Sur ton nom 
C'est mon corps 
C'est tes torts 
Sur l'Aurore

 

Patrick Ducros (1954-)
Cafetier et poète à Saint-Junien (87), Patrick Ducros aime faire partager sa passion pour les chanteurs à textes et tous les poètes. Auteur de nombreux recueils, il organise également avec la mairie de sa commune un concours de poésie tous les ans.
http://www.lapaillotte87.fr/index.htm

Je ne veux rien de plus

Je ne veux rien de plus que reposer mes mains 
Sur ton front preste et beau, sur tes lèvres chéries, 
Rien de plus que songer : l’heure est douce... et demain 
Peut-être sera lourd de lutte et de chagrin. 
Ce soir, c’est une pause aux confins de la vie.

Je ne veux rien de plus que t’aimer, mon ami. 
Mon âme est une rose en la nuit odorante, 
À tes doigts langoureux, dans l’ombre qui frémit 
Je ne suis qu’une fleur de volupté tremblante ; 
Respire-la songeur, un instant, et souris...

Ô mon ami, je ne veux rien que ton sourire, 
Nous avons trop brûlé nos lèvres aux baisers... 
Assez d’ivresse et de sanglots, et de délire ! 
Laisse tomber le soir sur nos cœurs apaisés. 
Je ne veux rien, ô mon ami, que ton sourire.

Le sauvage Désir enfin s’est endormi. 
Je puis blottir mon front heureux sur ta poitrine, 
Nos rêves confondus ont fait l’heure divine. 
Entends à petits coups battre mon cœur soumis... 
Je ne veux rien de plus que t’aimer, mon ami.

Cécile Périn (1877-1959)
Poétesse française, elle épouse Georges Périn qui est aussi poète. Ils fréquentent ensemble une communauté d'artistes. En 1922, elle perd son mari et sa poésie est l'écho de ce deuil.
→ Sa biographie sur Wikipédia

Le bandeau noir

C'est un pays battu des vents, mordu des lames, 
Où des vols d'échassiers tournent dans le ciel gris, 
Cependant que, la gaffe au poing, guettant le bris, 
Droites sur l'horizon, veillent d'étranges femmes.

Le soir tombe : on entend un bruit lointain de rames. 
Des christs hâves dans l'ombre ouvrent leurs yeux meurtris ; 
Et voici qu'autour d'eux, sur les joncs défleuris, 
S'abat en gémissant le morne essaim des Âmes.

C'est Penmarc'h. Aux fils d'or de leur bonnet collant 
Les fermières d'Argoll ont pris plus d'un galant ; 
Tréguier vante à bon droit sa coiffe épiscopale ;

Le lin vierge sied seul aux filles du Moustoir
Là-bas, où le Goayen élargit son flot pâle, 
Les guetteuses de bris ceignent un bandeau noir.

 

Charles Le Goffic (1863-1932)
Poète, romancier et critique littéraire français dont l'oeuvre célèbre la Bretagne.
→ Sa biographie sur Wikipédia

Après trois ans

Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu’éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle.

Rien n’a changé. J’ai tout revu : l’humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin …
Le jet d’eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

Les roses comme avant palpitent ; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent.
Chaque alouette qui va et vient m’est connue.

Même j’ai retrouvé debout la Velléda
Dont le plâtre s’écaille au bout de l’avenue,
– Grêle, parmi l’odeur fade du réséda.

 

Paul Verlaine (1863-1932)
→ Sa biographie sur Wikipédia

Mon pays mon naufrage

Le pays d’où je viens n’est d’aucune mémoire 
et la mer en novembre y monte jusqu’aux bois 
les maîtres de naufrages attendent sur les dunes 
qu’un bateau étranger se perde dans les Passes

le pays d’où je viens a la couleur des lampes 
que les enfants conduisent aux limites du sable 
on y marche toujours au milieu des légendes 
la trace des hommes s’y perd dans une Ville d’hiver

le pays d’où je viens a la douleur des landes 
on y porte parfois des épaves insensées 
Il y a des bêtes blanches à la lisière des eaux 
et des forêts de feu près des océans morts

le pays d’où je viens a la blessure des rames 
on y voit quelques fois des traces de passages 
qui mènent à des marées mortes depuis longtemps 
souvent les chalutiers battent pavillon noir

