La poésie est élément. Elle est irréductible, incorruptible et réfractaire.
Comme la mer, elle dit à chaque fois ce qu'elle a à dire.
Victor Hugo 

Couchant

Au sel de l'azur, survient une mouette

Qui, de son aile, au blason des rivages,

Rie à ceux qui se poudrent d'embruns,

Lorsque la vague acrimonieuse

Roule, éternue en pléiade de gouttelettes

Puis doucement se pare de bijoux coquillages.

Ecoutez ! Elle ne gronde pas, elle geint

Et murmure des sentences mystérieuses.


Le ciel a vomi son ozone en un lit de galets

Comme autant de runes. Cherche-t-il son destin ?

Au pied des carrelets, en géantes toiles,

L'arachnide du temps brode nos secondes

Et des manteaux d'argent aux ingambes mulets

Que des oiseaux de mer convoitent en festin.

Sur un trait d'horizon, se mirent quelques voiles,

Des rêves de marins, des couleurs vagabondes.


Dos à la falaise, n'être qu'insignifiance du rien

Et déjà suffisance pour autant de splendeurs.

Mais que dire des blandices d'alizés lointains

Venues murmurer les mélopées des sirènes ?

Ivre du vent, je m'ennuage en un baume aérien

Et emplis mes poumons à l'éther du bonheur,

Enfin, la mer s'est couchée sur le sable libertin

Honorant l'horizon, demandant de clore la scène.

 

Premier Prix
Pascal Fouquet

17 Chaniers

Aux voleurs !

Tapageur, noir et dense un vol de sansonnets

S'abattant chaparde mes griottes,

Un tapis de noyaux jonche le gazon sec.

 

Adieu guignes au kirsch et clafoutis gourmands !

D'un prunier de Damas les branches alourdies

D'une heureuse provende ont cédé sous la charge.

Les fourmis queue leu leu s'ensuquent de sirop.

Du chaudron trop profond, la confiture est cuite !

De la treille roussâtre aux sarments chevelus,

Les guêpes bruyamment en un essaim vorace

Vendangent les grains d'or que septembre a mûris

L'alambic est muet, point de marc au tonneau !

Tel le ver à la pomme ou la loche aux laitues,

L'écureuil au noyer que pourchasse l'agasse,

J'irai piller le miel de la ruche enfumée...

Et mon grog au temps froid me chantera l'été !

 

Deuxième Prix
Marie-Claude Galloyer

78 Mesnil-le-Roi

Essex

Je porte ici mémoire d'un beau trois-mâts carré

En vous contant l'histoire d'un navire oublié.

Des rivages des Açores aux îles Société

Je fus le mousse du bord, oyez mon odyssée !

Il avait nom l'Essex, faisait près de cent pieds,

Une ossature de chêne, un pavois, des bordés

Et au fond de ses cales, de longs harpons d'acier.

Traquant le cachalot, c'était un baleinier.

En mille huit cent dix neuf, à la fin de l'été

Partîmes de Nantucket pour au moins deux années.

Année mille huit cent vingt, le dix-neuf de novembre

Au cœur de l'offshore-ground, croisâmes la destinée.

Un énorme cachalot par deux fois a frappé,

Curieux retour du sort, le chasseur est chassé.

Abordé par la proue et puis sur le bordé,

Sa coque disloquée, le navire a sombré.

Nous étions dix-neuf hommes, harponneurs et gabiers,

Et dans trois baleinières avons pu embarquer.

Sans eau ni nourriture, épuisés, ballottés

Durant plus de cent jours nous avons espéré.

Comme un petit navire vous l'a déjà conté

Il faut parfois pour vivre franchir quelques fossés.

Ce fut ici le cas, simplement pour durer.

Au jeu de courte paille, il nous fallut jouer.

Nickerson est mon nom, Thomas suis prénommé.

Un des rares survivants d'une triste équipée.

Bien des années plus tard j'ai souhaité la conter.

J'étais le mousse à bord, j'en fus l'épistolier.

 

Troisième Prix
Martial David

44 Bouaye

Image : Thomas Nickerson

Le pirate

L'été dernier sur une plage,

J'ai ramassé deux coquillages,

Un bout de bois, je saucissonne,

J'ai fabriqué un téléphone.

Je l'ai porté à mon oreille,

Et j'ai parlé dans l'appareil,

On m'a répondu aussitôt,

Qui vient perturber le repos

Du capitaine Le Guémeneur,

Surnommé Yvon le sans-coeur ?

J'ai bredouillé quelques excuses,

Pardon Monsieur, suis très confuse.

Une femme joue donc l'intruse,

Diantre, la bougresse m'amuse,

Aujourd'hui, je serai courtois

Car vous ignorez mes exploits.

Sur mon trois-mâts, Fou de Bassan,

J'ai enduré les rugissants,

J'ai parcouru les océans,

Soumettant des voiliers géants,

A la pointe de ma rapière

Pour devenir un vrai corsaire.

Le plus hardi navigateur,

Tremblait au nom de Guémeneur,

Et préférait se dérouter,

Plutôt que devoir m'affronter.

Le vent se lève, moussaillon,

Voguons au sud, vers les galions,

Adieu Madame, l'or nous attend,

Morbleu, du nerf au cabestan !

Dans le sable mou j'ai creusé,

Ai déposé le combiné...

 

Prix Spécial du Jury
Sylvaine Le Querrec

56 Berné

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Detrás de la cortina

Murs roses, volets verts et rideau noir

Et, juste entr'aperçu le catalpa...

Où va l'amour que l'on ne donne pas ?

Ton souffle court au hasard, sans savoir

Et, juste entr'aperçu le catalpa...

Prends notre temps, nous n'en avons plus tant,

Et fais le vide autour de cet instant

Qui nous chavire et qui porte nos pas.

Où va l'amour que l'on ne donne pas ?

La pluie de nuit faucarde les mémoires

Et l'eau du cœur cherche son déversoir.

¿ Que habrá detrás de la cortina ?

Ton souffle court au hasard, sans savoir

Qui nous chavire et qui porte nos pas.

¿ Que habrá detrás de la cortina ?

Murs roses, volets verts et rideau noir...

 

Mention Honorable
Maryse Decool

62 Bétune

Favelas

La ville s'assoupit et les seins soulevés
Des collines sans nom allaitent le silence.
Quelque part, dans la nuit, comme une fulgurance
Un cri s'élève et meurt, appel inachevé,
Râle d'une agonie ou de pauvre jouissance.

Naufragés des taudis, à l'heure où le sang bat
Dans le déhanchement de noires bacchanales,
Des marins de sueur à l'arrogance mâle
Cueillent à pleine paume, au rythme des sambas,
Les croupes ondulant d'aphrodites vénales.

Dans ces jeux de l'amour où les bandit-manchots
Pour vingt dollars froissés dans la main qui transpire
Ouvrent la fille offerte, avide tirelire,
On ne sait qui se perd, Carlota ou Sancho,
Quand l'aube ensommeillée dans le brouillard s'étire.

Comment peut-on aimer, dis-moi, par quel credo
Insensé balisant ce chemin de détresse
Peut-on quérir en l'autre, inaudible déesse
D'une Olympe embrassé par le Corcovado,
Les éthers frelatés d'une infinie tristesse ?

Des favelas de suie on devine, incertains,
Des corps se mélangeant ainsi que des racines
Dans l'humus d'un délire où Dieu même hallucine.
Et quand s'évanouit la ronde des putains
La nuit exsangue geint, que l'aurore assassine.

 

Premier Prix
Guy Vielfault

77 Croissy-Beaubourg

Camargue

Un cheval blanc galope bref rai de lumière
Sous le feu du couchant, le vent dans la crinière,
Affleure des marais en des gerbes d'argent,
Entraînant son troupeau, libre vers les étangs.
Se mirent dans ces eaux le rose des flamants,
Le cuivré de l'azur, les vifs reflets mouvants
De ces ardents coursiers, fiers dans le contre-jour,
Piaffant et s'ébrouant, se cabrant tour à tour.
Soudain, ils se figent au fracas des taureaux,
Dans l'immense étendue, loin des verts boqueteaux,
Manade dansante sous les cris des gardians,
Fonçant vers un enclos dans un bruit éclatant.
Ils jaillissent de l'eau, s'éparpillent grisés,
Un feu d'artifice de gouttes irisées,
Dans le soir qui descend, ils s'évanouissent au loin.
Là-bas, à l'horizon, le soleil les rejoint.
Dans la nuit veloutée, les grenouilles chantonnent
Puis plongent au milieu des roseaux qui frissonnent
Sous un souffle marin et tandis qu'au lointain
Des rythmes sont créés en frappant dans les mains.
Le chant des gitans suit le tempo des guitares,
S'envole dans les nues, résonne puis s'égare.
Près d'eux un feu rougeoie, étincellent ses flammes,
S'y dessine la silhouette d'une femme
Dont la robe tournoie. Son corps tangue en cadence,
Sensuels ses doigts dansent pénétrés d'indécence.
Elle tape le sol de ses pieds nus et frêles
Tout en virevoltant sans retenue réelle ;
Enfin les voix meurent, les lumières s'effacent,
Les ferveurs se calment. Des bruits d'ailes, fugaces,
Camargue tu t'endors dans la nuit brune.
L'ombre d'un cheval blanc joue dans le clair de lune.

 

Deuxième Prix
Daniel Zonca

17 Meschers-sur-Gironde

La vague et le mot

En vers de mirliton, il me vient en la tête
(Un pauvre mirliton qui se croit un poète !)
Des mots dans tous les sens. Mais sont-ce bien des mots,
Ces lettres alignées ? Ou des phrases de maux ?

Je suis comme la vague avant de déferler :
Elle gonfle, elle monte et s'en vient éclater
Sur la roche agressive... ou s'en vient s'étaler
Sur la grève de sable en un voile diapré.

Le reflet de la vague est comme une écriture,
Tantôt nuage noir, tantôt ciel d'un bleu pur ;
Car il en est des eaux comme il en est des mots :
Certaines eaux sont claires, certains mots sont très beaux.

La vague en s'élevant déroule en longue fresque
Un rouleau galonné de folles arabesques.
La main, en écrivant, trace sur le feuillet
Des mots à pleine page, ou des mots en billets...

Sur le sable bruni la vague effacera
Les dessins éphémères que la main tracera.
Sur le papier jauni ma plume gravera
Des mots venus de moi que mon coeur dictera.

De la vague et du mot chacun a sa raison :
Si l'onde efface tout, le mot exhausse tout,
D'une rose en bouton venant en floraison,
A ce tout petit rien faisant d'un rien un tout.

Comme aux jours de marées, mon coeur veut déborder.
Les mots se précipitent, vont se bousculer...
La plage de papier se couvre d'une houle
De noms et d'adjectifs, verbes venus en foule,

Tous ces mots trop longtemps retenus prisonniers
S'échappent à présent, prennent leur liberté...
Bien au-dessus du lot, ils volent vers le ciel
Et me font un sourire en un battement d'aile.

 

Troisième Prix
Pierre-Etienne Girard

17 Sablonceaux

La mort du phoque

Il a surgi soudain de la profonde nuit,
Traquant le phoque noir sur la gangue de glace ;
Sur la banquise morne, à pas lents se déplace,
Près de l'humble habitat du vieux chasseur inuit.

L'ours a jeûné des mois dans sa sombre tanière,
Hurlant tel un damné son insatiable faim,
La saison des banquets va reparaître enfin :
Il repart à l'assaut de la nature fière.

De son large museau, flairant le malheureux,
Sur l'animal qui tremble, exhale un souffle fauve ;
Le sol immaculé se teinte alors de mauve :
Dans le profonde silence un râle monte, affreux.

Grognant de volupté pour ce festin macabre,
Dans le corps tiède et gras de la bête aux flancs ronds,
Plante griffes d'acier comme des éperons,
Lui arrache le coeur avec se dents de sabre.

Au-dessus du cadavre, à présent resté seul,
L'immense ciel témoin de l'horrible supplice,
Détourne son regard, honteux d'être complice ;
Drapant les os blanchis, de neige pour linceul.

 

Prix Spécial du Jury
Suzanne Alvarez

83 Draguignan

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Lumières vespérales

Le disque incandescent se prépare pour la nuit...
La lune avec douceur, assiste à la magie
Chaque soir renouvelée de l'union vespérale
Du soleil qui s'endort dans les bras de la nuit
En noces triomphales !...

Le ciel s'est enflammé de lueurs écarlates,
Jaspé de-ci de-là de filaments blanchâtres
Entremêlés de serpentins dorés
Striant son bleu profond de sillons effilés

Du jaune et du violet se fondent dans le rose
Dont le ciel, tout à coup, dans sa métamorphose
Affichant sans complexes sa parure grandiose,
S'est triompalement vêtu jusqu'à l'apothéose...

Un voile encore bleuté s'étale tout autour,
Comme une large traîne qui brille à contre-jour,
A l'instant où la nuit prépare le berceau
Dans lequel va sombrer le plus beau des joyaux.

Au-dessus de la Seudre, dans la douceur du soir,
Le ciel un peu rosé, s'est soudain assombri...
L'eau du fleuve, irisée, semble garder l'espoir,
D'un firmament serein à la gloire de la nuit.

Le moulin à marées longtemps illuminé
Par l'astre du jour prodigue et désintéressé,
S'évanouit lentement dans l'ombre de la nuit,
Nous laissant deviner se silhouette massive brusquement endormie.

Demain, reparaîtra dès le petit matin,
Resplendissant, majestueux,
Etincelant à nouveau de ses feux,
Fidèle et radieux, beau, digne et prestigieux
Imposant, pareil à un pacha glorieux...
Le disque d'or, tel un bijou dans son écrin !...

 

Mention Honorable
Simone Maréchal

17 Etaules

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Par-delà les Alpes

Deux autres éléphants mourront avant ce soir
La neige nuit et jour transperce nos cuirasses,
Mes doigts sont engourdis et mes jambes sont lasses,
Et je dois enflammer mes troupes d'un espoir

Que je crois quelquefois ne plus moi-même avoir ;
Je ne regrette plus Carthage et ses palaces,
Ni ne rêve aux honneurs, ni ne crains les disgrâces,
Mais suivrai par-delà les Alpes mon devoir.

Je ne suis plus de ces amants de la Victoire
Qui, sourds à la raison, n'écoutent que leur gloire :
Ces héros ont la terre entière pour tombeau ;

Quant à moi, je veux bien, sous quelque informe butte,
Reposer dans l'oubli, sans stèle et sans flambeau,
Si je puis t'entraîner, ô Rome ! dans ma chute.

 

Premier Prix
Aurélien Clause

57 Metz

Marron

J'ai quitté Fort-Royal
Sans prévenir les miens qui n'auraient pas compris
Sans jeter un regard à la case endormie.
Sous le ciel étoilé, je marche d'un pas lourd.

Sitôt l'aube argentée, je déserte les pistes,
Me fraye, à la machette, un chemin dans les herbes.
Le soleil est de plomb, l'atmosphère étouffante,
Mes jambes en coton.

