Chanson noire
Mon sombre amour d'orange amère
Ma chanson d'écluse et de vent
Mon quartier d'ombre où vient rêvant
Mourir la mer
Mon doux mois d'août dont le ciel pleut
Des étoiles sur les monts calmes
Ma songerie aux murs de palme
Où l'air est bleu
Mes bras d'or mes faibles merveilles
Renaissent ma soif et ma faim
Collier collier des soirs sans fin
Où le coeur veille
Dire que je puis disparaître
Sans t'avoir tressé tous les joncs
Dispersé l'essaim des pigeons
A ta fenêtre
Sans faire flèche du matin
Flèche du trouble et de la fleur
De l'eau fraîche et de la douleur
Dont tu m'atteins
Est-ce qu'on sait ce qui se passe
C'est peut-être bien ce tantôt
Que l'on jettera le manteau
Dessus ma face
Et tout ce langage perdu
Ce trésor dans la fondrière
Mon cri recouvert de prières
Mon champ vendu
Je ne regrette rien qu'avoir
La bouche pleine de mots tus
Et dressé trop peu de statues
À ta mémoire
Ah tandis encore qu'il bat
Ce coeur usé contre sa cage
Pour Elle qu'un dernier saccage
La mette bas
Coupez ma gorge et les pivoines
Vite apportez mon vin mon sang
Pour lui plaire comme en passant
Font les avoines
Il me reste si peu de temps
Pour aller au bout de moi-même
Et pour crier Dieu que je t'aime
Je t'aime tant
© Louis ARAGON