le pays d’où je viens est plein d’hommes de guerre 
des maisons de ciment que l’on dit allemandes 
tombent depuis toujours dans les océans gris 
une femme m’y attend et toujours m’y conduit

en face de Saint-Yves lors de la messe en mer 
des prêtres sur les vagues jettent des pains de sang 
tandis que des enfants en uniformes noirs 
crèvent le long des plages des bans de méduses blanches

le pays d’où je viens efface les visages 
une femme épuisée s’y retient de mourir 
les nuits de l’équinoxe viennent des enfants seuls 
plus vieux d’avoir vécu au fond des océans

le pays d’où je viens n’a jamais existé 
un vieil enfant de sable y pousse vers le large 
un bateau en ciment qui ne partira pas 
le pays d’où je viens s’endort en chien de fusil

le pays d’où je viens est de mémoire allemande 
un Casino Mauresque y brûle sous les eaux 
une femme s’y promène au bras d’un étranger 
le pays d’où je viens n’a jamais existé…

 

Tristan Cabral (1944-)
Tristan Cabral est le nom de plume de l'écrivain et poète français Yann Houssin, né à Arcachon le 29 février 1944. Il a été pasteur et professeur de philosophie à Nîmes et a voyagé en Iran, Turquie, Amérique Centrale, Pérou, Bolivie... S'est engagé au Kurdistan, puis en Irlande du Nord.
Autres textes
Le passeur de silence
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Côtes de Saintonge

Comme un orgue lointain sur une immense grève,
Bruit du flot qui recouvre un lit de sable fin,
Et toujours recommence et jamais ne s'achève,
La mer, la vaste mer se déroulait sans fin.

Sur les dunes épars, de grands pins maritimes
Dans le rythme des flots murmurants s'accordaient
Aux souffles du matin, en secouant leurs cimes,
Et comme à l'unisson gravement répondaient.

Sur l'Océan d'azur, où passait un navire,
Sans crainte aventurés, des papillons volaient
Comme un vrai tourbillon de neige. Ils semblaient dire
Aux marins du pays, qui sous bon vent filaient :

« Lorsque s'achèvera votre course lointaine,
Nous ne saluerons pas votre joyeux retour,
Car, livrant aux hasards notre vie incertaine,
Nous durons peu d'instants, comme les fleurs d'un jour.

À l'horizon des flots, noyant ses voiles hautes,
Quand le vaisseau parti lentement s'effaçait,
Le croisant dans sa route en approchant des côtes,
Un autre grand navire au large apparaissait.

Après un long voyage aux mers orientales,
Les hommes revenaient, las d'avoir navigué,
Mais la fièvre d'amour pour les grèves natales
Verse un baume divin dans le corps fatigué.

Ils avaient aperçu le clocher de Marennes,
Dont la flèche en plein ciel des eaux semblait jaillir,
Et dans le chaud parfum des plantes riveraines
Les plus robustes cœurs se sentaient défaillir.

 

André Lemoyne (1822-1907)
Poète et romancier français, il a été avocat au barreau de Paris en 1847. Il fut successivement typographe, correcteur, puis chef de publicité chez Didot de 1848 à 1877, date à laquelle il fut nommé bibliothécaire de l'École des arts décoratifs. André Lemoyne figure dans la liste des poètes nommés dans la lettre de Rimbaud à Paul Demeny, dite Lettre du Voyant. 
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La mer

Loin des grands rochers noirs que baise la marée,
La mer calme, la mer au murmure endormeur,
Au large, tout là-bas, lente s'est retirée,
Et son sanglot d'amour dans l'air du soir se meurt.

La mer fauve, la mer vierge, la mer sauvage,
Au profond de son lit de nacre inviolé
Redescend, pour dormir, loin, bien loin du rivage,
Sous le seul regard pur du doux ciel étoilé.

La mer aime le ciel : c'est pour mieux lui redire,
À l'écart, en secret, son immense tourment,
Que la fauve amoureuse, au large se retire,
Dans son lit de corail, d'ambre et de diamant.

Et la brise n'apporte à la terre jalouse,
Qu'un souffle chuchoteur, vague, délicieux :
L'âme des océans frémit comme une épouse
Sous le chaste baiser des impassibles cieux.