Il doit être midi.
Je rafraîchis ma nuque, au filet d'un ruisseau,
M'adosse au tronc charnu d'un courbaril en fleurs
Pour manger la cassave et l'épi de maïs.

Je pense à ma famille.
Je suis différent d'eux qui plient sous la férule.
Je peux tout endurer, que le maître me fouette,
Qu'il m'enchaîne au poteau, pas qu'il touche à ma mère !

Je sommeille, bercé par le chant des courlis
Lorsque l'aboi d'un chien me réveille en sursaut.
S'ils retrouvent ma trace, ils seront sans pitié.
Vite, il me faut partir !

Je cours, la peur aux trousses
Jusqu'à l'Anse Couleuvre et la fin du voyage.
Foulant le sable noir, je m'élance au profond
De la mer Caraïbe au miroir céladon.

Surplombant l'océan, la montagne Pelée
M'invite en sa forêt luxuriante et sauvage.
Là, savent se terrer mes frères de malheur,
Les esclaves marrons.

J'ai quinze ans, je suis libre et j'entre en résistance !

 

Deuxième Prix
Claudine Hillard

85 Les Sables-d'Olonne

xc

Nostalgie

J'ai retrouvé le manteau bleu de mon enfance,
Ratatiné, transi, sur un clou de l'oubli ;
Il espérait encore un geste, une présence,
Je l'avais suspendu après avoir grandi.

Dans sa poche entr'ouverte aux flancs de tirelire,
Sommeillait un sanglot niché sous une peur,
Un espoir ébahi a sauté sans rien dire,
En traînant avec lui, un lambeau de bonheur.

J'ai agrippé alors un pan de sa doublure,
Il a gémi tout bas et grimacé très fort
Et puis, s'est déchiré depuis son encolure
Jusqu'à l'ourlet béant, pâle comme un remords.

En appuyant mon front sur son épaule lasse
Où frisottaient encore un ou deux cheveux bruns,
Ma joue a regagné exactement sa place
Dans les plis de la manche où rôdaient mes parfums.

Des rires maladroits, éveillés par mégarde,
Tremblaient l'un contre l'autre, inquiets du lendemain
Ils écoutaient de loin une joie trop bavarde
Qui, parfois, se taisait et cherchait son chemin.

J'ai caressé longtemps la fripe endolorie,
Contre mon cœur ému, j'appuyais son corps froid ;
Sur son dos fatigué et sa face sans vie
Je suivais doucement la trace de mon doigt.

Quand je ne serai plus, ce souvenir d'enfance
Aura quitté sans bruit le vieux monde pervers
Et laissé s'épuiser mes moments d'espérance
Que j'avais oubliés dans mon vieil univers.

 

Troisième Prix
Andrée Marquis-Duez

62 Angres

Le vieux puits

« Vieux puits, raconte-moi un peu de ta mémoire,
Tes moments bleus, tes moments noirs,
Un peu de ton intimité,
En hiver, en été, la journée et le soir :
Vieux puits, raconte-moi un peu de ton passé...

Tu les as bien connus ces braves gens vaillants
Aux mains calleuses, aux doigts saignants,
Venus tirer de tes entrailles
Ton eau que tu offrais au prix d'efforts poignants :
Vieux puits, raconte-moi cette noble piétaille...

Tu as vécu le drame de cet adolescent
Victime d'un accès puissant
D'Eros à l'arc au trait cruel,
Que tu as vu mourir dans ton fond croupissant :
Vieux puits, raconte-moi ce chagrin éternel...

Et tu fus le témoin des amours interdites,
Des grands aveux, des joies maudites,
De deux amants enamourés
Venus sur toi la nuit profiter de ton gîte :
Vieux puits, raconte-moi ce secret satané...

La mousse a recouvert d'un sombre manteau vert
De trop d'étés, de trop d'hivers,
Tes vieilles pierres et ton vieux seau
Qui dort à tes côtés, et ce n'est pas d'hier :
Vieux puits, raconte-moi ta vie de jouvenceau...

Mes mains ont caressé ce témoin immobile,
Passé muet, force tranquille,
Trésor vivant, musée sacré,
Vous le faites souffrir, souvenirs indociles :
Vieux puits, ne me dis rien, j'aime m'imaginer... »

 

Prix Spécial du Jury
Robert Faucher

69 Communay

er

Côte d'Opale

Quand vient le temps d'hiver sur la Côte d'Opale,
L'horizon se défend de tout éclat trop vif
Et les cieux embués déversent leur eau pâle
Sur des flots effrénés qui se voudraient lascifs.

Le fort, sur les rochers, projette son reflet
Et guette le flobart au retour des marées ;
Sur l'estran désolé qui compte ses galets,
Des frissons éraflent les flaques égarées.

Le tumulte bourru du vent échevelé
Cingle de sa fureur les dunes aux longs cils,
Leur fait courber l'échine en sa course affolée,
Et du septentrion libère le grésil.

A deux pas de la ville, à l'abri des regards,
Les villas potelées, repliées sous les pins,
Se rient des éléments, assoupies à l'écart,
Leurs pupilles éteintes sous leurs volets peints.

Il n'est pas un géant, fût-il nommé Hiver,
Qui pourrait infléchir le fier pays d'Opale
Façonné par la bise, ouvragé par la mer,
Riche d'une chaleur que nulle autre n'égale.

 

Mention Honorable
Maryse Decool

62 Béthune

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Jardin public

Bercés par l'adagio de leur destin,
Les vieux messieurs fixent la pelouse,
La canne coiffée du dôme des mains.
Qu'il est loin le temps des craies et des blouses...

Les vieux messieurs fixent la pelouse
Tandis que le vent doux brise leur coeur.
Qu'il est loin le temps des craies et des blouses...
L'un deux se lève avec gêne et pudeur.

Tandis que le vent doux brise leur coeur,
Les autres vérifient leur décrépitude.
L'un deux se lève avec gêne et pudeur,
L'âme éclaboussée de solitude.

Les autres vérifient leur décrépitude
D'un seul regard triste, déjà lunaire,
L'âme éclaboussée de solitude.
-Ô, noëls et veillées de naguère !-

D'un seul regard triste, déjà lunaire,
Ils songent aux larmes, aux joies fortes
-Ô, noëls et veillées de naguère !-
Ou enlacent leurs amantes mortes.

Ils songent aux larmes, aux joies fortes,
La canne coiffée du dôme des mains,
Ou enlacent leur amantes mortes,
Bercés par l'adagio de leur destin.

 

Premier Prix
Sylvette Simon

69 Chaponnay

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A l'écume de l'encre

Il ne refleurit plus mon jardin poétique
Et végète en jachère au solstice d'été,
Car l'inspiration de façon sabbatique
Se déleste parfois de créativité.

Je médite en silence, à quand joli poème ?
Il semble prisonnier de quelques barbelés.
Comment déverrouiller la clé de ce problème
Qui bloque mes esprits vraiment écervelés ?

Une terre infertile essaime mauvaise herbe,
Or le vieux sage a dit, chuchotant un conseil,
Se remettre à l'ouvrage et stimuler le verbe
En titillant la muse en son obscur sommeil.

C'est une certitude à l'assaut d'une panne,
Mais j'aperçois l'étoile en ce cosmos teinté.
Je balise une sente au coeur de ma savane
En ouvrant une porte avec dextérité.

Korrigane en bon maître insuffle sa magie
Pour modeler l'arpège, il suffit d'un essor.
Au plaisir moissonneur, renaît la poésie
Tissant l'alexandrin sans un état-major.

Oui j'adore les vers déferlant sur ma page...
A l'écume de l'encre, une danse de mots
Me procure l'ivresse et me prend en otage
Comme un amour unique au rouge des pavots.

 

Deuxième Prix
Claudine Guicheney

33 Langon

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Le semi-poète

On dit : "C'est en forgeant qu'on devient forgeron",
Que c'est au pied du mur qu'on trouve le maçon.
N'y aurait-il besoin qu'empoigner la truelle,
La tranche ou le marteau ? Vous me la baillez belle.

Ainsi, en écrivant, serait-on écrivain ?
Là, guère je n'y crois ; ce n'est pas pour demain
Que la simple occasion de faire la plume
Engendre un Montesquieu ; que le diable m'emplume !

Et le poète alors ? Suffirait-il ma foi,
Pour des oeuvres de gens procédant comme moi,
Qui rehausse mes mots de quelque pauvre rime,
De les nommer "sonnets" avec un "dix" en prime ?

Un poète est, je crois, quelqu'un d'une autre essence,
Un sujet imprégné par une eau de jouvence,
Qui entrevoit lui-même au-delà du concret,
Le lyrisme émergeant, l'esprit fin et discret.

Braves gens des jurys, montrez-vous indulgents !
Semi-poète ému, je dis ce que je sens
Comme cela me vient, de manière empirique
Moi qu'on n'a pas trempé dans la potion magique.

 

Deuxième Prix
Roger Martini

24 Firbeix

Son site : http://roger-martini122.monsite-orange.fr/

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Léa

Paris, ses cafés noirs qu'on boit en solitaire, 
La Tour Eiffel rouillée et les chalands qui traînent, 
Le métro tortillant comme un long ver de terre 
Vers la butte Montmartre, te diront que je t'aime. 

Comme le caillou rond lancé dans un étang 
Qui fronce tournoyant le miroir des fontaines, 
Comme cette hirondelle annonce le printemps 
Ce bonbon parfumé te dira que je t'aime. 

J'ai cueilli au printemps, une fleur qui respire 
Comme un chat ronronnant éperdument s'étire 
Tout près d'un feu de bois qui craque et qui rougeoie 
Dans un coin de garrigue, il y a toi, il y a moi.

Pierre Dard

Je t'attends tu sais

Je t'attends tu sais 
J'espère un jour te toucher 
De mon coeur passionné 
De mon âme sucrée 
De mes mains satinées 
Afin que tu vois mon amour démesuré 
Je t'attends tu sais 
Pour ensemble le chemin du bonheur marteler 
S'unir dans la passion et la complicité 
Combattre les soucis de la vie 
En sachant ensemble les affronter 
Sans nous désunir à cause des soucis 
Je t'attends tu sais 
Souhaitant ton bonheur à jamais 
Dans le silence de mes songes diffusés 
Et dans le cahot de la réalité 
Je t'attends tu sais 
Je te prie de ne jamais en douter.

Thierry Dumas

Son site : romanetpoesie.e-monsite.com

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Maman

T'es ma plus belle histoire d'amour
Depuis l'air de mon premier jour
Mes premiers pas étaient pour toi
Dans le doux espace de tes bras
Ils m'ont empêché de tomber
T'es mon plus beau visage d'amour
Toujours sourire jours après jours
Enfance heureuse auprès de toi
T'es mes plus tendres épaules d'amour
Toujours blotti au creux de toi

Quand mes chagrins m'envahissaient
C'est sur elles que j'allais pleurer
Et un nouveau soleil brillait
T'es ma plus belle histoire d'amour
Toujours présente à mes côtés
Quand je criais mes "au secours"

T'es mes plus belles mains d'amour
Quand elles caressaient mes cheveux
Toutes mes angoisses s'en allaient
Amour tendresse rien que pour moi
Toi et moi le temps fut trop court
T'es ma plus belle maman d'amour
Tu viens quelques fois dans mes nuits
Tu me manques moi je m'ennuie

T'es ma plus belle maman d'amour
D'avoir pas dit que je t'aimais
Restera mon plus grand regret
D'avoir pas dit que je t'aimais
Que je t'aimais que je t'aimais.

Maman je t'aime...

Jean-François Millas

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Si

Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre d'un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
        Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d'un seul mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
        Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser, sans n'être qu'un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
        Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui est mieux que les Rois et la Gloire,
        Tu seras un homme, mon fils.

Rudyard Kipling

Sa vie, son oeuvre

L'éternelle chanson

Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs,
Au mois de mai, dans le jardin qui s'ensoleille,
Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants.


Comme le renouveau mettra nos coeurs en fête,
Nous nous croirons encor de jeunes amoureux,
Et je te sourirai tout en branlant la tête,
Et nous ferons un couple adorable de vieux ;


Nous nous regarderons, assis sous notre treille,
Avec de petits yeux attendris et brillants,
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs.


Sur le banc familier, tout verdâtre de mousse,
Sur le banc d'autrefois nous reviendrons causer ;
Nous aurons une joie attendrie et très douce,
La phrase finissant souvent par un baiser.


Combien de fois jadis j'ai pu dire : « Je t'aime ! »
Alors, avec grand soin, nous le recompterons ;
Nous nous ressouviendrons de mille choses, même
De petits riens exquis dont nous radoterons.


Un rayon descendra, d'une caresse douce,
Parmi nos cheveux blancs, tout rose, se poser,
Quand, sur notre vieux banc tout verdâtre de mousse,
Sur le banc d'autrefois nous reviendrons causer.


Et, comme chaque jour je t'aime davantage -
Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain -,
Qu'importeront alors les rides du visage,
Si les mêmes rosiers parfument le chemin.


Songe à tous les printemps qui dans nos coeurs s'entassent,
Mes souvenirs à moi seront aussi les tiens,
Ces communs souvenirs toujours plus nous enlacent
Et sans cesse entre nous tissent d'autres liens ;


C'est vrai, nous serons vieux, très vieux, faiblis par l'âge.
Mais plus fort chaque jour je serrerai ta main,
Car, vois-tu, chaque jour je t'aime davantage :
Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain !


Et de ce cher amour qui passe comme un rêve
Je veux tout conserver dans le fond de mon coeur,
Retenir, s'il se peut, l'impression trop brève,
Pour la ressavourer plus tard avec lenteur ;


J'enferme ce qui vient de lui comme un avare,
Thésaurisant avec ardeur pour mes vieux jours ;
Je serai riche alors d'une tristesse rare,
J'aurai gardé tout l'or de mes jeunes amours ;


Ainsi, de ce passé de bonheur qui s'achève,
Ma mémoire parfois me rendra la douceur,
Et de ce cher amour qui passe comme un rêve
J'aurai tout conservé dans le fond de mon coeur.


Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs,
Au mois de mai, dans le jardin qui s'ensoleille,
Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants.


Comme le renouveau mettra nos coeurs en fête,
Nous nous croirons encore aux heureux jours d'antan,
Et je te sourirai tout en branlant la tête,
Et tu me parleras d'amour en chevrotant ;


Nous nous regarderons, assis sous notre treille,
Avec des yeux remplis des pleurs de nos vingt ans...
Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille,
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs !

Rosemonde Gérard

Sa vie, son oeuvre

Les séparés

N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,
Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau.
N'écris pas !

N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu'à Dieu... qu'à toi, si je t'aimais !
Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
N'écris pas !

N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ;
Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N'écris pas !

N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire :
Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ;
Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur.
N'écris pas !

