Crépuscule sur la grève
La mer, ce soir, est taciturne,
Lourde, lisse, lasse, immobile,
Comme de l'huile dans une urne ;
Et, dans le ciel déjà nocturne,
Un puissant nuage est tranquille.
L'horizon est voilé de brume,
Qui dort dans un fond gris et rouge
Où la fin du jour se consume ;
Sauf lorsqu'une étoile s'allume.
Rien, au ciel, ni sur mer, ne bouge.
Seule dans l'immense étendue
De la silencieuse grève.
Une femme, de deuil vêtue,
Paisible comme une statue,
Sur un rocher assise, rêve.
Son front sous son voile se penche ;
Ses mains, sur ses genoux croisées,
Tiennent entre elles une branche,
Et sa robe aux plis noirs s'épanche
Jusqu'à toucher les eaux bronzées.
La nuit, qui monte du rivage,
De ses crêpes sombres la voile ;
Bientôt de l'immobile image
Rien ne reste que le visage,
Qui semble toucher une étoile.
Puis il s'efface ; et rien n'exprime
La tristesse qui s'accumule
Au dernier instant qui supprime
La figure étrange et sublime,
L'âme humaine du crépuscule.
© Auguste ANGELLIER
Extrait du recueil Le Chemin des saisons (1903)