 

Nérée Beauchemin (1850-1931)
Ecrivain et médecin québécois, il publie son premier recueil "Les floraisons matutinales" en 1897. Il obtiendra plusieurs diplômes et prix de poésie et recevra en 1930 la médaille de l'Académie française.
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Les parfums

La moisson sent le pain : la terre boulangère
Se trahit dans ses lourds épis aux grains roussis,
Et caresse au parfum de ses chaumes durcis
L'odorat du poète et de la ménagère.

La tête dans l'air bleu, les pieds dans la fougère,
Les bois sont embaumés d'un arôme indécis.
La mer souffle, en mourant sur les rochers noircis,
Son haleine salubre et sa vapeur légère.

L'Océan, la moisson jaune, les arbres verts,
Voilà les bons et grands parfums de l'univers ;
Et l'on doute lequel est le parfum suprême.

J'oubliais les cheveux, tissu fragile et blond,
Qu'on déroule et qu'on fait ruisseler tout du long,
Tout du long des reins blancs de la femme qu'on aime.

Albert Mérat (1840-1909)
Poéte français, il a fait partie des poètes Parnassiens, tout comme Théophile Gautier, José-Maria de Heredia, Théodore de Banville, Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé, François Coppée, Verlaine, Rimbaud. Il était loué par les poètes de son époque, Rimbaud le considérait comme visionnaire et en faisait, presque, l'égal de Verlaine, qui lui dédia son poème Jadis.
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Fleurs d'aurore

Comme au printemps de l'autre année,
Au mois des fleurs, après les froids,
Par quelque belle matinée,
Nous irons encore sous bois.

Nous y verrons les mêmes choses,
Le même glorieux réveil,
Et les mêmes métamorphoses
De tout ce qui vit au soleil.

Nous y verrons les grands squelettes
Des arbres gris, ressusciter,
Et les yeux clos des violettes
À la lumière palpiter.

Sous le clair feuillage vert tendre,
Les tourterelles des buissons,
Ce jour-là, nous feront entendre
Leurs lentes et molles chansons.

Ensemble nous irons encore
Cueillir dans les prés, au matin,
De ces bouquets couleur d'aurore
Qui fleurent la rose et le thym.

Nous y boirons l'odeur subtile,
Les capiteux aromes blonds
Que, dans l'air tiède et pur, distille
La flore chaude des vallons.

Radieux, secouant le givre
Et les frimas de l'an dernier,
Nos chers espoirs pourront revivre
Au bon vieux soleil printanier.

En attendant que tout renaisse,
Que tout aime et revive un jour,
Laisse nos rêves, ô jeunesse,
S'envoler vers tes bois d'amour !

Chère idylle, tes primevères
Éclosent en toute saison ;
Elles narguent les froids sévères
Et percent la neige à foison.

Éternel renouveau, tes sèves
Montent même aux coeurs refroidis,
Et tes capiteuses fleurs brèves
Nous grisent comme au temps jadis.

Oh ! oui, nous cueillerons encore,
Aussi frais qu'à l'autre matin,
Ces beaux bouquets couleur d'aurore
Qui fleurent la rose et le thym.

Nérée Beauchemin (1850-1931)
Ecrivain et médecin québécois, il publie son premier recueil "Les floraisons matutinales" en 1897. Il obtiendra plusieurs diplômes et prix de poésie et recevra en 1930 la médaille de l'Académie française.
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Les poètes

Ce sont de drôl’s de typ’s qui vivent de leur plume
Ou qui ne vivent pas c’est selon la saison
Ce sont de drôl’s de typ’s qui traversent la brume
Avec des pas d’oiseaux sous l’aile des chansons

Leur âme est en carafe sous les ponts de la Seine
Les sous dans les bouquins qu’ils n’ont jamais vendus
Leur femme est quelque part au bout d’une rengaine
Qui nous parle d’amour et de fruit défendu

Ils mettent des couleurs sur le gris des pavés
Quand ils marchent dessus ils se croient sur la mer
Ils mettent des rubans autour de l’alphabet
Et sortent dans la rue leurs mots pour prendre l’air

Ils ont des chiens parfois compagnons de misère
Et qui lèchent leurs mains de plume et d’amitié
Avec dans le museau la fidèle lumière
Qui les conduit vers les pays d’absurdité

Ce sont des drôl’s de typ’s qui regardent les fleurs
Et qui voient dans leurs plis des sourires de femme
Ce sont de drôl’s de typ’s qui chantent le malheur
Sur les pianos du cœur et les violons de l’âme