Marceline Desbordes-Valmore

Ce texte a été mis en chanson et interprété par Julien Clerc

Sa vie, son oeuvre

Liberté

Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J'écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J'écris ton nom

Sur tous mes chiffons d'azur
Sur l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J'écris ton nom

Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom

Sur chaque bouffée d'aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J'écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l'orage
Sur la pluie épaisse et fade
J'écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J'écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J'écris ton nom

Sur l'absence sans désirs
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J'écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l'espoir sans souvenir
J'écris ton nom

Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté

 

Paul Eluard

Sa vie, son oeuvre

Demain dès l'aube

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur

 

Victor Hugo

Sa vie, son oeuvre

Cher frère blanc

Cher frère blanc,
Quand je suis né, j'étais noir,
Quand j'ai grandi, j'étais noir,
Quand je suis au soleil, je suis noir,
Quand je suis malade, je suis noir,
Quand je mourrai, je serai noir.

Tandis que toi, homme blanc,
Quand tu es né, tu étais rose,
Quand tu as grandi, tu étais blanc,
Quand tu vas au soleil, tu es rouge,
Quand tu as froid, tu es bleu,
Quand tu as peur, tu es vert,
Quand tu es malade, tu es jaune,
Quand tu mourras, tu seras gris.

Alors, de nous deux,
Qui est l'homme de couleur ?

Léopold Sedar-Senghor

Sa vie, son oeuvre

Chanson d'automne

Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone. 

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure, 
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure

Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà, 
Pareil à la
Feuille morte.

 

Paul Verlaine

Sa vie, son oeuvre

Le dormeur du val

C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

 

Arthur Rimbaud

Sa vie, son oeuvre

Le cancre

Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le coeur
Il dit oui à ce qu’il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur.

 

Jacques Prévert

Sa vie, son oeuvre

Le condamné à mort

SUR MON COU sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et grave qu'une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton coeur s'émeuve,
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.

Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d'Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d'ici battre notre campagne.

Le ciel peut s'éveiller, les étoiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des prés l'herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.

Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.

Nous n'avions pas fini de nous parler d'amour.
Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les cours condamnent
Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour.

Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l'escalier, plus souple qu'un berger,
Plus soutenu par l'air qu'un vol de feuilles mortes.

Ô Traverse les murs ; s'il le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.

 

Jean Genet

Sa vie, son oeuvre

La mort des amants

Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d'étranges fleurs sur des étagères,
Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.

Usant à l'envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux ;

Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.

 

Charles Baudelaire

Sa vie, son oeuvre

Alice

Dans le sable silice
Et son iris salace,
En silence se glisse
Ma pupille de glace.

Dans le sable si lisse,
Alice se délasse ;
C'est pour elle un délice
Quelque peu dégueulasse.

Tout à coup se délisse
De sa toison mélasse
Un parfum de mélisse,
Puis elle la délace.

Et c'est alors qu'Alice,
Poussant un cri fallace,
Dévoile son calice
Au crin doux et filasse.

Là, s'enlise le vice,
Jusque dans sa crevasse
De couleur écrevisse
Et par endroit lavasse.

Son pistil se hérisse,
Son iris me harasse ;
Je cherche la matrice,
Et mon os s'encuirasse.

Donc je sors l'artifice ;
Elle fait volte-face,
J'écarte l'orifice ;
Sa pupille s'efface.

Avant que je salisse
Sa ventouse si lasse,
Je quitte la silice,
Et sa croupe salace.

 

Dimitri Defrain

Son blog : http://dimitridefrain.kazeo.com/

Petit poème coquin

Pour un téton qui frise 
Qui te met en émoi 
Si je te fais la bise 
Resteras-tu de bois ?

Est-ce dû au désir ? 
Est-ce dû à la brise ? 
Tairas-tu ton plaisir 
Dressé droit comme un if ?

Qu'importe le motif
Vite, vite réchauffe-moi !

 

Véronique Noé

Son blog : http://lilylaplume.over-blog.com

Je flanche entre tes hanches

Mon appétit ne flanche pas entre tes hanches, 
J'ai une salive de désir en avalanche, 
Ma tête se penche sur la belle, délicieuse revanche, 
Je me délecte du pain sur ta planche. 

Je n'ai plus aucun prétexte 
Pour ne pas dévorer le texte 
Qui s'écrit d'une encre sans complexe 
Dans les plis discrets de ton sexe. 

Je m'aventure sans une rature. 
Dans les voilures de ta cambrure, 
Sentant monter ta fièvre au fur et à mesure 
Je bats la mesure sous ta dentelle d'azur. 

Je suis le miel, l'abeille sur ta ruche, 
A butiner l'eau de ta cruche, 
La langue dans ton labyrinthe semé d'embuches, 
C'est un vrai plaisir quand je gamahuche.

 

Lionel Daigremont

Son blog : http://yonl-poete.blogspot.fr/

Recto verso

Passe ta main, recto verso,
Le long de ma main pour commencer.
Tu fabriqueras de la chaleur,
Au point de départ de nos désirs,
Un cran, deux crans, jusqu'au dernier,
Dans le sens du poil, à rebrousse-poil,
Allers-retours qui montent en grade
Dans la plongée vers l'infini,

Passe ta main, recto verso,
Partout où mène le hasard
D'un aparté qui fait des vagues,
Cliquant, zappant,
Sur mes points faibles et mes points chauds, 
Certains plus hauts, d'autres plus bas,
De mes reliefs et de mes creux
Qui font la loi de nos amours.

Passe ta main, recto verso,
Dans les balades qui font florès.
Un mot de passe que tu connais
Du bout des doigts donnera le ton
De la chanson qu'à quatre mains
Et à deux voix ou à deux souffles
Nous chanterons à l'unisson
Qui fera le plein de nos nuits d'amour.

 

Jean Saint-Vil

De nationalité haïtienne, Jean Saint-Vil, né en 1945, a fait ses études en Haiti et en France. Il est titulaire d'un doctorat en géographie. Ayant redécouvert la littérature, il se passionne pour la poésie, traitant de tous les thèmes, de l'amour à l'humour pur en passant par la nature, la réflexion philosophique et l'autobiographie.

Première soirée

Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins.

- Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, - mouche ou rosier.

- Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s’égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.

Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : “Veux-tu en finir !”
- La première audace permise,
Le rire feignait de punir !

- Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
- Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : “Oh ! c’est encor mieux !

Monsieur, j’ai deux mots à te dire…”
- Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D’un bon rire qui voulait bien…

- Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

 

Arthur Rimbaud

Sa vie, son oeuvre

A chuchoter

Si je n'avais connu la caresse de tes mains
Jamais je n'aurais su que douceur est chaleur

Si je n'avais senti tes lèvres sur mes reins
Jamais je n'aurais su que chaleur est frisson

Si je n'avais dormi dans tes bras si câlins
Jamais je n'aurais su que frisson est tendresse

Si je n'avais ouï ton coeur battre, endiablé
Jamais je n'aurais su que tendresse est passion

Si je n'avais goûté à ta bouche enflammée
Jamais je n'aurais su que passion est fusion

Et tu donnes la musique à ma Vie
Et tu donnes à mes gestes leur poésie
Et tu donnes à mon Ame son "Sel de Vie"

 

Véronique Noé

Phryné l'hétaïre

Ô gorge déployée
Ravissants renflements 
Où mon âme noyée
Bût amoureusement !

Ô délicieux goût,
Lactescence sucrée
Du soleil du mois d’août,
Ivresse idolâtrée !

Ô chaudes aréoles
Et tétons merveilleux
Qui mieux que des paroles
Ou des soins vétilleux

Ont apaisé ma soif 
Et ma crainte des ombres
Et de mes doigts la soif
Du toucher sans encombre !

De Phryné l’hétaïre
Vous sauvâtes le corps
Des juges qui haïrent
Ses talents des décors.

N’en déplaise à certains
Du palais la mémoire
Cherchera au lointain
De l’oral ce ciboire. 

C’est dans les profondeurs
Des palpations sauvages
Ou des succions d’ardeurs
Que je vais aux nuages.

Et habillés de soie
Délicieux tétins
Vous éclairez de joie
L’aube de mes matins.

 

Damy Tangage

Phryné est une hétaïre (prostituée) de la Grèce antique. D’une grande beauté, elle est célèbre pour… ses tarifs et sa clientèle d’artistes et d’aristocrates. 
Accusée par un ancien amant, elle est défendue par l’orateur Hypéride qui dévoile sa poitrine à la cour. Il emporte ainsi la faveur du jury.

Signature d'amour

Je trace sur ta peau cette douce caresse 
Qui dépose en passant l'empreinte d'un frisson ; 
Avides de plaisir, nos corps avec adresse 
Se mêlent langoureux, bercés à l'unisson.

Gerbe d'enchantement amène de tendresse, 
Qui délivre en son sein l'amoureuse moisson. 
Éclats de jouissance alanguis de paresse 
Où se noient les désirs de bien belle façon.

Mes mains, voyageuses, parcourent ton visage, 
S'aventurent aussi par tes monts et vallons, 
Où d'un souffle divin, l'érotique massage

Produit gémissements et bien tendres émotions. 
Joyeusement mes doigts, toujours à l'aventure 
Continuent d'imprimer leur douce signature.

 

Tony Brivois

La supplique du vieux jardinier

Combien me reste-t-il de printemps à semer
Quand le soleil levant dissipe la grisaille ?
Perce-neige et crocus, plantés dans la rocaille,
Seront les tout premiers pour venir nous charmer
L'odorant seringa, le muguet, la jonquille,
Les arbres du verger, tout habillés de blanc,
Écoutent, stupéfaits, la grive qui babille
Et les éclats de voix d'un merle conquérant.

Combien me reste-t-il d'étés à contempler
Quand la lune est propice au lever des semailles ?
Les prés sont tout remplis de champêtres sonnailles.
Les taillis, les buissons de nids vont se peupler.
Le moineau pillera la fraise et la framboise.
Le discret chèvrefeuille embaume les matins,
La frêle campanule a des airs de bourgeoise,
Le rosier souverain exhale ses parfums.

Combien me reste-t-il d'automnes à subir
Quand septembre apparaît nous tenant ses promesses ?
Les jardins, les vergers dispensent leurs richesses
Et l'ouest orageux nous frappe sans faiblir.
L'aronde se rassemble et la maison frissonne,
Notre parterre accueille un dernier papillon;
Quand tout devient muet, la nature s'étonne
Et le merle craintif se cache en son buisson.

Combien me reste-t-il d'hivers à redouter
Quand l'aquilon fougueux nous couvre de nuages ?
Les oiseaux migrateurs quittent leurs pâturages,
Les bois tout effeuillés semblent se lamenter;
Les champs sont dépeuplés, la nature déserte,
Tout n'est plus que silence engourdi de frimas,
Plus un cri, plus un chant, toute chose est inerte,
Seul, le vent mugissant sévit avec fracas.

Puissent d'autres saisons m'accorder un répit,
J'aime où je vis heureux, j'admire la nature,
J'écoute les oiseaux, j'aime ce qui fleurit,
Mais, quand le temps viendra de l'ultime écorchure,
Fasse que le soleil qui toujours me sourit
Se penchera vers moi pour panser ma blessure.

 

Jacques-Maurice Sutherland

Bruits de pas

17 h 30, cœur de l’hiver, la nuit vient de tomber… 
odeur de neige et brume opaque, une atmosphère ramassée … 
bruits de pas étouffés, miaulements apeurés … quelqu’un marche …
une silhouette se précise, paletot d’hiver et souliers plats,
bras allongés par deux gros poids, nez bien caché et tête en bas …
Porte d’entrée pas très cochère, l’ombre s’arrête et se déleste,
trousseau de clés, tintinnabule, et l’antre s’ouvre sans préambule …
Légèrement essoufflée, la forme s’engouffre dans le plain-pied
pose sur la table ses deux cabas, presse le bouton…
que la lumière soit … alors commence l’étrange ballet …. 
le manteau vole d’un geste adroit sur la patère d’un mur étroit ;
les victuailles s’en vont rejoindre le frigidaire au froid glacial
quand le pain frais prend ses quartiers sur le rebord d’un vieux buffet …
les casseroles s’entrechoquent, le cul au chaud, mais elles s’en moquent,
et l’on découvre une jolie liane qui touille et coupe et cuit et goûte …
satisfaite ; en deux temps elle nappe, met deux couverts,
salle de bain, robe dansante, juste un bouton ouvert,
appuie sur le lecteur pour un fond musical,
installe deux, trois bougies en fait jaillir la flamme,
attrape le tire-bouchon et tranquillement dévisse,
le sourire vermillon et l’arôme en indice …
19 h, plein hiver, la nuit est tombée… odeur de neige et brume opaque,
une atmosphère ramassée … 
bruits de pas étouffés, battements de cœur syncopés, 
quelqu’un marche …

 

Lily la Plume

Son blog : http://www.lilylaplume.com/

L'automne

L’eau tonne
Sur le toit ;
Toi, tu ronronnes.
Toiture : on ronne,
Et le rat monne
Et la scie monne
Ah ! la Simone
Dort sur le toit.
On scie mon toit
Mais Simon, toi,
Tu t’en moques,
Le chat ronronne,
Le charron ronne
Et le rat monne
Sur le toit.
L’eau tonne,
L’automne !
Eh, que m’importe ?
Car je t’ai toi.
Tais-toi.
Ferme la porte
Dessous mon toit …
Dessous mon toit,
Le chat rond ronne,
Le chat ronronne
Le gros rat monne
Et la scie monne
Ah ! la Simone
Comme l’eau rage
Comme l’eau tonne !

 

Jean Desmeuzes (1931-2006)

Après la pluie

J’aime la petite pluie
Qui s’essuie
D’un torchon de bleu troué !
J’aime l’amour et la brise,
Quand ça frise…
Et pas quand c’est secoué.

– Comme un parapluie en flèches,
Tu te sèches,
Ô grand soleil! grand ouvert…
À bientôt l’ombrelle verte
Grand’ ouverte!
Du printemps – été d’hiver. –

La passion c’est l’averse
Qui traverse!
Mais la femme n’est qu’un grain :
Grain de beauté, de folie
Ou de pluie…
Grain d’orage – ou de serein. –

Dans un clair rayon de boue,
Fait la roue,
La roue à grand appareil,
Plume et queue – une Cocotte
Qui barbote;
Vrai déjeuner de soleil !

