Ecrire des vers à vingt ans, c'est avoir vingt ans.
En écrire à quarante, c'est être poète.
Francis Carco 

Blanc comme neige


Un généreux bonhomme de neige
Mokhtar EL AMRAOUI

y


Il renaît de sa fonte

Le bonhomme de neige

Il revient tout brûlant 

De rêves et d'étincelants désirs

En flocons de rires et sourires

 

Il offre sans nul soupir

Sa carotte de nez

Au lapin qui a froid

Ses bras branches

Au refugié qui a peur

De voir ses rêves mourir gelés

Son bonnet au loup persécuté

Tremblant de toutes les ruines figées

De ses  crocs croulant glacés

 

Bonhomme comme en manège

Il roule en rigolantes boules

Jusqu’à l’orphelin qui pleure

Pour  qu’il  assomme avec tout fier

L’affreux sec et  froid désespoir


© Mokhtar El Amraoui

 


Neiges
Mokhtar EL AMRAOUI

y


La fée neige rend merveilleux

Tout ce qu’elle recouvre

Elle lui offre une apesanteur tout en plumes

Elle réenfante le monde

Comme le doux coton enchanté

D’une légère berceuse maternelle

Chantant le lait d’une blancheur

De début en nouvelles pages

Etincelants cristaux d’étoiles calligraphiant

D’invisibles riantes lettres à deviner

Mais la neige est aussi

Lourd linceul pour ceux

Qui n’ont pas de logis

Qui n’ont que leurs yeux

Pour voir effrayés tout ce blanc ciel

Leur tomber dessus comme glaives

Les enterrant rêvant d’un âtre

Les laissant figés dans leur désastre

Elle leur ravit la vie

Elle qui aurait pu les ravir

S’ils avaient été bien vêtus

Bien chauffés bien nourris bien aimés


© Mokhtar El Amraoui

 


Il y a toujours quelque part en hiver
Jean-Charles PAILLET

y


Il y a toujours quelque part en hiver

un fragile filet d’eau gelée

à la gorge enrouée d’une fontaine


un arbre dévêtu qui frissonne

un soleil pâle désuni de ses rayons


un blanc manteau sur le sol engourdi

un bonhomme blanc comme neige qui sourit


© Jean-Charles Paillet

 


Neige
Anne HEBERT

y


La neige nous met en rêve
Sur de vastes plaines,
Sans traces ni couleur.

Veille mon cœur,
La neige nous met en selle
Sur des coursiers d’écume.

Sonne l’enfance couronnée,
La neige nous sacre en haute-mer,
Plein songe,
Toute voile dehors.

La neige nous met en magie.
Blancheur étale.
Plumes gonflées
Où perce l’œil de cet oiseau.

Mon cœur ;
Trait de feu sous des palmes de gel
Fille de sang qui m’émerveille.

© Anne Hébert

 


Froid dure
Christian SATGÉ

y


Mer givrée, mer figée, mer blanchie de silence
Sur les champs endormis, la neige a déposé 
Une page où les vents gravent leur violence.

Ils sont écheveaux et chevaux désenclosés
Courant sur l’écume d’un temps tout d’indolence,
À fleur de veille, au cœur de nuits décomposées.

Pas de mots menteurs pour contrer ces insolences,
Point de maux mentors non plus pour s’y scléroser,
Juste le vertige du rêve à proposer,
L’oubli de soi, comme étouffé, la somnolence,…

L’aube en robe blême, enfin, vient s’imposer
Et toute auréolée d’une aurore rosée
Brisant les os d’une nuit toute à la semblance
D’un jour en oripeaux laiteux qui nous relance…


© Christian Satgé

 


Il neige
William CHAPMAN

y


C'est un après-midi du Nord.
Le ciel est blanc et morne. Il neige ;
Et l'arbre du chemin se tord
Sous la rafale qui l'assiège.

Depuis l'aurore, il neige à flots ;
Tout s'efface sous la tourmente.
A travers ses rauques sanglots
Une cloche au loin se lamente.

Le glas râle dans le brouillard,
Qu'aucune lueur n'illumine...
Voici venir un corbillard,
Qui sort de la combe voisine.

Un groupe, vêtu de noir, suit,
Muet, le lourd traîneau funèbre.
Déjà du ciel descend la nuit,
Déjà la route s'enténèbre.

Et toujours du bronze éploré
Tombe la lugubre prière;
Et j'entends dans mon coeur navré
Tinter comme un glas funéraire.

Je me souviens... Je me revois,
Sur le blanc linceul de la terre,
Dans la bise, en pleurs, aux abois,
Suivant le cercueil de mon père.