Leurs bras tout déplumés se souviennent des ailes
Que la littérature accrochera plus tard
A leur spectre gelé au-dessus des poubelles
Où remourront leurs vers comme un effet de l’Art

Ils marchent dans l’azur la tête dans les villes
Et savent s’arrêter pour bénir les chevaux
Ils marchent dans l’horreur la tête dans des îles
Où n’abordent jamais les âmes des bourreaux

Ils ont des paradis que l’on dit d’artifice
Et l’on met en prison leurs quatrains de dix sous
Comme si l’on mettait aux fers un édifice
Sous prétexte que les bourgeois sont dans l’égout …

Illustration : Tableau "Coin de table" (1872) de Henri Fantin-Lacour, représentant un groupe de poètes dont Verlaine, Rimbaud, Valade, Hervilly, Pelletan, Blémond, Bonnier et Aicard.

Léo Ferré (1916-1993)
Auteur-compositeur-interprète et poète monégasque, Il a réalisé plus d'une quarantaine d'albums originaux couvrant une période d'activité de 46 ans. Il se revendiquait anarchiste et ce courant de pensée inspire grandement son œuvre.
→ Sa biographie sur Wikipédia

Les mots

Les mots vont en silence dans notre cœur
Ils ont besoin de nous pour éclore
Ils s’alignent derrière une émotion
L’émerveillement
Le chagrin
L’insolite
Et ils prennent leur envol d’oiseaux migrateurs
Et dessinent au fond d’un autre cœur
Un pays d’accueil
Une terre d’asile
Un banc de sable
Jamais une prison
Jamais une frontière
Parfois une simple fleur qui renverse un mur
Il y a chez moi une plante qu’on appelle chance
Et qui nous donne la chance de la regarder
La chance d’espérer
Il y a une feuille qui pousse dans les livres
Et quand on la grave
Elle garde l’éternité des mots
Elle prend racine dans le terreau des mots
Et devient une lettre d’amour
Un souvenir d’enfant
Une transparence du temps
Un beau silence comme une trace qui chuchote
Alors tout doucement le cœur se réveille
Suis la trace des mots
Suis l’impact des mots
Il sait que les mots n’aiment pas les dictionnaires
Que les livres sont les soleils du monde
Que le langage
Le vrai langage se passe souvent de mots
Il préfère germer dans un regard
Se blottir dans un baiser
Luire dans un sourire
Le vrai langage est une patience
Une lueur qui s’insinue
Les mots viennent de loin
Du besoin de tisser l’autre
De faire jaillir le souffle du monde
De mettre au monde
Tout ce qui se baigne en nous
Au cœur des mots il y à l’homme
Le cœur de l’homme
Le conteur
Le poète
La flamme
Les lèvres du vent
Le souffle
Le premier cri de l’univers

Ernest Pépin
Né le 25 septembre 1950 au Lamentin en Guadeloupe, Ernest Pépin est un écrivain et poète français. Avant de se consacrer pleinement à l'écriture, il commence sa carrière en tant que professeur de français, puis il sera critique littéraire, animateur d’émissions littéraires sur France 3, et homme politique (consultant à l’Unesco…).
→ Sa biographie sur Wikipédia

Mi-poète et mon cul !

La danse des sirènes est réglée sur minuit.
J’ai troqué mon réveil contre un air arlequin.
Des matins en tignasses et le chat qui s’ennuie.
Quelques roses quand même et le vers* à la main.

Dans ma cave je crie des chants de Martinique.
Un voyage englouti aux effluves salins.
Je suis là mon coco ! Implorant des tropiques.
Barricadé dans l’os ; un vieux pull marin.

Je connais quelques routes et des voix* maritimes.
Des escales sans îles où le temps ne vient pas.
Quelques boys en lady où des ventres s’arriment.
Dans des claques asiatiques, à leur sexe bomba.

J’ai tangué des dérives où la mer était Corse.
Échangé mon whisky contre un blues africain.
L’aube embrumée des leurres où le triste s’amorce.
Dans des ports anonymes où prient des assassins.

J’ai gueulé comme font tous les cons d’Amérique.
Vive moi et les femmes, Viva la libertad.
Dans mon dos pleure encor un mataf hystérique.
Un indien bretonnant, une plume de moi.