 

Tristan Corbière (1845-1875)

Sa vie, son oeuvre

Premier Mai

Tout conjugue le verbe aimer. Voici les roses.
Je ne suis pas en train de parler d'autres choses.
Premier mai ! l'amour gai, triste, brûlant, jaloux,
Fait soupirer les bois, les nids, les fleurs, les loups ;
L'arbre où j'ai, l'autre automne, écrit une devise,
La redit pour son compte et croit qu'il l'improvise ;
Les vieux antres pensifs, dont rit le geai moqueur,
Clignent leurs gros sourcils et font la bouche en coeur ;
L'atmosphère, embaumée et tendre, semble pleine
Des déclarations qu'au Printemps fait la plaine,
Et que l'herbe amoureuse adresse au ciel charmant.
A chaque pas du jour dans le bleu firmament,
La campagne éperdue, et toujours plus éprise,
Prodigue les senteurs, et dans la tiède brise
Envoie au renouveau ses baisers odorants ;
Tous ses bouquets, azurs, carmins, pourpres, safrans,
Dont l'haleine s'envole en murmurant : Je t'aime !
Sur le ravin, l'étang, le pré, le sillon même,
Font des taches partout de toutes les couleurs ;
Et, donnant les parfums, elle a gardé les fleurs ;
Comme si ses soupirs et ses tendres missives
Au mois de mai, qui rit dans les branches lascives,
Et tous les billets doux de son amour bavard,
Avaient laissé leur trace aux pages du buvard !
Les oiseaux dans les bois, molles voix étouffées,
Chantent des triolets et des rondeaux aux fées ;
Tout semble confier à l'ombre un doux secret ;
Tout aime, et tout l'avoue à voix basse ; on dirait
Qu'au nord, au sud brûlant, au couchant, à l'aurore,
La haie en fleur, le lierre et la source sonore,
Les monts, les champs, les lacs et les chênes mouvants,
Répètent un quatrain fait par les quatre vents.

 

Victor Hugo (1802-1885)

Sa vie, son oeuvre

Soir d'hiver

Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À la douleur, que j’ai, que j’ai !

Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire : Où vis-je ? où vais-je ?
Tous ses espoirs gisent gelés :
Je suis la nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés.

Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.

Ah ! comme la neige a neigé !
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah ! comme la neige a neigé !
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À tout l’ennui que j’ai, que j’ai !….

 

Emile Nelligan (1879-1941)
Poète québécois

Sa vie, son oeuvre

Hiver

Le ciel pleure ses larmes blanches 
Sur les jours roses trépassés ; 
Et les amours nus et gercés 
Avec leurs ailerons cassés 
Se sauvent, frileux, sous les branches.

Ils sont finis les soirs tombants, 
Rêvés au bord des cascatelles. 
Les Angéliques, où sont-elles ! 
Et leurs âmes de bagatelles, 
Et leurs coeurs noués de rubans ?...

Le vent dépouille les bocages, 
Les bocages où les amants 
Sans trêve enroulaient leurs serments 
Aux langoureux roucoulements 
Des tourterelles dans les cages.

Les tourterelles ne sont plus, 
Ni les flûtes, ni les violes 
Qui soupiraient sous les corolles 
Des sons plus doux que des paroles. 
Le long des soirs irrésolus.

Cette chanson — là-bas — écoute, 
Cette chanson au fond du bois... 
C'est l'adieu du dernier hautbois, 
C'est comme si tout l'autrefois 
Tombait dans l'âme goutte à goutte.

Satins changeants, cheveux poudrés, 
Mousselines et mandolines, 
Ô Mirandas ! Ô Roselines ! 
Sous les étoiles cristallines, 
Ô Songe des soirs bleu-cendrés !

Comme le vent brutal heurte en passant les portes ! 
Toutes, — va ! toutes les bergères sont bien mortes.

Morte la galante folie, 
Morte la Belle-au-bois-jolie, 
Mortes les fleurs aux chers parfums !

Et toi, sœur rêveuse et pâlie, 
Monte, monte, ô Mélancolie, 
Lune des ciels roses défunts.

 

Albert Samain (1858-1900)

Sa vie, son oeuvre

Chanson de la pluie

A dos de mule
A dos d'oiseau
A dos de libellule hulot
A dos de rat-mulot
A pas de campanule
A bras de mélilot
S'en va la pluie à bulles
S'en va la pluie sur l'eau

Une pluie fil à fil
Qu'habille l'horizon
Et de fil en aiguille
Va jusqu'à la maison

 « Va jusqu'à la maison
Tu trouveras ta mère
Qu'est assise au tison
Qui recoud des linceuls
Ou qui tire au rouet
Toute sa vie amère,
Demande-lui z'à boire
Z'à boire et à manger... »
Mais la pluie perd la mémoire
A force de voyager

 A force de voyager
Sur ses pattes de gouttes rondes
Faire le tour du monde.
A dos de mule
A dos d'oiseau
A dos de libellule hulot
A dos de rat-mulot
A pas de campanule
A bras de mélilot
S'en va la pluie à bulles
S'en va la pluie sur l'eau !

 

Maurice Fombeure (1906-1981)

Sa vie, son oeuvre

Saisons

Le jour est à sa place et coule à fond de temps,
À moins que l’être monte à travers des espaces
Superposés dans la mémoire et délestant
La cervelle et le cœur de souvenirs tenaces.

Étés, puissants étés, votre nom même passe,
Être et avoir été, passe-temps et printemps,
Il passe, il est passé comme une eau jamais lasse,
Sans cicatrices, sans témoins et sans étangs.

Saisons, vous chérissez du moins le grain de blé
Qui doit germer aux jours de dégel et la clé
Pour ouvrir aux départs les portes charretières.

Les astres dans le ciel par vous sont rassemblés,
L’an va bientôt finir et des pas accablés
Traînent sur les chemins ramenant aux frontières.

 

Paul Eluard (1895-1952)

Sa vie, son oeuvre

Les saisons et l'amour

Le gazon soleilleux est plein 
De campanules violettes, 
Le jour las et brûlé halette 
Et pend aux ailes des moulins.

La nature, comme une abeille, 
Est lourde de miel et d'odeur, 
Le vent se berce dans les fleurs 
Et tout l'été luisant sommeille.

— Ô gaieté claire du matin 
Où l'âme, simple dans sa course, 
Est dansante comme une source 
Qu'ombragent des brins de plantain !

De lumineuses araignées 
Glissent au long d'un fil vermeil, 
Le cœur dévide du soleil 
Dans la chaleur d'ombre baignée.

— Ivresse des midis profonds, 
Coteaux roux où grimpent des chèvres, 
Vertige d'appuyer les lèvres 
Au vent qui vient de l'horizon ;

Chaumières debout dans l'espace 
Au milieu des seigles ployés, 
Ayant des plants de groseilliers 
Devant la porte large et basse...

— Soirs lourds où l'air est assoupi, 
Où la moisson pleine est penchante, 
Où l'âme, chaude et désirante, 
Est lasse comme les épis.

Plaisir des aubes de l'automne, 
Où, bondissant d'élans naïfs, 
Le cœur est comme un buisson vif 
Dont toutes les feuilles frissonnent !

Nuits molles de désirs humains, 
Corps qui pliez comme des saules, 
Mains qui s'attachent aux épaules, 
Yeux qui pleurent au creux des mains.

— Ô rêves des saisons heureuses, 
Temps où la lune et le soleil 
Écument en rayons vermeils 
Au bord des âmes amoureuses...

 

Anna de Noailles (1876-1933)

Sa vie, son oeuvre

Novembre

Novembre tes doigts nus griffent le ciel morose.
Affligeant le lointain, quelque sombre corbeau,
De son cri rauque et laid, sonne le glas du beau,
Sur des champs inondés qu'une aube grise arrose.

La nature s'endort, toute sève repose,
Automne moribond, l'hiver est ton tombeau.
Une pâle clarté comme un triste flambeau,
Etend son aile froide et tout se décompose.

Quand le souffle, l'averse à la morne saison
Enterrent les chemins dans le noir horizon,
Transformant les jardins en affreux marécage,

Comment imaginer son printemps vigoureux,
Une fleur qui naitra, frêle dans le bocage,
Telle une onde d'espoir sur l'instant douloureux ?

 

Hanternoz

Son blog : http://hanternoz.eklablog.com/

Juin

J’aime bien le mois de juin
C’est celui des cerises
Des longues journées sans fin
Aux douces soirées exquises

Très tôt dès le matin
Tous les oiseaux devisent
Et tard quand la nuit vient
Certains encore s’avisent

C’est temps des examens
Où les sérieux révisent
Et leurs moments malsains
Des attentes indécises

C’est tendres gazons coussins
Où la rosée irise
Les beaux serments divins
Des amants qui se bisent

Et puis au mois de juin
On pense à ses valises
Car très bientôt revient
L’heure des vacances promises

 

Robert Casanova

Son blog : www.robertcasanova.fr/

C'est l'automne

C'est l'automne, l'automne, on est seul près du feu.
Adieu soleil puissant, feuilles vertes, ciel bleu !
L'averse bat la vitre et le vent s'époumone
À gémir longuement sa chanson monotone,
Ô toilettes d'avril, bonheur de vivre, adieu.  

On est seul près du feu, on écoute la pluie,
Et parfois l'on va voir écartant le rideau
Si le ciel est encor badigeonné de suie,
Si la rue est toujours pleine de flaques d'eau
Et l'on revient s'asseoir, on s'ennuie, on s'ennuie. 

Ô désespoir du vent dans le grand bois jauni
Roulant par tourbillons des feuilles mortes sales,
Et des lettres d'amour et des débris de nid,
Emporte les beaux jours dans tes longues rafales,
C'est l'hiver à jamais, tout est fini, fini.  

Oh le soleil est mort, et tout nous abandonne
Les étoiles ont fui, l'on ne les verra plus,
Tout est fini, fini, vent de tristesse entonne
Le convoi du grand deuil les temps sont révolus.
La Terre va mourir dans l'automne.

 

Jules Laforgue (1860-1887)

Sa vie, son oeuvre

Eté

Et l’enfant répondit, pâmée
Sous la fourmillante caresse
De sa pantelante maîtresse :
« Je me meurs, ô ma bien-aimée !

« Je me meurs : ta gorge enflammée
Et lourde me soûle et m’oppresse ;
Ta forte chair d’où sort l’ivresse
Est étrangement parfumée ;

« Elle a, ta chair, le charme sombre
Des maturités estivales, —
Elle en a l’ambre, elle en a l’ombre ;

« Ta voix tonne dans les rafales,
Et ta chevelure sanglante
Fuit brusquement dans la nuit lente.

 

Paul Verlaine (1844-1896)

Sa vie, son oeuvre

Je ne sais plus quoi faire

Les vaches sont rentrées, le blé est semé
La soupe chauffe, les enfants sont couchés
Je ne sais plus quoi faire…
Je ne m’ennuie pas, non je rêve
J’ai remué la terre toute la journée
J’aime la terre, c’est ma grève
Mon salut, mon retour, ma trêve.
Elle est lourde, elle est noire
Elle est légère, elle est verdoyante
Elle est promesse, elle est espoir
Elle est tristesse, elle désenchante
J’ai écouté le vent, j’ai regardé la lune
J’ai écouté le savoir des vieux
Tout ça pour ma terre brune
Tout ça pour la nourrir mieux
Je ne sais plus quoi faire…
Mes reins sont fourbus, ma peau desséchée
Mes ongles noirs, mes pieds éclatés
Je suis près du feu, à ne rien faire
J’attends, j’attends mon homme, mon chêne
Mon amour et son odeur à lui
J’attends mon homme, mes chaînes
Ma raison d’être à lui.
Je jouis de la terre, comme je jouis de lui.
Mes pieds s’enfoncent dans la terre
Mes yeux ne se lèvent que sur lui.
Et je me fais enchanteresse comme ma terre
Je pourrais prendre un tricot, une dentelle
Je n’en ai pas envie ce soir, je suis bien
Je pense à lui, à nous, en regardant la chandelle
Je vais le voir entrer, heureux, se frottant les mains
Une bonne journée, encore un jour heureux
De bonnes semailles, de bonnes récoltes
Une belle femme, un sourire au fond des yeux
Et le ventre rond, promesse d’une autre récolte.
Il ne dira rien, il n’est pas bavard.
Les paroles sont légères, elles ne font que passer
Il suffira de ses bras, de son regard
Pour que j’oublie la fatigue de la journée
Puis au coin du feu, nous parlerons d’elle
Parce qu’en fin de compte, il n’y a qu’Elle
L’horloge égrènera ses notes démentielles
Pour nous dire qu’un jour, un soir, sans savoir
Il faudra fermer le livre, arrêter l’histoire
Qu’il sera temps de s’endormir… en Elle.

 

Solveig Le Coze

Vivant en Bretagne, elle est lauréate de la Fondation de France et Prix du roman 2011 décerné par le Conseil Général d’Ille et Vilaine. Elle fait partie de l’Association des Ecrivains Bretons. « Le loup a les dents blanches... je répète » est son premier livre, écrit à 15 ans sur la vie de ses parents pendant la Résistance. Suivent Linad, une saga à tram historique entre Celtes et Scandinaves, « Che chorobia » : comme c’est étrange, un roman noir à fond de dérives sectaires et de traditions gitanes, « Tant qu’il y aura des mots », recueil de nouvelles et de poèmes primés et Le vieux Chêne de Merville, de Lorient à l’Extrême-Orient de 1900 à nos jours en passant par la Sibérie.

Sa maison d'édition : https://www.solveig-lc.fr/

Magie de la nature

Béant, je regardais du seuil d'une chaumière 
De grands sites muets, mobiles et changeants, 
Qui, sous de frais glacis d'ambre, d'or et d'argent, 
Vivaient un infini d'espace et de lumière.

C'étaient des fleuves blancs, des montagnes mystiques, 
Des rocs pâmés de gloire et de solennité, 
Des chaos engendrant de leur obscurité 
Des éblouissements de forêts élastiques.

Je contemplais, noyé d'extase, oubliant tout, 
Lorsqu'ainsi qu'une rose énorme, tout à coup, 
La Lune, y surgissant, fleurit ces paysages.

Un tel charme à ce point m'avait donc captivé 
Que j'avais bu des yeux, comme un aspect rêvé, 
La simple vision du ciel et des nuages !

 

Maurice Rollinat

Sa biographie

Un jardin sous mes mots

Roses, jasmins, iris, lilas, volubilis,
Cerisiers du Japon et jeunes arbousiers,
Colorant le matin de leurs chants printaniers
Adornent mon jardin de vivants ex libris.

Abeilles et frelons s’y disputant les lys,
Piétinent les pistils sans aucune pitié,
Alors que, s’échappant des pages d’un herbier,
Un papillon de nuit dévore un myosotis.

Solitaire et pensif, un arôme somnole
Sous le dais argenté d’un antique olivier,
Dont l’ombre de satin imite l’Acropole.

Dans mon jardin aussi, le soleil a planté
Une pure fontaine, comme un encrier,
Où je plonge ma plume et bois l’éternité.

 

Francis Etienne Sicart

Sa biographie

Renouveau

Le printemps maladif a chassé tristement
L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide,
Et, dans mon être à qui le sang morne préside
L’impuissance s’étire en un long bâillement.

Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne
Qu’un cercle de fer serre ainsi qu’un vieux tombeau
Et triste, j’erre après un rêve vague et beau,
Par les champs où la sève immense se pavane

Puis je tombe énervé de parfums d’arbres, las,
Et creusant de ma face une fosse à mon rêve,
Mordant la terre chaude où poussent les lilas,

J’attends, en m’abîmant que mon ennui s’élève…
– Cependant l’Azur rit sur la haie et l’éveil
De tant d’oiseaux en fleur gazouillant au soleil.

