La marche à l'amour  
  
                                  
Tu as les yeux pers des champs de rosées
                      tu as des yeux d'aventure et d'années-lumière
                      la douceur du fond des brises au mois de mai
                      dans les accompagnements de ma vie en friche
                      avec cette chaleur d'oiseau à ton corps craintif
                      moi qui suis charpente et beaucoup de fardoches
                      moi je fonce à vive allure et entêté d'avenir
                      la tête en bas comme un bison dans son destin
                      la blancheur des nénuphars s'élève jusqu'à ton cou
                      pour la conjuration de mes manitous maléfiques
                      moi qui ai des yeux où ciel et mer s'influencent
                      pour la réverbération de ta mort lointaine
                      avec cette tache errante de chevreuil que tu as
                      
                      tu viendras tout ensoleillée d'existence
                      la bouche envahie par la fraîcheur des herbes
                      le corps mûri par les jardins oubliés
                      où tes seins sont devenus des envoûtements
                      tu te lèves, tu es l'aube dans mes bras
                      où tu changes comme les saisons
                      je te prendrai marcheur d'un pays d'haleine
                      à bout de misères et à bout de démesures
                      je veux te faire aimer la vie notre vie
                      t'aimer fou de racines à feuilles et grave
                      de jour en jour à travers nuits et gués
                      de moellons nos vertus silencieuses
                      je finirai bien par te rencontrer quelque part
                      bon dieu !
                      et contre tout ce qui me rend absent et douloureux
                      par le mince regard qui me reste au fond du froid
                      j'affirme ô mon amour que tu existes
                      je corrige notre vie
                      
                      nous n'irons plus mourir de langueur
                      à des milles de distance dans nos rêves bourrasques
                      des filets de sang dans la soif craquelée de nos lèvres
                      les épaules baignées de vols de mouettes
                      non
                      j'irai te chercher nous vivrons sur la terre
                      la détresse n'est pas incurable qui fait de moi
                      une épave de dérision, un ballon d'indécence
                      un pitre aux larmes d'étincelles et de lésions
                      profondes
                      frappe l'air et le feu de mes soifs
                      coule-moi dans tes mains de ciel de soie
                      la tête la première pour ne plus revenir
                      si ce n'est pour remonter debout à ton flanc
                      nouveau venu de l'amour du monde
                      constelle-moi de ton corps de voie lactée
                      même si j'ai fait de ma vie dans un plongeon
                      une sorte de marais, une espèce de rage noire
                      si je fus cabotin, concasseur de désespoir
                      j'ai quand même idée farouche
                      de t'aimer pour ta pureté
                      de t'aimer pour une tendresse que je n'ai pas connue
                      dans les giboulées d'étoiles de mon ciel
                      l'éclair s'épanouit dans ma chair
                      je passe les poings durs au vent
                      j'ai un coeur de mille chevaux-vapeur
                      j'ai un coeur comme la flamme d'une chandelle
                      toi tu as la tête d'abîme douce n'est-ce pas
                      la nuit de saule dans tes cheveux
                      un visage enneigé de hasards et de fruits
                      un regard entretenu de sources cachées
                      et mille chants d'insectes dans tes veines
                      et mille pluies de pétales dans tes caresses
                      
                      tu es mon amour
                      ma clameur mon bramement
                      tu es mon amour ma ceinture fléchée d'univers
                      ma danse carrée des quatre coins d'horizon
                      le rouet des écheveaux de mon espoir
                      tu es ma réconciliation batailleuse
                      mon murmure de jours à mes cils d'abeille
                      mon eau bleue de fenêtre
                      dans les hauts vols de buildings
                      mon amour
                      de fontaines de haies de ronds-points de fleurs
                      tu es ma chance ouverte et mon encerclement
                      à cause de toi
                      mon courage est un sapin toujours vert
                      et j'ai du chiendent d'achigan plein l'âme
                      tu es belle de tout l'avenir épargné
                      d'une frêle beauté soleilleuse contre l'ombre
                      ouvre-moi tes bras que j'entre au port
                      et mon corps d'amoureux viendra rouler
                      sur les talus du mont Royal
                      orignal, quand tu brames orignal
                      coule-moi dans ta plainte osseuse
                      fais-moi passer tout cabré tout empanaché
                      dans ton appel et ta détermination
                      