On m’a dit que Ferré, musiquait d’encensoirs.
Que Brassens et que Brel, éventaient du bidon.
Que Verlaine et Rimbaud, mitonnaient de l’oignon.
Que Baud’laire urinait, sur d’illustres trottoirs.

Les deux pieds d’un fauteuil dans deux croissants de lune
J’ai des rêves à bascule en voyage immobile
Des chemins de rousseur, des forêts, des musiques
Et les pas d’un oiseau dans un livre d’étoiles

J’ai le temps des lumières au pluriel de l’âme
La voix rauque d'un chant au parnasse inclassable
La promesse d’aimer dans les yeux d'une femme
La parole facile au sourire d'avril.

J’ai le chant d’un bateau rescapé de la brume
Le registre des flots, le fracas de la pluie
Un silence à mon blues, aux nuits blanches et qui jazz
La tendresse exilée, d’une mer infinie

J’ai le sort d’un ruisseau qu’une larme a fait naître
Les relents de criées d’un vieux loup sans la mer
Un pêcheur à sa ligne en eau trouble de l’âge
Des marées des rumeurs remontées dans un vers

J’ai la gueule d’un chien et la dent littéraire
Ou d’un chat, ça dépend, d’une hauteur de mur
Du chapeau de la dame et des draps à défaire
Dans un lit d’écriture

L’illusion dans le vrai, des formules du triste
Des chagrins poétiques où se hissent des voiles
Un piano malheureux, des mémoires d’artistes
L’harmonie au clavier d’un passant sur la toile

Jusque là j’ai tout bon, j’ai la rime et le style.
On dirait du Wagner emprunté à Cubas.
Par dessus les chansons métalliques où défilent.
Des millions de badauds tricotant ma rumba.

J’ai le vers migrateur, mi-poète si tu veux.
Les yeux clos je connais ! Je l’ai bu mon histoire !
Enivré d’un dimanche et la rime en croco.
Plein d’amour à ranger tout au fond d’un tiroir.

 

Jacques Gourvennec
Jacques Gourvennec est né dyslexique. Dès sa plus tendre enfance, tout texte à lire est incompréhensible. Personne ne s'en aperçoit. A cette époque, ce handicap est mal connu. Jacques pense alors être le seul, l'unique, l'idiot et le meilleur copain d'un radiateur. Un incapable d'obtenir le moindre diplôme, même pas son CEP. Il est donc devenu un plombier. Dans ses moments de solitude, il peint des tableaux sans valeur, il peint ses camisoles d'inutiles. Il a tout essayé, Proust, Céline, même Descartes, pour force le destin. Et puis il fallait bien qu'un jour on les redistribue, ces foutues cartes de la vie. L’auteur de ce recueil est aujourd'hui professeur en génie climatique dans un lycée professionnel de la région nord de Paris. En 1999, il fait une rencontre, celle de quelques textes écrits par un certain Léo Ferré. Ce vieux Léo, cette compilation faite de rage et de tendresse, qui lui donna l'envie d'oublier l'huile des peintures et de ne plus se consacrer qu'à l'écriture, avec cette impression parfois, d'une sonorité propre à Ferré.
Sa page Facebook :
https://fr-fr.facebook.com/Gourvennec.j

Sur le site :
parolesdepoetes-jacquesgourvennec.html

La main à la plume

J’écrirai des poèmes
sur le lait le beurre la crème
j’écrirai des odes en vers heptasyllabiques
sur les vaches les brebis les biques

j’écrirai des myriades de myriades de sonnets
sur le vent qui couche les lourds épis de blé
j’écrirai des chansons
sur les mouches et les charançons

j’écrirai des sextines
sur les fonds de jardin où se mussent les latrines
j’écrirai des phrases obscures
sur l’agriculture

j’utiliserai des métonymies et des métaphores
pour parler de la vie des porcs et de leur mort
j’utiliserai l’assonance et la rime
pour parler des prés, de la forêt, de la campagne
j’écrirai des poèmes
la main sur la charrue du vocabulaire

 