 

Stéphane Mallarmé

Sa biographie

Je suis comme un vieil arbre

Je suis comme un vieil arbre,
Autour duquel plus personne ne s’amuse.
Je suis comme pris dans le marbre,
A la recherche d’une muse.

Sur mon écorce,
Des signatures par milliers.
Lesquelles je m’efforce,
Vainement d’oublier.

A mes branches,
Ne pousse plus guère de verdure.
Alors mes pensées s’élancent,
Mais l’hiver perdure.

Mes racines sont pourtant puissantes,
Elles s’abreuvent à diverses sources.
Mais ma plénitude est latente,
Mon cœur est en mousse.

Mon regard se porte cependant,
Vers l’horizon, sans peur.
Que revienne grandiose le printemps,
Et que pousse cette petite fleur.
Qui ferait ressurgir en moi,
La gaieté qui était mienne.
Lorsque s’écoulaient les mois,
Une branche dans la tienne.

 

Dimitri Aubagne

Son site

Offrande

Au creux d’un coquillage
Que vienne l’heure claire
Je cueillerai la mer
Et je te l’offrirai.

Y dansera le ciel
Que vienne l’heure belle.
Y dansera le ciel
Et un vol d’hirondelle
Et un bout de nuage
Confondant les images
En l’aurore nouvelle
Dans un reflet moiré
Dans un peu de marée
Dans un rien de mirage
Au fond d’un coquillage.

Et te les offrirai.

 

Esther Granek

Sa biographie

La cueillette des cerises

Espiègle ! j’ai bien vu tout ce que vous faisiez,
Ce matin, dans le champ planté de cerisiers
Où seule vous étiez, nu-tête, en robe blanche.
Caché par le taillis, j’observais. Une branche,
Lourde sous les fruits mûrs, vous barrait le chemin
Et se trouvait à la hauteur de votre main.
Or, vous avez cueilli des cerises vermeilles,
Coquette ! et les avez mises à vos oreilles,
Tandis qu’un vent léger dans vos boucles jouait.
Alors, vous asseyant pour cueillir un bleuet
Dans l’herbe, et puis un autre, et puis un autre encore,
Vous les avez piqués dans vos cheveux d’aurore ;
Et, les bras recourbés sur votre front fleuri,
Assise dans le vert gazon, vous avez ri ;
Et vos joyeuses dents jetaient une étincelle.
Mais pendant ce temps-là, ma belle demoiselle,
Un seul témoin, qui vous gardera le secret,
Tout heureux de vous voir heureuse, comparait,
Sur votre frais visage animé par les brises,
Vos regards aux bleuets, vos lèvres aux cerises.

 

François Coppée

Sa biographie

La branche d'amandier

De l’amandier tige fleurie,
Symbole, hélas! de la beauté,
Comme toi, la fleur de la vie
Fleurit et tombe avant l’été.

Qu’on la néglige ou qu’on la cueille,
De nos fronts, des mains de l’Amour,
Elle s’échappe feuille à feuille,
Comme nos plaisirs jour à jour !

Savourons ces courtes délices;
Disputons-les même au zéphyr,
Epuisons les riants calices
De ces parfums qui vont mourir.

Souvent la beauté fugitive
Ressemble à la fleur du matin,
Qui, du front glacé du convive,
Tombe avant l’heure du festin.

Un jour tombe, un autre se lève;
Le printemps va s’évanouir;
Chaque fleur que le vent enlève
Nous dit : Hâtez-vous de jouir.

Et, puisqu’il faut qu’elles périssent,
Qu’elles périssent sans retour !
Que ces roses ne se flétrissent
Que sous les lèvres de l’amour !

 

Alphonse de Lamartine

Sa biographie

Je te donne

Riche du désert de mon cri
Je, scribouilleur sous-saigné
Te donne à fleurs de mots
La nuit qui postillonne
À l’enfant ses étoiles.
Je ne veux pas pour toi
D’une vie sans histoires
Tu as droit au rire
Éclaté des bourgeons
Tu as droit d’affouage
Aux forêts du bonheur
Droit à ce goût qui nous vient
De plus loin que nos rêves
Au goût d’un jour fumé
Jusqu’au bout du mégot
Au goût de pomme à naître
A l’arbre de nos faims.
Je te donne la Vie
A cueillir mon amour
Aux branches basses des poèmes
Je voudrais qu’il t’en reste à jamais
Une saveur de fruit mûr
Comme un soleil fondu
Dans la bouche du temps.
Il y a tant de promesses
Nées aux lèvres des chemins
Tant de désirs qui nous attendent
Devant la porte des mémoires…
Qu’apparaisse enfin ce pays
Où l’arbre de l’instant éternel
Me cache la forêt des souvenirs
En ce premier matin de la vie
Je compte nos soleils
Au bord du bonheur.

 

Jacques Viallebesset

Son blog

La crêpe

Je suis menue et toute blonde
Avec des taches de rousseur
Deux yeux dans ma figure ronde
En rondelle de banane en fleur

Le bout du nez en chantilly
Et le sourire en confiture
Je suis la reine du jury
La plus belle des créatures

C'est ma fête à la chandeleur
On me fait faire des galipettes
On me tourne et j'ai mal au coeur
Je vole à en perdre la tête

J'entends tout le monde qui rit
En regardant mon vol de guêpe
Parce que lorsque j'atterris
Je m'étale comme une crêpe

 

Yves Le Guern

Le sud de la France

Ineffables parfums de rouges fruits confits,
Délicates saveurs âpres de raisins mûrs.
L’ivresse est profonde et la narcose embellit
L’instant si fugace au potron-jacquet azur.

Ah ! Le long des chemins hasardeux de Provence,
Je respire la saponaire et la lavande
Aussi ces infinies bacchanales fragrances
Que le Sombre et le Libeccio austral répandent.

Puis, au crépuscule de la douce journée,
A l’heure tardive quand chantent les grillons,
Il viendra encore à la table s’ajouter
L’intime chaleureux et le vin vermillon.

Parmi les Enfers et les lointains paradis
Se trouve un balcon sublime sur le bonheur,
Un séjour idyllique et presque une utopie
Afin de subir l’insistant carillonneur.

Ineffables parfums de rouges fruits confits,
Délicates saveurs âpres de raisins mûrs.
L’ivresse est profonde et la narcose embellie
L’instant si fugace au potron-minet azur.

 

Didier Sicchia

Le goûter

On a dressé la table ronde
Sous la fraîcheur du cerisier.
Le miel fait les tartines blondes,
Un peu de ciel pleut dans le thé.

On oublie de chasser les guêpes
Tant on a le coeur généreux.
Les petits pains ont l'air de cèpes
Égarés sur la nappe bleue.

Dans l'or fondant des primevères,
Le vent joue avec un chevreau ;
Et le jour passe sous les saules,

Grave et lent comme une fermière
Qui porterait, sur son épaule,
Sa cruche pleine de lumière.

 

Maurice Carême

Sa biographie

Mon cartable

Mon cartable sent la pomme,
le livre, l'encre, la gomme
et les crayons de couleur.

Mon cartable sent l'orange,
le bison et le nougat,
il sent tout ce que l'on mange
et ce qu'on ne mange pas.

La figue, la mandarine,
Le papier d'argent ou d'or,
et la coquille marine,
les bateaux sortant du port.

Les cow-boys et les noisettes,
la craie et le caramel,
les confettis de la fête,
les billes remplies de ciel.

Les longs cheveux de ma mère
et les joues de mon papa,
les matins dans la lumière,
la rose et le chocolat.

 

Pierre Gamarra (1919-2009)

Sa biographie

Palais de la gourmandise

Au palais de la gourmandise,
Les gâteaux déploient leurs senteurs
En un doux ballet précurseur
D’un goûter aux saveurs exquises.

Une timide adolescente,
Vêtue d’une robe lilas,
Déguste un cake au chocolat,
Suivi d’une glace à la menthe.

Un soldat, flanqué d’une fille
Aux yeux flamboyants de gaieté,
Trempe dans sa tasse de thé
Une tartelette aux myrtilles.

Une étrangère à la peau mate
Dévore une portion de flan,
Sous l’œil d’un vieillard corpulent,
Attablé devant une eau plate.

À l’heure de la fermeture,
Une dame au visage rond
Court féliciter le patron
Pour sa crème au coulis de mûres.

 

Patricia Guenot

Son blog de poésie

La cuisine

Dans la cuisine où flotte une senteur de thym,
Au retour du marché, comme un soir de butin,
S’entassent pêle-mêle avec les lourdes viandes
Les poireaux, les radis, les oignons en guirlandes,

Les grands choux violets, le rouge potiron,
La tomate vernie et le pâle citron.
Comme un grand cerf-volant la raie énorme et plate
Gît fouillée au couteau, d’une plaie écarlate.

Un lièvre au poil rougi traîne sur les pavés
Avec des yeux pareils à des raisins crevés.
D’un tas d’huîtres vidé d’un panier couvert d’algues
Monte l’odeur du large et la fraîcheur des vagues.

Les cailles, les perdreaux au doux ventre ardoisé
Laissent, du sang au bec, pendre leur cou brisé ;
C’est un étal vibrant de fruits verts, de légumes,
De nacre, d’argent clair, d’écailles et de plumes.

Un tronçon de saumon saigne et, vivant encor,
Un grand homard de bronze, acheté sur le port,
Parmi la victuaille au hasard entassée,
Agite, agonisant, une antenne cassée.

 

Albert Samain (1858-1900)

Sa vie, son oeuvre

Odette à Huguette

Dans une petite maisonnette,
Percée de petites fenêtres,
Au milieu des pâquerettes,
Des touffes de gariguettes,
Des mouches et des guêpes,
Et des odeurs qui entêtent,
Trônait la vieille Huguette.

Après avoir lâché ses bombinettes,
Tout au fond des toilettes,
Elle se sauva toute guillerette,
Cueillir des courgettes,
Dans le pré « andouillette »,
Lieu du poète,
En froc et à la grosse baguette.

Caché derrière une chaussette,
Peut-être un bout de moquette,
Le drôle de poète,
Vit arriver la grassouillette,
Fit une galipette,
Et poussa la chansonnette :
« Où vas-tu, Ginette ? »

Huguette s’arrêta nette,
Stupéfaite !
Elle resta toute muette,
Devant le poète,
À la grosse baguette,
Cachée derrière sa braguette,
Faut dire qu’elle n’avait pas vu ça depuis fleurette,
La pauvre Huguette,
Catherinette,
Depuis belle lurette.

Le poète héla : « Hé, Odette !
Veux-tu que je la mette ? »
« Non », fit Huguette,
« Ma minette,
C’est un peu les oubliettes,
Je ne peux plus faire grimpette,
J’aurais bien peur qu’une telle machette,
Ne me la mette en miettes !
Pourtant votre belle baguette,
Me donne envie de jouer de la clarinette ! »

Alors, après une courbette,
Là, au milieu des courgettes,
Huguette souffla dans la trompette,
Du poète,
Qui se mit à jouer,
Des castagnettes !

 

Stéphane Gebel de Gebhardt
Son blog : humouretgalipettes.blogspot.fr

Deux belles maîtresses

Y a des histoires d’amour que l’on dit impossibles
Et seul le temps les couvre de leurs ruptures terribles
J’ai eu deux belles maîtresses, pendant plus de huit mois
Elles étaient sans paresse, et elles n’aimaient que moi
Toujours l’une derrière l’autre sans jamais se fâcher
Elles étaient deux apôtres à mes pieds, enlacées.
Je les ai connues à Auch, elles sortaient d’une boîte
L’une était à ma gauche et l’autre mal à droite.
Elles avaient grand plaisir à se faire marcher.
A se faire courir, à se faire sauter.
Aussi, je n’ai pu croire à leurs virginités
Lorsque le soir venu, je les ai pénétrées.
Ça s’est fait sans un cri, tout juste un peu serré
Et quand j’en suis sorti, j’ai pu prendre mon pied.
Elles ne m’ont pas quitté malgré toutes les souffrances
Que je leur ai données souvent par ignorance.
Les coups sur les trottoirs, les attentes dans les gares
Et ces déchets de chiens, qu’elles prenaient pour un rien.
Et si je suis ici, devant vous tout penaud
C'est que votre vernis a quitté votre peau
Pardonnez-moi, mes belles, mais je dois vous laisser
Là dans cette ruelle, toutes nues, sans lacets.
Vous avez trop vieilli, vous n’êtes plus très sûres
Vous que j'ai tant chéries, vous mes vieilles chaussures.

 

Gilles Butin

 

Finaliste du Grand Prix Eté 2013, sur le site : http://short-edition.com/oeuvre/poetik/deux-belles-maitresses

Poème d'amour

 

Sketch au format MP4

 

Paul Adam

Site officiel : http://pauladam.fr/

 

Auteur, présentateur, animateur, humoriste, cet artiste complet joue au Caveau de la République depuis de nombreuses années. Participe, entre autres, à l'écriture de Scènes de Ménage sur M6.

Histoire de Q

Je suis ronde avec une queue dans le Q !
Vous et moi, ça fait longtemps qu'on s'est connu
Sur les bancs de l'école, avec toutes mes copines
Mais si souvenez-vous, c'était moi la plus coquine.

D'ailleurs y en a une avec qui je m'acoquine
Une que j'ai bien eu, je ne sors jamais sans elle
Y a que le coq coquelet et son zinc le cinq
Qui se permettent de trainer avec moi en son absence.

Je suis ronde avec une queue dans le Q !
Toujours l'objet d'une quinte de questions
Qui suis-je ? A quoi je sers ?
Quand est ce qu'on se voit ? Quel temps fait-il ?
Je suis au milieu de toutes les questions QQ.
Une chose est sûre je suis loin d'être quelconque
Qui que vous soyez je vous inspire déjà désir et dégout,
Entre vous et moi c'est une affaire de goût.

Je suis ronde avec une queue dans le Q !
Je suis à l'origine de tous les scandales
Le mobile de tous ceux qui ont la dalle…
Tendez l'oreille, voyez, on ne parle que de moi...
Je suis atypique, je suis peu banale
Plutôt du genre à rester dans les ...anales
D'ailleurs de temps en temps sur Canal
Il y a un film dont je suis la star.

Ma réputation chacun s'assoit dessus
Y a même des têtes de glands qui me crachent dessus !
Je le concède je dis souvent de la merde
Mais avouez qu'à mon sujet y a des gifles qui se perdent.

Je suis maladroite et nouille et pourtant je me débrouille
D'ailleurs sans moi la coquille partirait en couille…
Je suis une brute épaisse, je suis d'une drôle d'espèce
Mais est-ce une raison pour me prendre pour une paire de fesses ?

Je suis de l'alphabet la lettre la plus ingrate,
Celle qu'on touche, celle qu'on tape, qu'on perfore et qu'on gratte
Je suis une lettre qui sent mauvais, avec un lourd vécu.