                      Montréal est grand comme un désordre universel
                      tu es assise quelque part avec l'ombre et ton coeur
                      ton regard vient luire sur le sommeil des colombes
                      fille dont le visage est ma route aux réverbères
                      quand je plonge dans les nuits de sources
                      si jamais je te rencontre fille
                      après les femmes de la soif glacée
                      je pleurerai te consolerai
                      de tes jours sans pluies et sans quenouilles
                      des circonstances de l'amour dénoué
                      j'allumerai chez toi les phares de la douceur
                      nous nous reposerons dans la lumière
                      de toutes les mers en fleurs de manne
                      puis je jetterai dans ton corps le vent de mon sang
                      tu seras heureuse fille heureuse
                      d'être la femme que tu es dans mes bras
                      le monde entier sera changé en toi et moi
                      
                      la marche à l'amour s'ébruite en un voilier
                      de pas voletant par les lacs de portage
                      mes absolus poings
                      ah violence de délices et d'aval
                      j'aime
                      que j'aime
                      que tu t'avances
                      ma ravie
                      frileuse aux pieds nus sur les frimas de l'aube
                      par ce temps profus d'épilobes en beauté
                      sur ces grèves où l'été
                      pleuvent en longues flammèches les cris des pluviers
                      harmonica du monde lorsque tu passes et cèdes
                      ton corps tiède de pruche à mes bras pagayeurs
                      lorsque nous gisons fleurant la lumière incendiée
                      et qu'en tangage de moisson ourlée de brises
                      je me déploie sur ta fraîche chaleur de cigale
                      je roule en toi
                      tous les saguenays d'eau noire de ma vie
                      je fais naître en toi
                      les frénésies de frayères au fond du coeur d'outaouais
                      puis le cri de l'engoulevent vient s'abattre dans ta
                      gorge
                      terre meuble de l'amour ton corps
                      se soulève en tiges pêle-mêle
                      je suis au centre du monde tel qu'il gronde en moi
                      avec la rumeur de mon âme dans tous les coins
                      je vais jusqu'au bout des comètes de mon sang
                      haletant
                      harcelé de néant
                      et dynamité
                      de petites apocalypses
                      les deux mains dans les furies dans les féeries
                      ô mains
                      ô poings
                      comme des cogneurs de folles tendresses
                      mais que tu m'aimes et si tu m'aimes
                      s'exhalera le froid natal de mes poumons
                      le sang tournera ô grand cirque
                      je sais que tout mon amour
                      sera retourné comme un jardin détruit
                      qu'importe je serai toujours si je suis seul
                      cet homme de lisière à bramer ton nom
                      éperdument malheureux parmi les pluies de trèfles
                      mon amour ô ma plainte
                      de merle-chat dans la nuit buissonneuse
                      ô fou feu froid de la neige
                      beau sexe léger ô ma neige
                      mon amour d'éclairs lapidée
                      morte
                      dans le froid des plus lointaines flammes
                      
                      puis les années m'emportent sens dessus dessous
                      je m'en vais en délabre au bout de mon rouleau
                      des voix murmurent les récits de ton domaine
                      à part moi je me parle
                      que vais-je devenir dans ma force fracassée
                      ma force noire du bout de mes montagnes
                      pour te voir à jamais je déporte mon regard
                      je me tiens aux écoutes des sirènes
                      dans la longue nuit effilée du clocher de
                      Saint-Jacques
                      et parmi ces bouts de temps qui halètent
                      me voici de nouveau campé dans ta légende
                      tes grands yeux qui voient beaucoup de cortèges
                      les chevaux de bois de tes rires
                      tes yeux de paille et d'or
                      seront toujours au fond de mon coeur
                      et ils traverseront les siècles
                      
                      je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi
                      lentement je m'affale de tout mon long dans l'âme
                      je marche à toi, je titube à toi, je bois
                      à la gourde vide du sens de la vie
                      à ces pas semés dans les rues sans nord ni sud
                      à ces taloches de vent sans queue et sans tête
                      je n'ai plus de visage pour l'amour
                      je n'ai plus de visage pour rien de rien
                      parfois je m'assois par pitié de moi
                      j'ouvre mes bras à la croix des sommeils
                      mon corps est un dernier réseau de tics amoureux
                      avec à mes doigts les ficelles des souvenirs perdus
                      je n'attends pas à demain je t'attends
                      je n'attends pas la fin du monde je t'attends
                    dégagé de la fausse auréole de ma vie
© Gaston MIRON 
                    
                    