Raymond Queneau (1903-1976)
Romancier, poète, dramaturge, fondateur du groupe littéraire Oulipo.
→ Sa biographie sur Wikipédia

y

Prière aux vivants pour leur pardonner d'être vivants

Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
un vêtement qui vous va bien
qui vous va mal
qui vous va à peu près
vous qui passez
animés d’une vie tumultueuse aux artères
et bien collée au squelette
d’un pas alerte sportif lourdaud
rieurs renfrognés, vous êtes beaux
si quelconques
si quelconquement tout le monde
tellement beaux d’être quelconques
diversement
avec cette vie qui vous empêche
de sentir votre buste qui suit la jambe
votre main au chapeau
votre main sur le cœur
la rotule qui roule doucement au genou
comment vous pardonner d’être vivants…
Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
comment vous pardonner
ils sont morts tous
vous passez et vous buvez aux terrasses
vous êtes heureux elle vous aime
mauvaise humeur souci d’argent
comment comment
vous pardonner d’être vivants
comment comment
vous ferez-vous pardonner
par ceux-là qui sont morts
pour que vous passiez
bien habillés de tous vos muscles
que vous buviez aux terrasses
que vous soyez plus jeunes chaque printemps

Je vous en supplie
Faites quelque chose
Apprenez un pas
Une danse
Quelque chose qui vous justifie
Qui vous donne le droit
D’être habillés de votre peau de votre poil
Apprenez à marcher et à rire
Parce que ce serait trop bête
A la fin
Que tant soient morts
Et que vous viviez
Sans rien faire de votre vie.

Je reviens
d’au-delà de la connaissance
il faut maintenant désapprendre
je vois bien qu’autrement
je ne pourrais plus vivre.

Et puis
mieux vaut ne pas y croire
à ces histoires
de revenants
plus jamais vous ne dormirez
si jamais vous les croyez
ces spectres revenants
ces revenants
qui reviennent
sans pouvoir même expliquer comment.

Image : Charlotte Delbo en déportation / Babelio.com

Charlotte Delbo (1913-1985)  
Femme de lettres, elle a été secrétaire de Louis Jouvet et s'est engagée dans la Résistance intérieure française. Elle a vécu la déportation à Auschwitz et Ravensbrück. Lors d'un séjour dans une maison de repos en Suisse, elle commence à écrire des récits et des poèmes sur sa déportation. En 1965, soit vingt ans après l'avoir écrit, elle propose à un éditeur le manuscrit de " Aucun de nous ne reviendra". Charlotte Delbo estime qu'elle a survécu en particulier grâce aux poèmes qu'elle passe beaucoup de temps à chercher à se remémorer. Elle déclarera en 1974 que, malgré l'aspect horrible du camp de concentration dont « aucun animal ne serait revenu », elle considère qu'elle a « appris là [...] quelque chose qui n'a pas de prix » : le courage, la bonté, la générosité, la solidarité et que cela lui a donné une « très grande confiance dans son semblable ».
→ Sa biographie sur Wikipédia
Association Charlotte Delbo

Sale temps

Am, stram, gram,
Pic et pics et colères,
Drames.

Des enfants se noient dans la marelle
Des poubelles
De l’histoire naufragée de leur pays en flammes,
Sous l’œil saoul des riches gens des côtes.

Le monde va de travers, bourré,
bour et ratatam.

Doit-on arrêter la comptine ou la continuer ?
Comment faut-il la chanter,
Après ça ?

 

William Braumann (1972-2021)
Né à Paris, William Braumann, autodidacte, auteur de chansons et de poésies, est publié dans les revues Poetica, Le Capital des mots, Infusion, Lichen et Recours au poème. Il travaille également à l'écriture de son premier roman. C'est en ouvrant sa page Facebook que j'apprends son décès survenu le 04 avril 2021.
Autre texte :
Gaston, le nôtre
→ Son profil surFacebook

Quand je vois ces migrants

Quand je vois ces migrants partir pour l'Allemagne
Je me sens concerné, la compassion me gagne, 
Le passé ressurgit, on tremble en l'évoquant :
On pense à tous ces trains allant vers d'autres camps.

Quand je vois ces migrants, chassés de leur patrie
C'est comme le reflet d'une époque assombrie, 
Millions de réfugiés laissés à l'abandon, 
Un destin déchiré, l'injustice sans nom !

Quand je vois ces migrants s'accrochant à la vie
Échapper aux bourreaux de soif inassouvie, 
Revient en notre esprit cet horrible point noir :
Ces innocents jadis, sans recours, sans espoir.

Quand je vois ces migrants s'élancer sur la route
Pour trouver un refuge, aller coûte que coûte
Vers un autre avenir, une force, un soutien ;
Eux là-bas à Auchwitz, ils n'espéraient plus rien !