Je suis ronde avec une queue dans le Q !
Mais foutez moi la P, ne me pompez pas l'R je suis la lettre Q.

 

Lionel Daigremont

Son blog : http://yonl-poete.blogspot.fr/

Poème breton

La nuit était si noire,
La lune était si blanche,
Nous étions seuls un soir,
Elle et moi sous les branches.

Ses grands yeux étaient si doux,
Et sa robe claire si belle,
Mon regard se porta sur ses douces mamelles,
Et, en la caressant, je me mis à genoux.

Je lui dis « Calme-toi ,
Et ne sois pas rebelle »
Je fis courir ma main,
Doucement sur ses reins.

Je n'y connaissais rien,
Mais je fis assez bien,
Pour venir d'un geste tendre,
Tout au bas de son ventre.

Je me souviens de ma peur,
De l'excitation de mon cœur,
Jusqu'à ce moment béni,
Où ma honte s'enfuit.

Après quelques «  Hisse et han »,
Il ne fallut pas longtemps,
Pour qu'en un jet puissant,
Jaillisse le liquide blanc.

Alors je connus cet intense moment,
Enfin un homme, j'étais à présent,
C'était la toute première fois cet automne... 
Que je trayais une vache bretonne.

 

Auteur inconnu

Le petit endroit

Vous qui venez ici
Dans une humble posture,

De vos flancs alourdis 
décharger le fardeau,

Veuillez quand vous aurez 
soulagé la nature,

Et déposé dans l'urne 
un modeste cadeau,

Épancher dans l'amphore 
un courant d'onde pure,

Et sur l'autel fumant 
placer pour chapiteau,

Le couvercle arrondi 
dont l'auguste jointure,

Aux parfums indiscrets 
doit servir de tombeau.

 

Alfred de Musset (1810-1857)

Sa vie, son oeuvre

A la manière de Ronsard

Mignonne, allons voir si l'arthrose,
Qui ce matin tant m'ankylose,
Depuis qu'a sonné mon réveil, 
Pour clore une nuit de sommeil,
Aura perdu de sa vigueur,
Après un footing d'un quart d'heure.
Las ! Voyez comme sont les choses,
Il faudrait que je me repose.
Mes maux, loin de se calmer,
Las, las ne cessent d'empirer.
Ô vraiment marâtre nature
Avec l'âge, la douleur perdure !
Donc, si vous m'en croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Avant que ne ternisse votre beauté,
Pour assouvir toutes envies,
Cueillez dès aujourd'hui, les roses de la vie !

 

Auteur inconnu

Le cul de Lucette

Quelquefois je me glace
J’aime bien r’mettre les choses en place
Et j’en veux à ces gens
Qui s’expriment comme des glands
Vous Messieurs dans la rue
Quand vous matez un beau cul
Vous murmurez bon sang de bois
Quel beau derrière elle a

REFRAIN
Dieu que ce langage-là me blesse
Parler ainsi d’une belle paire de fesses
Laissez-moi glorifier sans façons
De nos dames ce noble tronçon

Y a d’abord le cul rond
Le cul qui s’ fait pas d’ mouron
Très à l’aise dans la mouise
Autant qu’ chez la marquise
Y a le cul bas le misérable
Çui qui fait des trous dans le sable
Et y a le cul rebondi
Qui marque toujours midi

REFRAIN
Mon préféré c’est celui d’Lucette
Son merveilleux p’tit cul en trompette
C’est la mappemonde du bonheur
C’est vraiment lui le cul de mon cœur

Y a le cul un peu teigne
Qui aurait besoin d’un coup d’ peigne
Pis y a l’ cul de Renée
Qui souhaite la bonne année
Y a le cul prolétaire
Faut êt’ deux pour le faire taire
Et y a le cul aristo
Qui dit jamais d’ gros mots

REFRAIN
Mon préféré c’est celui d’Lucette
Le seul qui ait des senteurs de violette
Quand j’ le vois pas d’une semaine je pleure
C’est vraiment lui le cul de mon cœur

Y a le cul de Florence
Qui dit toujours ce qu’il pense
Et y a le cul de Maguy
Çui qui est fermé l’ mardi
Quand il pleut celui qui frise
C’est le gentil cul d’ Maryse
Qui résonne comme un tambour
Et gagne tous les concours

REFRAIN
Mon préféré c’est celui d’Lucette
Le seul qui se monte jamais la tête
Qui sait être là dans le malheur
C’est vraiment lui le cul de mon cœur

Y a les culs à moustache
Les coiffeurs se les arrachent
Et les culs les plus cotés
Ceux qui ont la raie d’ côté
Les culottés les cupides
Y a les culs qui prennent le bide
Les culs fanés de jadis
En forme de fleur de lys

REFRAIN
Mon préféré c’est celui d’Lucette
C’est le paradis en chemisette
C’est un cul classé de grand seigneur
C’est vraiment lui le cul de mon cœur

J’ai couru j’ai bien vécu
J’ai vu des milliers de culs
Mais y a que l’ cul brésilien
Dont l’arôme se retient
J’ai vu les culs des moukères
Qui ont besoin d’une moustiquaire
J’ai vu l’ cul d’Ashi Moto
Çui qui prend des photos

REFRAIN

Mais j’ préfère quand même celui d’Lucette
Ne le frôlez pas de vos fourchettes
Vous les taste-fesses amateurs
Car c’est vraiment le cul de mon cœur

 

Pierre Perret

Site officiel : http://pierreperret.fr/

Eloge de la fatigue

Vous me dites, Monsieur, que j'ai mauvaise mine,
Qu'avec cette vie que je mène, je me ruine,
Que l'on ne gagne rien à trop se prodiguer,
Vous me dites enfin que je suis fatigué.

Oui, monsieur, je suis fatigué et je m'en flatte !
J'ai tout de fatigué, la voix, le cœur, la rate.
Je m'endors épuisé, je me réveille las…
Mais grâce à Dieu, Monsieur, je ne m'en soucie pas !

Ou quand je m'en soucie, je me ridiculise !
La fatigue souvent n'est qu'une vantardise…
On est jamais aussi fatigué que l'on croit !
Et quand cela serait, n'en a-t-on pas le droit ?

Je ne vous parle pas de sombres lassitudes
Qu'on a, lorsque le corps harassé d'habitudes
N'a plus pour se mouvoir que de pâles raisons…
Lorsqu'on a fait de soi son unique horizon.

Lorsqu'on n'a rien à perdre, à vaincre ou à défendre,
Cette fatigue-là est mauvaise à entendre.
Elle fait le front lourd, l'œil morne, le dos rond
Et vous donne l'aspect d'un vivant moribond.

Mais se sentir plier sous le poids formidable
Des vies dont un beau jour on s'est fait responsable,
Savoir qu'on a des joies ou des pleurs dans ses mains,
Savoir qu'on est l'outil, qu'on est le lendemain.

Savoir qu'on est le chef, savoir qu'on est la source,
Aider une existence à continuer sa course,
Et pour cela se battre à s'en user le cœur
Cette fatigue là, Monsieur, c'est du bonheur !

Et sûr qu'à chaque pas, à chaque assaut qu'on livre
On va aider un être à vivre ou à survivre ;
Et sûr qu'on est la route et le port et le gué,
Où prendrait-on le droit d'être fatigué ?

Ceux qui font de leur vie une belle aventure
Marquent chaque victoire, en creux, sur leur figure !
Et quand le malheur vient y mettre un creux de plus
Parmi tant d'autres creux, il passe inaperçu.

La fatigue, Monsieur, c'est un prix toujours juste ;
C'est le prix d'une journée d'efforts et de luttes ;
C'est le prix d'un labeur, d'un mur ou d'un exploit ;
Non pas le prix qu'on paie mais celui qu'on reçoit.

C'est le prix d'un travail, d'une journée remplie
C'est la preuve, Monsieur, qu'on marche avec la vie,
Quand je rentre la nuit et que ma maison dort,
J'écoute les sommeils et, là, je me sens fort !

Je me sens tout gonflé de mon humble souffrance
Et ma fatigue alors est une récompense.
Et vous me conseillez d'aller me reposer ?
Mais si j'acceptais là ce que vous proposez,
Si je m'abandonnais à votre douce intrigue,
Mais je mourrais, Monsieur, tristement, de fatigue !!!

 

Robert Lamoureux (1920-2011)

Sa vie, son oeuvre

Pisser face au soleil et péter dans le vent

Pisser face au soleil et péter dans le vent,
C'est de la liberté la vérité première,
Car en cambrant les reins en plein dans la lumière
Et pour guider le jet arrondissant la main,
On se trouve faraud parmi tous les humains.
Hypocrite bourgeois qui te voiles la face,
Regarde donc un peu un homme de ta race
Pisser face au soleil et péter dans le vent
Avant de se coucher et puis en se levant.

Pisser face au soleil et péter dans le vent
A toujours ébloui mon âme libertaire,
Voulant directement remettre à notre terre
De son vin généreux le pauvre résidu.
Je sais que l'on prétend que je n'aurais pas dû,
Et la bigote outrée, horrifiée et hagarde,
Ne croit pas que son Dieu, qui pourtant me regarde,
Doit se frotter les mains en me voyant souvent
Pisser face au soleil et péter dans le vent.

Pisser face au soleil et péter dans le vent,
Je sais que l'on admet, sur notre terre ingrate,
Que le malheureux chien puisse lever la patte
Et que le ruminant, créant tout un ruisseau,
N'a jamais pu troubler vos cervelles de sots.
Vous détournez les yeux pendant que je vidange,
Mais vous froncez le nez car ça sent la vendange,
Quand je pisse au soleil et pète dans le vent.
Des sujets féminins s'en vont tout en rêvant ...

Pisser face au soleil et péter dans le vent,
Vous qui vivez serrés un peu comme des moules,
Cet acte merveilleux vous fait tourner la boule.
La morale et la loi pourtant vous ont traqués
Et, croyant vivre heureux, vous vous êtes parqués.
Vous pouvez bien, les gars, gagner de la galette,
En avoir, après tout, une pleine mallette.
Il n'est qu'un homme au monde, et c'est le paysan,
Pour pisser face au soleil et péter dans le vent.

Pisser face au soleil et péter dans le vent,
Avant que le grand froid ait gagné mes vertèbres,
Que mon âme ait sombré dans les grandes ténèbres,
Que tout soit effacé, qu'il ne reste plus rien,
Que l'on dise partout : « Ce n'était qu'un vaurien. »
Je voudrais demander à cette providence
De bien me soulager à la même cadence,
De pouvoir chaque jour, et ça pendant longtemps,
Pisser face au soleil et péter dans le vent.

 

Jules Fortuné

 

Né en 1911 à Massognes dans le Haut Poitou, Jules Fortuné était un paysan amoureux de sa terre, poète rabelaisien et humaniste militant.
Une
vingtaine de ses textes sont en ligne sur ce site.

En sortant les poubelles

On s’était rencontré en sortant les poubelles 
J’étais sacrément laid et elle était très belle
J’ai du lui murmurer un timide bonsoir
Elle était si jolie, j’espérais la revoir 

On habitait pourtant sur le même palier 
Mais jamais en six mois je n’ai pu l’aborder 
Je travaillais la nuit dans une brasserie 
Et lorsque je rentrais la belle était sortie 

Heureusement un jour que j’étais en congé
Allongé sur mon lit, comme un ver, dénudé 
J’ai entendu un bruit de pas devant ma porte 
Je devais la revoir avant qu’elle ne sorte 

Comme un sombre crétin, ma tenue, oubliant 
Je sors comme un malade un bonjour lui criant 
Les femmes ont quelques fois des réactions curieuses
En suivant son regard je cachais mes joyeuses

J’étais très jeune encore et manquais d’expérience
Par contre ma voisine avait un peu d’avance 
Nous passâmes des jours allant du lit au lit 
Mais j’ai perdu hélas mon travail de nuit

 

Babouche

Les vieux

Les vieux ne parlent plus
Ou alors seulement
Parfois du bout des yeux,
Même riches ils sont pauvres,
Ils n’ont plus d’illusions,
Et n’ont qu’un coeur pour deux.
Chez eux ça sent le thym,
Le propre, la lavande,
Et le verbe d’antan,
Que l’on vive à Paris,
On vit tous en province
Quand on vit trop longtemps.
Est-ce d’avoir trop ri
Que leur voix se lézarde
Quand ils parlent d’hier ?
Et d’avoir trop pleuré
Que des larmes encore
Leur perlent les paupières ?
Et s’ils tremblent un peu
Est-ce de voir vieillir
La pendule d’argent
Qui ronronne au salon,
Qui dit oui, qui dit non,
Qui dit : Je vous attends.

Les vieux ne rêvent plus,
Leurs livres s’ensommeillent,
Leurs pianos sont fermés,
Le petit chat est mort.
Le muscat du dimanche
Ne les fait plus chanter,
Les vieux ne bougent plus,
Leurs gestes ont trop de rides,
Leur monde est trop petit,
Du lit à la fenêtre,
Puis du lit au fauteuil,
Et puis du lit au lit,
Et s’ils sortent encore
Bras dessus, bras dessous,
Tout habillés de raide,
C’est pour suivre au soleil
L’enterrement d’un plus vieux,
L’enterrement d’une plus laide,
Et le temps d’un sanglot
Oublier toute une heure
La pendule d’argent
Qui ronronne au salon,
Qui dit oui, qui dit non,
Et puis qui les attend.

Les vieux ne meurent pas,
Ils s’endorment un jour
Et dorment trop longtemps,
Ils se tiennent la main,
Ils ont peur de se perdre,
Et se perdent pourtant
Et l’autre reste là,
Le meilleur ou le pire,
Le doux ou le sévère,
Cela n’importe pas,
Celui des deux qui reste
Se retrouve en enfer.
Vous le verrez peut-être,
Vous le verrez parfois
En pluie et en chagrin
Traverser le présent.
En s’excusant déjà
De n’être pas plus loin.
Et fuir devant vous
Une dernière fois
La pendule d’argent
Qui ronronne au salon,
Qui dit oui, qui dit non,
Qui leur dit : «  Je t’attends,
Qui ronronne au salon,
Qui dit oui, qui dit non,
Et puis qui nous attend

 

Jacques Brel (1929-1978)

Site officiel (Belgique)

Vieillir en beauté

Vieillir en beauté, c'est vieillir avec son coeur ;
Sans remords, sans regrets, sans regarder l'heure ;
Aller de l'avant, arrêter d'avoir peur ;
Car à chaque âge se rattache un bonheur.

Vieillir en beauté, c'est vieillir avec son corps ;
Le garder sain en dedans, beau en dehors.
Ne jamais abdiquer devant un effort.
L'âge n'a rien à voir avec la mort.

Vieillir en beauté, c'est donner un coup de pouce
A ceux qui se sentent perdus dans la brousse,
Qui ne croient plus que la vie peut être douce
Et qu'il y a toujours quelqu'un à la rescousse.

