La poésie gourmandise
La fin de la faim de l'ogre
Poèmes pressés
Alors commençons :
Je t’aime comme si
Et comme ça
Salsifis
Et rutabaga
Salé poivré
Très épicé
Grillé doré
Ou crudité
Salade de fruits
Pizza raviolis
Ananas et poule au riz
Sans oublier
Trois cuillerées
De crème fouettée
Ah oui
L’amour me donne
De l’appétit
A la petite épicerie
A la petite épicerie,
On trouve de tout, oui, de tout :
Du sel, des clous, de la vanille,
Du pain de seigle, du saindoux.
A la petite épicerie,
On trouve de tout, oui, de tout.
Et lorsque c'est la jeune fille
Qui vous demande tout à coup :
"Mon bon Monsieur, que voulez-vous ?"
On dirait que le soleil rit
Entre les pommes et les choux,
Dans la petite épicerie
Où l'on a chaque fois envie
De répondre en tendant ses sous :
"Je voudrais de tout, oui, de tout ."
Sortilèges en cuisine
Hélàs … Il me faut préparer,
Sans plus attendre ni tarder,
Les mille-et-un plats d’un dîner …
Je saisis une casserole,
Mais d’humeur fantasque et frivole,
Par la fenêtre elle s’envole !
Le saladier qui somnolait
Sur son étagère, en retrait,
Prétend danser le menuet !
Voici soudain que la spatule,
Se trouvant terne et ridicule,
S’en va tourner sur la pendule !
Entre les légumes tranchés
Et tous ces agrumes pressés,
Mes dix doigts se sont enrhumés !
Les épices, les aromates,
Eternuent parmi les tomates
Dont les couleurs sont bien trop plates !
Qu’a donc la branche de cerfeuil
A faire soudain un clin d’œil
Au chat qui guette sur le seuil ?
Où diantre est passée la passoire ?
Je le demande à l’écumoire,
Mais elle a des trous de mémoire !
Le buffet chante un opéra,
D’un timbre léger de castrat,
Pour la fourchette posée là !
Et c’est une élégante tasse
Qui lance d’une voix de basse :
« Du calme, sinon je me casse ! »
La louche siffle la mi-temps,
Et les couvercles turbulents
Se disputent la clef des champs !
Quelle est donc cette ronde folle,
Plus vive qu’une farandole,
Où tout s’ébranle, où tout s’affole ?
C’est ce vieux farceur de couteau
Qui fait la cour au pichet d’eau
Sur un rythme de flamenco !
Peut-il se voir audace pire
Que celle de la poêle à frire ?
Car c’est de moi qu’elle ose rire !
C’est dit ! Je rends mon tablier,
Il serait bien vain d’essayer
De cuisiner ! Ils ont gagné.
Je romps avec ces artifices,
Sortilèges et maléfices !
Je rejoins les Muses propices …
Le marché
Sur la petite place, au lever de l’aurore,
Le marché rit joyeux, bruyant, multicolore,
Pêle-mêle étalant sur ses tréteaux boiteux
Ses fromages, ses fruits, son miel, ses paniers d’oeufs,
Et, sur la dalle où coule une eau toujours nouvelle,
Ses poissons d’argent clair, qu’une âpre odeur révèle.
Mylène, sa petite Alidé par la main,
Dans la foule se fraie avec peine un chemin,
S’attarde à chaque étal, va, vient, revient, s’arrête,
Aux appels trop pressants parfois tourne la tête,
Soupèse quelque fruit, marchande les primeurs
Ou s’éloigne au milieu d’insolentes clameurs.
L’enfant la suit, heureuse ; elle adore la foule,
Les cris, les grognements, le vent frais, l’eau qui coule,
L’auberge au seuil bruyant, les petits ânes gris,
Et le pavé jonché partout de verts débris.
Mylène a fait son choix de fruits et de légumes ;
Elle ajoute un canard vivant aux belles plumes !
Alidé bat des mains, quand, pour la contenter,
La mère donne enfin son panier à porter.
La charge fait plier son bras, mais déjà fière,
L’enfant part sans rien dire et se cambre en arrière,
Pendant que le canard, discordant prisonnier,
Crie et passe un bec jaune aux treilles du panier.
Le thé
Miss Ellen, versez-moi le Thé
Dans la belle tasse chinoise,
Où des poissons d’or cherchent noise
Au monstre rose épouvanté.
J’aime la folle cruauté
Des chimères qu’on apprivoise :
Miss Ellen, versez-moi le Thé
Dans la belle tasse chinoise.
Là, sous un ciel rouge irrité,
Une dame fière et sournoise
Montre en ses longs yeux de turquoise
L’extase et la naïveté :
Miss Ellen, versez-moi le Thé.
Potager basque
Le rouge du piment, celui de la tomate,
Luisent joyeusement contre le petit mur.
Le bel oignon de cuivre et le melon trop mûr
Joignent leur blondeur fauve à la gamme écarlate.
Des grains de malaga qui font songer aux dattes
Achèvent de confire au haut du petit mur.
Le cardonnette en fleurs mêle une ombre d’azur
Aux doigts fins de l’hysope offrant ses aromates,
Mais le crépi de cahxu qui par morceaux éclate
Semble jusqu’à la nuit, le long du petit mur,
Réfléchir un soleil si blanc, tapant si dur,
Que les lézards ont dû fermer leurs yeux d’agate.
Les effarés
Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s’allume,
Leurs culs en rond
A genoux, cinq petits, -misère!-
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond…
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise, et qui l’enfourne
Dans un trou clair.
Ils écoutent le bon pain cuire.
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge
Au souffle du soupirail rouge
Chaud comme un sein.
Et quand, pendant que minuit sonne,
Façonné, pétillant et jaune,
On sort le pain,
Quand, sous les poutres enfumées
Chantent les croûtes parfumées
Et les grillons,
Quand ce trou chaud souffle la vie;
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,
Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits pleins de givre,
- Qu’ils sont là, tous,
Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,
Mais bien bas, - comme une prière…
Repliés vers cette lumière
Du ciel rouvert,
- Si fort, qu’ils crèvent leur culotte
- Et que leur lange blanc tremblotte
Au vent d’hiver…