Quand je vois ces migrants, ces enfants et ces femmes
Qui tous ont voulu fuir des conditions infâmes, 
On ne peut oublier leurs frères de malheur
Qui connurent, on le sait, la soif, la faim, la peur.

Quand je vois ces migrants nous demander de l'aide, 
On veut participer aussitôt, et l 'on plaide
Pour un immense élan, mouvement de secours, 
Une comparaison ? Ce serait un peut court !

Quand je vois ces migrants, ce qui nous interpelle
C'est le refus parfois, la position rebelle
De ceux ne voulant pas accorder leur accueil ;
Ce serait bon pourtant s'ils franchissaient le seuil.

Quand je vois ces migrants, je mesure ma faute
Mais j'ai hâte bien sûr, et d'une voix bien haute, 
De dénoncer bien fort l'attente et l'inaction...
Rappelons-nous là-bas... Et si nous y pensions ?

Quand je vois ces migrants...

 

Adrien Cannaméla 
Né en 1926 en Tunisie, Adrien Cannaméla collabore dans plusieurs revues littéraires. Il a publié des recueils et un roman.
Son profil sur la cave à poèmes

Avenir

Les coquelicots noirs et les bleuets fanés
Dans le foin capiteux qui réjouit l’étable,
La lettre jaunie où mon aïeul respectable
A mon aïeule fit des serments surannés,

La tabatière où mon grand-oncle a mis le nez,
Le trictrac incrusté sur la petite table
Me ravissent. Ainsi dans un temps supputable
Mes vers vous raviront, vous qui n’êtes pas nés.

Or, je suis très vivant. Le vent qui vient m’envoie
Une odeur d’aubépine en fleur et de lilas,
Le bruit de mes baisers couvre le bruit des glas.

Ô lecteurs à venir, qui vivez dans la joie
Des seize ans, des lilas et des premiers baisers,
Vos amours font jouir mes os décomposés.

Charles Cros (1842-1888)  
Poète et inventeur français, qui a notamment découvert un procédé de photographie en couleurs, mais aussi un modèle de phonographe.
→ Sa biographie sur Wikipédia

Avant

Avant que la mort vienne,
écrire encore
un poème soigné,
avec de l’herbe
toute nue, un morceau
de ciel bleu et
des fleurs et des oiseaux
pour que ça bouge.

Que rien ne pleure, surtout
pas de pluie grise,
mais des femmes légères
et qui agitent
leurs jambes font rouler
leurs lèvres rouges
sur des mots ronds qui fondent

car tout va s’effacer
la vie se perdre,
si rien dans le poème
ne continue
comme un petit vent plein
de secrets et
qui ne souffle mot, mais
se contenterait

de respirer tout bas.

Guy Goffette 
Poète et écrivain belge, né en 1947. Il vit et travaille à Paris où il est lecteur chez Gallimard. Il a été tour à tour enseignant, libraire, éditeur. 
→ Sa biographie sur Wikipédia

Le bal des chauves-souris

Elles attendent la nuit avec impatience
Toute la journée invisibles et cachées
Les chauves-souris
Se reposent et digèrent leur repas de la veille
Dans les cavités de pins géants
Creusées par des pics tapageurs

Puis quand la lune et les étoiles
Se pointent le nez dans le noir firmament
Et que le néon du réverbère en bas du vieux manoir
Attire par milliers papillons et insectes
Oups ! Vlim ! Vlan !
Les voilà nos belles de nuit
Les chauves-souris
Ces vampires disciples et rivales de Dracula
Terreur et cauchemar des petits et des grands
Elles quittent en trombe leur nid ou tombeau
Toutes excitées et hystériques
Devant pareil festin et banquet
Elles farandolent comme des folles
Gobant des milliers de bestioles
Et se remplissent la panse à craquer

Vroum ! Vlim ! Broum !
Le voilà le bal des chiroptères
Qui commence et que la fête continue
Wow ! Toute la famille est au rendez-vous
Noctules
Oreillards
Pipistrelles
Vampires
Rhinolophes
Roussettes
Vespertilions
Elles nous frôlent le toupet
Elles virevoltent et tournent autour du réverbère
Les chauves-souris
Nous offrent un spectacle féerique
Danse endiablée et fringale insatiable
Nous hôtes improvisés et sidérés
À deux doigts du torrent enragé
Nous spectres et fantômes de minuit
Contemplons éberlués et en silence
L’étrange gigue ou salsa
Ces insolites pirouettes
Ces surprenants tonneaux
Ces vrilles aériennes
D’un spectacle nocturne inusité
Le bal des chauves-souris