Vieillir en beauté, c'est vieillir positivement.
Ne pas pleurer sur ses souvenirs d'antan.
Etre fier d'avoir les cheveux blancs,
Car, pour être heureux, on a encore le temps.

Vieillir en beauté, c'est vieillir avec amour,
Sans donner, sans attendre en retour ;
Car où que l'on soit, à l'aube du jour,
Il y a quelqu'un à qui dire bonjour.

Vieillir en beauté, c'est vieillir avec espoir ;
Etre content de soi en se couchant le soir.
Et lorsque viendra le point de non-recevoir,
Se dire qu'au fond, ce n'est qu'un au-revoir.

 

Auteur inconnu

Aimez-vous le passé ?

Aimez-vous le passé
Et rêver d’histoires
Évocatoires
Aux contours effacés ?

Les vieilles chambres
Veuves de pas
Qui sentent tout bas
L’iris et l’ambre ;

La pâleur des portraits,
Les reliques usées
Que des morts ont baisées,
Chère, je voudrais

Qu’elles vous soient chères,
Et vous parlent un peu
D’un coeur poussiéreux
Et plein de mystère.

 

Paul-Jean Toulet (1867-1920)

Sa vie, son oeuvre

Ephémérides

Le temps d’un cri
C’est le temps qui commence

Le temps d’un rire
Et se passe l’enfance

Le temps d’aimer
Ce que dure l’été

Le temps d’après
Déjà time is money

Le temps trop plein
Et plus le temps de rien

Le temps d’automne
Il est là. Long d’une aune

Le temps en gris
Tout de regrets bâti

Le temps d’hiver
Faut le temps de s’y faire

Et trois p’tits tours
C’est le compte à rebours

 

Esther Granek (1927-2016)

Poétesse franco-belge qui a survécu à l'Holocauste.

Biographie

Site officiel (Belgique)

La cloche du soir

Quand la cloche du soir, dans l’air mélancolique,
Vibre et rappelle au loin, vers le chaume rustique,
Le pâtre et ses troupeaux dans les champs dispersés,
Des ans qui ne sont plus le souvenir s’éveille,
Et dans les voix du soir je crois prêter l’oreille
A la voix de mes jours passés.

Où sont mes frais espoirs ? Craintives hirondelles,
Vers les pays d’azur ouvrant leurs jeunes ailes,
Avec mes beaux soleils ils se sont éclipsés ;
Ils ont fui des hivers les haleines trop rudes.
Oh ! revenez parfois peupler mes solitudes,
Doux fantômes des jours passés !

Où ont mes compagnons de joie et de jeunesse ?
L’avenir a trahi sa riante promesse :
Les meilleurs dans la mort reposent embrassés !
De ceux qui restent l’âme est oublieuse ou fière.
Rappelez à mon cœur leur tendresse première,
Douce voix de mes jours passés !

Où donc est cette enfant toute blonde et naïve
Que j’aimais, jeune encor, d’une amitié si vive ?
De nos sentiers déjà ses pas sont effacés ;
Et du clocher natal, dans ta sombre demeure,
Tu n’entends plus la voix qui vibre et qui te pleure,
Douce Amour de mes jours passés !

Cloche, qui chaque soir, comme une sainte mère,
Me rappelais des champs pour dire ma prière,
Quand la chaleur fuira de mes membres glacés,
Que ta voix dans les airs m’arrive et me console ;
Au ciel avec tes sons que mon âme s’envole,
Doux timbre de mes jours passés !

 

Auguste Lacaussade (1815-1997)

Auguste Lacaussade est né en 1815 à Saint-Denis de l’île Bourbon (île de La Réunion) fils d’une Afro-descendante et d’un avocat bordelais.

Confronté dès sa jeunesse au préjugé de couleur, extrêmement marqué dans la société esclavagiste réunionnaise, il fut envoyé par son père à Nantes pour faire ses études et s’installa ensuite à Paris où il se consacra à l’écriture de poèmes.

Biographie complète

La fenêtre

Alors le thé a refroidi.
Elle attendait à sa fenêtre.
Viendra-t-il encore aujourd’hui ?
La chambre de vide s’est remplie.

Alors les heures se sont enfuies.
Elle ne bougeait de sa fenêtre.
Il ne viendra plus aujourd’hui.
La chambre de noir s’est remplie.

Alors les jours se sont enfuis.
Elle ne quittait la fenêtre.
S’il venait pourtant aujourd’hui ?
Tous les lendemains sont promis…

Alors les mois se sont enfuis.
Elle restait là… À la fenêtre.
Demain sera comme aujourd’hui…
La chambre de froid s’est remplie.

Alors les ans se sont enfuis.
Elle attendait. À sa fenêtre.

 

Esther Granek (1927-2016)

Tant de temps

Le temps qui passe
le temps qui ne passe pas
le temps qu’on tue
le temps de compter jusqu’à dix
le temps qu’on n’a pas
le temps qu’il fait
le temps de s’ennuyer
le temps de rêver
le temps de l’agonie
le temps qu’on perd
le temps d’aimer
le temps des cerises
le mauvais temps
et le bon et le beau et le froid et le temps chaud
le temps de se retourner
le temps des adieux
le temps qu’il est bien temps
le temps qui n’est même pas
le temps de cligner de l’œil
le temps relatif
le temps de boire un coup
le temps d’attendre
le temps du bon bout
le temps de mourir
le temps qui ne se mesure pas
le temps de crier gare
le temps mort
et puis l’éternité

 

Philippe Soupault (1897-1990)

Sa vie, son oeuvre

Le buffet

C’est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

Tout plein, c’est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d’enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand’mère où sont peints des griffons ;

C’est là qu’on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s’ouvrent lentement tes grandes portes noires.

 

Arthur Rimbaud (1854-1891)

Sa vie, son oeuvre

Les horloges

La nuit, dans le silence en noir de nos demeures,
Béquilles et bâtons qui se cognent, là-bas;
Montant et dévalant les escaliers des heures,
Les horloges, avec leurs pas ;

Émaux naifs derrière un verre, emblèmes
Et fleurs d’antan, chiffres maigres et vieux ;
Lunes des corridors vides et blêmes,
Les horloges, avec leurs yeux ;

Sons morts, notes de plomb, marteaux et limes
Boutique en bois de mots sournois,
Et le babil des secondes minimes,
Les horloges, avec leurs voix ;

Gaines de chêne et bornes d’ombre,
Cercueils scellés dans le mur froid,
Vieux os du temps que grignote le nombre,
Les horloges et leur effroi ;

Les horloges
Volontaires et vigilantes,
Pareilles aux vieilles servantes
Boitant de leurs sabots ou glissant
Les horloges que j’interroge
Serrent ma peur en leur compas.

 

Emile Verhaeren (1855-1916)

Sa vie, son oeuvre

Chevaux de bois

A Pau, les foires Saint-Martin,
C’est à la Haute Plante.
Des poulains, crinière volante,
Virent dans le crottin.

Là-bas, c’est une autre entreprise.
Les chevaux sont en bois,
L’orgue enrhumé comme un hautbois,
Zo’ sur un bai cerise.

Le soir tombe. Elle dit :  Merci,
Pour la bonne journée !
Mais j’ai la tête bien tournée…
Ah, Zo’ : la jambe aussi.

 

Paul-Jean Toulet (1867-1920)

Sa vie, son oeuvre

Le salon

La poussière s'étend sur tout le mobilier,
Les miroirs de Venise ont défleuri leur charme;
l y rôde comme un très vieux parfum de Parme,
La funèbre douceur d'un sachet familier.

Plus jamais ne résonne à travers le silence
Le chant du piano dans des rythmes berceurs,
Mendelssohn et Mozart, mariant leurs douceurs,
Ne s'entendent qu'en rêve aux soirs de somnolence.

Mais le poète, errant sous son massif ennui,
Ouvrant chaque fenêtre aux clartés de la nuit,
Et se crispant les mains, hagard et solitaire,

Imagine soudain, hanté par des remords,
Un grand bal solennel tournant dans le mystère,
Où ses yeux ont cru voir danser les parents morts.

 

Emile Nelligan (1879-1941)

Sa vie, son oeuvre

La salle à manger

Il y a une armoire à peine luisante
qui a entendu les voix de mes grand-tantes,
qui a entendu la voix de mon grand-père,
qui a entendu la voix de mon père.
À ces souvenirs l’armoire est fidèle.
On a tort de croire qu’elle ne sait que se taire,
car je cause avec elle.

Il y a aussi un coucou en bois,
Je ne sais pourquoi il n’a plus de voix.
Je ne veux pas le lui demander.
Peut-être bien qu’elle est cassée,
la voix qui était dans son ressort,
tout bonnement comme celle des morts.

Il y a aussi un vieux buffet
qui sent la cire, la confiture,
la viande, le pain et les poires mûres.
C’est un serviteur fidèle qui sait
qu’il ne doit rien nous voler.

Il est venu chez moi bien des hommes et des femmes
qui n’ont pas cru à ces petites âmes.
Et je souris que l’on me pense seul vivant
quand un visiteur me dit en entrant :
– Comment allez-vous, monsieur Jammes ?

Et te les offrirai.

 

Francis Jammes (1868-1938)

Sa vie, son oeuvre

Ma chambre

Ma demeure est haute,
Donnant sur les cieux ;
La lune en est l'hôte,
Pâle et sérieux :
En bas que l'on sonne,
Qu'importe aujourd'hui
Ce n'est plus personne,
Quand ce n'est plus lui !

Aux autres cachée,
Je brode mes fleurs ;
Sans être fâchée,
Mon âme est en pleurs ;
Le ciel bleu sans voiles ,
Je le vois d'ici ;
Je vois les étoiles
Mais l'orage aussi !

Vis-à-vis la mienne
Une chaise attend :
Elle fut la sienne,
La nôtre un instant ;
D'un ruban signée,
Cette chaise est là,
Toute résignée,
Comme me voilà !

 

Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)

Sa vie, son oeuvre

Le lit

Qu’il soit encourtiné de brocart ou de serge,
Triste comme une tombe ou joyeux comme un nid,
C’est là que l’homme naît, se repose et s’unit,
Enfant, époux, vieillard, aïeule, femme ou vierge.

Funèbre ou nuptial, que l’eau sainte l’asperge
Sous le noir crucifix ou le rameau bénit,
C’est là que tout commence et là que tout finit,
De la première aurore au feu du dernier cierge.

Humble, rustique et clos, ou fier du pavillon
Triomphalement peint d’or et de vermillon,
Qu’il soit de chêne brut, de cyprès ou d’érable ;

Heureux qui peut dormir sans peur et sans remords
Dans le lit paternel, massif et vénérable,
Où tous les siens sont nés aussi bien qu’ils sont morts.

 

José-Maria de Hérédia (1842-1905)

Sa vie, son oeuvre

Complètement sonnet

Le poète incompris qui s’échine dans l’ombre
À poursuivre le vers jusqu’à épuisement,
Croit en son poème tenir un diamant.
Mais ses pairs l’ignorent, son courage alors sombre.

Comment n’être point las, quand le chagrin l’encombre ?
Trahi par la rime qui sans honte lui ment,
Tandis que sa muse se joue de son amant ?
Le félibre est déçu : c’est trop en si grand nombre !

Quant à tant concourir à viser de vains prix,
Car s’estimant brillant, il risque le mépris :
« Vous êtes écarté ! » La sanction est lourde.

Si son âme meurtrie ne peut se ressaisir,
Son égo éclopé est toujours en désir.
Se serait-il perdu dans une sotte bourde ?

Jacques Dupé

 

Poème remarqué lors du Concours Poetika 2016.

Poaime

Salut ! aux planteurs de feu,
aux frères de myosotis,
à tous ceux qui se nourrissent
de ciel, même quand il pleut.

Ils sont cousins des abeilles,
empereurs des cerisiers,
jumeaux de l’ombre des treilles,
tutoyeurs d’abricotiers.

Le pain se partage l’homme
et l’homme parle à sa mie ;
jusqu’à la bête de somme
rêve d’en faire partie.

Bonjour à tous ceux qui s’aiment
et se réveilleront blé.
Ainsi germe le poème
bien avant d’être oublié.

 

Daniel Reynaud (1936-2001)

Poète charentais, engagé, politique, internationaliste.

Sa biographie

Jusqu'où va le poème ?

Une poésie n'a pas de fin, 
Car tant et tant de poèmes 
Sont écrits sans virgules, 
Et sans point à la ligne. 
Preuve par A plus B 
Pour clamer haut et fort 
Qu'un poème court toujours, 
Au-delà des bords de page, 
Au-delà de ses marges, 
Ou de son mot de la fin 
Qui nous laisse bien des fois 
Sur une faim de loup. 

Le poème va plus loin 
Que les marges qui débordent
Les cercles de ses images,
Et qui mènent tout droit
Sur la piste aux étoiles
Du paradis des mots.

Le poème va plus bas 
Que le bas de la feuille 
De l'arbre de ses strophes, 
Le poème monte plus haut 
Que le haut de la feuille, 
La tête dans les nuages, 

Le poème, quel qu'il soit, 
N'a point de point final, 
Nous ramène sans cesse 
Sur les pieds de ses vers 
Qui glissent à l'infini, 
Entre couplets et refrains 
De la danse de ses mots 
Dans une boucle sans fin, 
A la case de départ.

 

Jean Saint-Vil

De nationalité haïtienne, Jean Saint-Vil, né en 1945, a fait ses études en Haiti et en France. Il est titulaire d'un doctorat en géographie. Ayant redécouvert la littérature, il se passionne pour la poésie, traitant de tous les thèmes, de l'amour à l'humour pur en passant par la nature, la réflexion philosophique et l'autobiographie.

Les poèmes

En ce siècle
Il n'y a pas que la pluie qui tombe
Ou les maquisards
Ou ces missiles en érection

En ce siècle
Il y a aussi les poèmes qui tombent 

Les poèmes tombent des livres
Comme tombent les seins des femmes 
Comme tombe la Mésopotamie
et comme tombent les Pinochet dans le nord
Ou les Bongo dans le Sud.

Oui 
en ce siècle
Les poèmes sont dans les parterres
Car en ce siècle les cœurs sont comme les vidoirs
et les vidoirs sont comme les cœurs

Les poèmes tombent des livres
Comme tombent les crachats

et comme tombe l'insulte
Dans l'oreille du sourd.

 

Belkacem Tayed-Pacha

Espagne, avril 2016

Lam'oureuse et l'o'céan

Je suis « Lam'oureuse »
Portée par les vents,
Une « mie » gracieuse,
Par n'importe quel temps.

J'épouse le rivage,
De mon bel amant,
Au gré des voyages
Et de ses tourments.

Je roule et je danse,
Subtiles avancées,
Au gré de ses transes,
Et de la marée.

Nous nous caressons
Quand elle se retire,
Ivres d'effusions,
D'ondes et de désirs.

Vague échevelée,
Je pars et  reviens,
Comme une insensée
Dans ses bras "sans fin".