Guy Rancourt
Guy Rancourt est né au Québec en 1948. Il a été professeur de philosophie dans plusieurs collèges et profite de sa retraite depuis 2005. Il s'adonne à l'écriture, la poésie en particulier, mais aussi les contes et les nouvelles.
D'autres poèmes sur poesie.webnet.fr

Les orchidées des soirs sans lune

Un homme ramasse les fragments de charbon qui jonchent la ligne de chemin de fer.
Les soubresauts du train assurent son bonheur.
Le charbon tombé remplit un sac de patates.
Pour lui, la voie du chemin de fer est comme un poulailler.
Il longe les rails dans les bottes du buveur d'herbes sèches pour ne pas réveiller le coq qui dort.
De ses semelles de paille, il effleure le sol sans déranger les poules qui pondent les oeufs coke de la misère.

 

Célédonio Villar-Garcia
Né en Espagne en 1959. Il vit en France depuis 1965.
Son profil sur Google +

Matière première

Mots

mots immortels

de cil de ficelle de poudre de sel et de fleur

humides mauves vermoulus pâles et carnivores

mots de cire rouge et de larmes

de baisers et de flambeaux de
Judas

pointus têtus nerveux obtus ventrus et lourds

mots de la fin mots de la rime

aux accouplements dangereux

aux liaisons faciles

aux maladies incurables

mots lapsus malades de la peste

monumentaux et orgueilleux

aux bijoux de fautes d'orthographe

mots criminels et purs

décapités sur l'échafaud de la censure

mots mes bons camarades d'orgie

des nuits de neige et de plume

mots torturés au lance-flammes

mots à la taille de gazelle

à l'épidermc de velours rouge

aux jambages de french cancan

à la silhouette fuyante de marlou

mots qui portez chapeau melon

cachés dans les pianos et les trompettes de jazz

mots tabourets

qui êtes une injure permanente et gratuite

mots de perdition et de déraillement

de
Babel de carnaval et d'hiéroglyphe

mots qui faites à présent l'amour

stylets de la durée exacte

amulettes et chiffres d'or

maîtres magiques des objets

serpents de la dialectique

mots créateurs brûlants qui nous livrez le monde

croissez multipliez plus cruels et plus forts

21 juin 1940

Achille Chavêe (1906-1969)
Poète belge, Il est une figure du surréalisme wallon hennuyer.
→ Sa biographie sur Wikipédia

Silenzio

Silenzio !
Ne réveillez point l’enfant qui dort
sur le ventre de sa maman,
soudé aux tétins qui l’allaitent.
Il rêve aux anges.

Silenzio !
Ne réveillez point la petite nyctale qui roupille
sur la branche du saule pleureur,
perchée au-dessus de l’étang aux quenouilles.
Elle rêve aux nuits chaudes de l’été.

Silenzio !
Ne réveillez point le vieillard qui somnole
sur la balancelle avec un panama usé,
calé sur son crâne chauve.
Il rêve aux folies de sa lointaine jeunesse.

Silenzio !
Ne réveillez point l’ado qui ronfle
sur le canapé délabré,
délavé et zébré de griffes de son matou marabout.
Il rêve aux belles filles vues sur son portable.

Silenzio !
Ne réveillez point la chenille immobile
sur sa feuille de châtaigner,
trouée comme Gruyère avec ses ventouses voraces.
Elle rêve au grand monarque impérial.

Silenzio !
Ne réveillez point le poète assoupi
près de l’ordi sur son bureau de travail,
accoudé aux bras de sa chaise tournante.
Il rêve aux sonnets déjà composés.

Silenzio !
Ne réveillez point l’ange qui dort
sur les nuages moelleux près des cieux,
emprisonné dans de souvenirs anciens.
Il rêve à sa vie humaine de jadis.

Guy Rancourt
Guy Rancourt est né au Québec en 1948. Il a été professeur de philosophie dans plusieurs collèges et profite de sa retraite depuis 2005. Il s'adonne à l'écriture, la poésie en particulier, mais aussi les contes et les nouvelles.
D'autres poèmes sur poesie.webnet.fr