Comme un balancier,
Il danse en cadence,
Murmure à mes pieds,
Que je recommence.

Puis sur son sillage,
Il dépose des gemmes,
Trésors, coquillages,
Comme je les aime.

Parée jusqu'aux pieds,
Il m'enivre d'embruns,
Ô mon bien Aimé,
L'Océan indien

 

Dominique Guillaume

Son blog

Prière du mécréant

Mon Dieu mon Dieu
Je viens à toi
Le pied enflé de terre le pied terre déjà
Moi qui ne t’ai jamais su
Moi qui n’ai jusqu’alors jamais su me faire à l’idée de toi
Je viens ce soir vers ton silence

Je ne suis que le peu et je suis si seul
Je t’ai nommé je t’ai créé à mon image
Je viens à toi démuni
Les mains vides et le cœur fatigué

Toute ma vie mon Dieu
J’ai lâché l’ombre pour la proie
Toute ma vie j’ai couru comme un fou au lointain
Vers ce rêve qui était à ma porte

Toute ma vie j’ai gâché ta vie
Même si je me suis battu comme un beau diable mon Dieu
Pour accroître le temps encore et malgré tout

Et toute ma vie j’ose le dire
J’ai été un homme sans Dieu
Sans cette orgueilleuse certitude de ton nom sur l’existence

Mais pourtant si je n’ai pas vécu
J’avoue que j’ai aimé tes pauvres créatures
Comme un fou comme un homme comme un dieu même mon Dieu
Même si cela ne me fut pas toujours rendu loin s’en faut
J’ai aimé jusqu’à perdre haleine jusqu’à perdre vie

J’ai aimé humblement parfois jusqu’à l’orgueil d’écrire

Oui je t’assure que j’ai brûlé et cela me suffit
Et me donne encore ce courage de marcher vers toi aujourd’hui
A l’heure où je n’ai plus trop de jour plus trop de voix
Où j’ai besoin de ton nom comme d’un rêve ultime

Je ne te donnerai presque rien
Un simple caillou dans la paume d’un enfant
Quelques mots un poème cette prière
Comme un dernier souffle jeté sur ma cendre
Mais je ne te demande pas la lune non plus
Et tu ne le sais que trop l’éternité serait un fardeau bien lourd
Pour mes épaules de pauvre pécheur

Non mon Dieu
Donne-moi juste encore un peu de temps pour survivre
Un peu de temps pour aimer
Un peu de temps pour la révolte

Donne-moi juste encore mon Dieu
Un peu de temps pour mourir

 

Guy Allix

Guy Allix, né à Douai le 4 juin 1953, est un poète et un écrivain libertaire français.

L'épouvantail aux yeux de yaourt

De l'orge, du blé, de la tôle
Ondulée, des ciels cabossés...
Tombe l'azur... Sur mon épaule
Sept corbeaux viennent se poser.

Dans la cabane aux sacs d'embrouilles
Quelques moineaux se blottiront
Entre betteraves, citrouilles,
Carottes, ail et potirons.

La paille où se couchent les poules,
Qui recouvre mon crâne creux,
Brûle quand brillent les ampoules
Dans la maison des gens heureux.

Comme yeux : Deux pots de Danone !
Comme vue : Un visage étroit !
Le pas du moine et de sa nonne,
A mes pieds : Les sabots du froid !

A l'avant-bras une machette
En acier couvert de sang chaud ;
Entre la fourche et la fourchette
La nature m'a fait manchot.

Du pilosisme des mygales
Se déshabillent les héros,
Des redingotes à trois balles
De bien piteux pistoleros.

Aux saisons paillardes je glane
Le rire gras des gais lurons
Devançant d'un petit poil l'âne
De leurs chapelets de jurons.

Le chapeau de paille qui penche
Sur ma tête de paille : Il pleut !
Par le sang de Dieu, je m'épanche...
Epouvantable palsambleu !

Je suis l'épouvantail qui campe
Dans les gravats d'une rumeur,
Un phalène autour de la lampe
Qui danse... Qui danse... Qui meurt !...

 

Célédonio Villar-Garcia

Né en Espagne en 1959. Vit en France depuis 1965.

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Dis-moi pourquoi papy ?

Dis-moi pourquoi Papy, je te vois si souvent
Défiler dans la ville avec tous tes copains
Vous portez des drapeaux, dans la pluie, dans le vent
Marchant du même pas unis dans la main.

Dis-moi pourquoi Papy, de l'église au cimetière
Au monument aux morts, on entend le clairon
Vous déposez des fleurs sur des dalles de pierre
J'aimerais tout savoir, quelle en est la raison.

Dis-moi pourquoi Papy, brillent sur vos poitrines
Ces médailles colorées que vous portez fièrement
Pourquoi vous défilez si silencieux, si dignes
Et ce que signifient vos rassemblements.

En réponse mon petit, notre patrie la France
Pour être grande et forte compte sur ses enfants
Beaucoup d'entre eux sont morts le cœur plein d'espérance
Pour que vous puissiez vivre en paix tout simplement.

Regarde-les passer, respecte leurs emblèmes
Car ils ont donné avec le même élan
Leur jeunesse, leur sang, le meilleur d'eux-mêmes
Sois fier de leur passé : ce sont des combattants.

Car notre Boum à nous, ce n'était pas la Foire
Nous n'avions pour musique que la voix du canon
Et tous ceux qui tombaient n'avaient qu'un seul espoir,
Eviter à leurs Fils de connaître le Front.

Poème adressé par une jeune fille du Prythanée militaire de La Flêche à son grand-père

http://www.aidenet.eu/chants08.htm

La main touche une jupe

La main touche une jupe,
muguets fanés, je me souviens,
tiède comme un début de peau,
un feu de sang brûle les os.
Les joncs craquent sous le corps souple,
et le miel bout dans l'oeillet pourpre,
sur le brasier de myosotis
là-haut où les oiseaux s'étirent.
Carrière de braise rouge,
près d'une eau non doublée de tain
où toute pudeur expire
au vent venu de Si loin,
Sous août bruissant, la fièvre est fraîche,
et la brûlure encore glacée
des lèvres fanées de soif,
et du corps torride de sang.
Voici la baie de tes jambes,
avant cette île foudroyée
où peut-être un peu de neige
attend ma tête sans pensée.

 

Alain Borne (1915-1962)

Sa vie, son oeuvre

Berceuse à Auschwitz

Mon bel enfant en habit bleu
Te voilà bien vêtu de velours angoissant
  
Mon bel enfant en habit de faim
Je suis le grand nuage où tu cherches du pain
  
Mon bel enfant en habit de sang
Ta mère ne peut plus te reverser le sien
  
Mon bel enfant en habit de vers
Ils brillent pour ta mère comme des étoiles
  
Mon bel enfant en habit de folie
Au crochet de mon cœur vous pendrez ces guenilles
  
Mon bel enfant en habit de fumée
Vous ne m’avez pas dit si je peux me tourner.

 

Pierre Morhange (1901-1972)

Né dans une famille juive et professeur de philosophie, Profondément troublé par l'Holocauste, sa parole, concise, percutante, dit la souffrance et se veut témoignage : « Je crois qu'un poète doit tout avouer, tout ce que fait son âme jusqu'aux pires ombres. »

Sa biographie

Les bâtisseurs d'éphémère

Grave est leur figure, vivants sont leurs tombeaux
Ils vont l'âme apaisée dans les nuits désolées
Ils font d'un souvenir de radieux mausolées
Et gravissent à genoux les cimes du Beau

Les soleils tournoyants, les vents échevelés
Ont depuis fort longtemps déserté leurs demeures
Ne laissant qu'un frisson à leur corps qui se meurt
Dans les pieux souvenirs des plaisirs élevés

Sous l'azur souriant, leur ombre fait des stèles
Et les arbres figent leurs vertes frondaisons
Quand s'assoient à leurs pieds ces êtres sans saisons
Mêlant leur front sage à la Nature pastel

Ils sont les fiers esclaves des destins royaux
Conquérants des enclaves de l'imaginaire
Bâtisseurs de l'incertain et de l'éphémère
Esprits au regard plus flamboyant qu'un joyau !

 

Monika Gollet

http://monikagollet.wixsite.com/site

Rien d'autre du tout

Seule sur mon lit
Je m'ennuie beaucoup
J'écris ou je lis
Rien d'autre du tout

Et le temps s'enfuit
Sans que sur mon cou
Ne vienne de lui
Quelque baiser doux...

Le soleil décline
Et l'hiver bientôt
Aura, l'on devine,
Mis son vieux manteau

Son manteau d'hermine
Ou bien d'ocelot
Glaçant ma poitrine
D'un profond sanglot

Je grelotterai
Sous l'épaisse couette
Comptant les années
Perdues et l'air bête

Je ruminerai
Pensant aux fleurettes
Qui se sont fanées
Avant la cueillette.

Seule sur mon lit
Je m'ennuie beaucoup
J'écris ou je lis...
Rien d'autre du tout.

 

Lisette

Génération 68

À vingt ans je n’avais qu’une arme : l’insolence,
Je chantais l’amour libre et la fraternité ;
Mais ce siècle en naissant a fini d’émietter
Mes folles utopies réduites au silence.

Gardez bien ce poème et ma désespérance
Car, si je dois partir, vous allez hériter
De ce monde imbécile et plein d’absurdité…
J’implore, mes enfants, juste un peu d’indulgence.

Je vous lègue ces gens débordant d’éloquence,
Leurs discours sur le droit et sur la probité ;
Tous ces petits laquais, négligeant la cité,
Qui ne sont que pantins aux mains de la finance.

Je vous lègue ce Dieu qui, plein de véhémence,
Surgit dans votre école et vient décapiter
L’histoire, la raison et la laïcité
Pour mieux y ressemer la haine et l’ignorance.

Je vous lègue la mer où la barque s’élance
Remplie du désespoir d’êtres persécutés
Par la faim, par la guerre et qui viennent guetter
D’un rivage du nord l’improbable partance.

Je vous lègue la terre et toute l’impuissance
De l’homme à maîtriser ce qu’il a enfanté :
Tsunamis, OGM et forêts dévastées
Et quelque pesticide appliqué aux semences. 

Mais je vous lègue aussi, comme une confidence,
La voix de ces auteurs que j’ai tant écoutée,
Ces poètes charmants et pleins d’humanité
Qui surent éclairer mes pas dans l’existence.

 

Daniel Cuvilliez

Si la mémoire te fait défaut

Si la mémoire te fait défaut, 
Si tu n' te souviens déjà plus, 
Alors regarde dans mon dos 
Tous les coups que j'ai reçus. 
Souviens toi je suis le nègre. 
Celui la même qu'on a vendu. 
Celui la devenu si maigre. 
Celui la même qu'on a pendu, 
Sous les yeux de sa tribu.

Si la mémoire te fait défaut, 
Si tu ne te souviens de rien. 
Alors regarde dans mon dos 
La trace de morsure des chiens. 
Souviens donc toi je suis le juif. 
Qu'on a déporté un matin. 
Pour faire du feu pour faire du suif. 
Celui la même mort de faim, 
Sur le cadavre de qui l'on pisse.

Si ta mémoire te fait défaut, 
Si tu n'te souviens plus du tout. 
Alors regarde dans mon dos, 
Je suis brûlé un peu partout. 
Souviens toi je suis vietnamien. 
J'habitais prés de Diên Biên Phu. 
De mon village ne reste rien. 
J'avais huit ans mais tu t'en fous, 
T'avais massacré tous les miens.

Si ta mémoire te fait défaut, 
Si tous tes souvenirs s'enfuient. 
Alors regarde dans mon dos, 
Je porte le destin des harkis. 
Souviens toi je suis le bougnoule. 
Qu'on a jeté dans un ghetto. 
Le vieil arabe que l'on refoule. 
Qu'on chasse du pied comme un cabot, 
En le traitant de sale bicot.

Si ta mémoire te fait défaut, 
Si tu prétends ne plus savoir. 
Alors regarde dans ton dos, 
Tu as semé le désespoir. 
Regarde moi, je suis d'ici, 
Sans travail et sans logement. 
Moi je suis né dans ce pays. 
Mais tous mes frères ne sont pas blancs. 
Non tous mes frères ne sont pas blancs. 
Non tous mes frères ne sont pas blancs.

 

Allan Bleck

http://www.allanbleck.fr

Le vieux et la bête

Dos courbé, la démarche difficile, opiniâtre.
Tu déambules laissant le vent chagriné
T'envelopper dans une misère acariâtre.
Souffle étouffé, pénible regard saccagé. 

La bête te suit docilement, cette Bouscotte.
Silence partagé, feuilles bousculées.
Ce canin docile, gentille mascotte
Flairant ton amitié, des mains louangées.

Matin glorieux à la saveur sédative.
S'arrêter, flatter cette chaleur animale.
Le suprême d'amour, joie inoffensive.
La cajoler tendrement, douceur vitale.

Puis continuer tes pas solitaires, chancelants
Dans un accord précis, paroles interdites.
Ressentir l'émotion, des pleurs suintants.
Tenter le rêve, chasser ces images maudites. 

Attendre la vie, un espoir si admiratif.
Lever le bras, un jappement sonore.
Le cri désespéré, cœur sensitif.
Tituber péniblement encore et encore.

Tu t'accroches à l'animal, soupape salvatrice.
Hurle mon ami ! Un besoin grandissant, enlevant.
Danse aveuglément, chasse ta rage séductrice.
Emmitoufle ton cœur, redevient ce tendre enfant. 

L'obscurité t'envahit sans savoir pourquoi.
Retourner à la réalité maladive, la dérive.
Souffler paisiblement, ouvrir la porte, ce désarroi.
Sourire béatement, s'asseoir, tête évasive. 

Épilogue

Sur une route abandonnée, glaciale,
Le vieux et la bête à jamais endormis
Dans un ravin, la joie matinale!
Enfin seuls, deux corps insoumis

 

André Labrosse dit "L'épervier"

http://epervier.over-blog.com/

L'émotion

L'EMOTION 
C'est ce qui reste quand 
On t'a tout pris 
Ton nom, tes dires et tes vents 
Tes espoirs, ta jeunesse et tes cris

L'EMOTION 
C'est un sourire 
Pour un tant pis 
Une fille sans dire 
Une femme sans plis 

L'EMOTION 
C'est le cri 
De l'homme en pleurs 
Le coït sur le tri 
D'une femme sans couleur

L'EMOTION 
C'est le fruit 
De rêves brûlants 
Dans les nuits 
Au dédale de l'écran

L'EMOTION 
C'est le chant 
De lèvres trop chaudes 
Qui te refusent son ode 
Comme une plume à son roman

L'EMOTION 
C'est une rue 
Sans appellation 
Une bande de trottoir 
Sans aucune histoire

L'EMOTION 
C'est mon nom 
Sur ton nom 
C'est mon corps 
C'est tes torts 
Sur l'Aurore

 

Patrick Ducros

http://www.lapaillotte87.fr/index.htm