Je ne puis détacher mon oeil,
Voilé d'une larme dernière,
Du silencieux groupe en deuil
Qui marche vers le cimetière.

Je sens, saisi d'un vague effroi,
Qui me retient à la fenêtre,
Qu'en la marche du noir convoi
Fuit quelque chose de mon être.

Soudain dans le champ de la mort
Disparaît le sombre cortège...
C'est un après-midi du Nord.
Le ciel est blanc et morne. Il neige.


© William Chapman

 


Dans l'interminable...
Paul VERLAINE

y


Dans l’interminable
Ennui de la plaine,
La neige incertaine
Luit comme du sable.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune,
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.

Comme des nuées
Flottent gris les chênes
Des forêts prochaines
Parmi les buées.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.

Corneille poussive
Et vous, les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive ?

Dans l’interminable
Ennui de la plaine
La neige incertaine
Luit comme du sable.


© Paul Verlaine

 


Neige
Ludovic JANVIER

y


Neige dehors neige dedans
neige lente sur les frissons
neige noire à crever les yeux
pas un humain qui vous réponde
il doit leur neiger sur la voix
est-ce que tout le monde est mort
est-ce que je suis le dernier vivant
enfoui sous quelques flocons de rien
(posant le rien tout autour je veux dire)
corrompu jusqu’à l’os par le deuil et le froid
car il neige à n’en plus finir
de plein fouet sur le chagrin
comme autrefois doucement sans pardon
neige légère à serrer le cœur
neige lourde à tuer le temps
c’est bien l’éternité comme prévu
qui précipite exactement sur moi
c’est tout simple il ne fallait pas naître

© Ludovic Janvier

 


En hiver
Emile VERHAEREN

y


Le sol trempé se gerce aux froidures premières,
La neige blanche essaime au loin ses duvets blancs,
Et met, au bord des toits et des chaumes branlants,
Des coussinets de laine irisés de lumières.

Passent dans les champs nus les plaintes coutumières,
À travers le désert des silences dolents,
Où de grands corbeaux lourds abattent leurs vols lents
Et s’en viennent de faim rôder près des chaumières.

Mais depuis que le ciel de gris s’était couvert,
Dans la ferme riait une gaieté d’hiver,
On s’assemblait en rond autour du foyer rouge,

Et l’amour s’éveillait, le soir, de gars à gouge,
Au bouillonnement gras et siffleur, du brassin
Qui grouillait, comme un ventre, en son chaudron d’airain.


© Emile Verhaeren

 


L'hiver
Lucie DELARUE-MARDRUS

y


L'hiver, s'il tombe de la neige,
Le chien blanc a l'air beige.
Les arbres seront bientôt touffus
Comme dans l'été qui n'est plus.
Les oiseaux marquent les allées
Avec leurs pattes étoilées.
Aussitôt qu'il fait assez jour,
Dans le jardin bien vite on court.
Notre maman nous emmitoufle,
Même au soleil, la bise souffle.
Pour faire un grand bonhomme blanc,
Tout le monde prend son élan.
Après ça, bataille de neige !
On s'agite, on crie, on s'assiège.
Et puis on rentre, le nez bleu,
Pour se sécher autour du feu.


© Lucie Delarue-Mardrus

 


Nuit de neige
Guy de MAUPASSANT

y


La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d'un bois.

Plus de chansons dans l'air, sous nos pieds plus de chaumes.
L'hiver s'est abattu sur toute floraison ;
Des arbres dépouillés dressent à l'horizon
Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes.

La lune est large et pâle et semble se hâter.
On dirait qu'elle a froid dans le grand ciel austère.
De son morne regard elle parcourt la terre,
Et, voyant tout désert, s'empresse à nous quitter.

Et froids tombent sur nous les rayons qu'elle darde,
Fantastiques lueurs qu'elle s'en va semant ;
Et la neige s'éclaire au loin, sinistrement,
Aux étranges reflets de la clarté blafarde.

Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n'ayant plus l'asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.

Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
De leur œil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas.


© Guy de Maupassant

 


Matin de décembre
Charles CROS

y


On s’éveille
du coton dans les oreilles
une petite angoisse douce
autour du cœur comme mousse ;
C’est la neige
l’hiver blanc
sur ses semelles de liège
qui nous a surpris, dormant.


© Charles CROS

 


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Philippe Geluck



Le bonheur est comme la neige : il est doux, il est pur et... il fond.
Claire Mallesset



La neige. C'est de la lumière dont la terre est couverte. Des franges d'écume sur les rochers. Un vol de papillons blancs.
Roger Mondolini



La neige possède ce secret de rendre au coeur en un souffle la joie naïve que les années lui ont impitoyablement arrachée.
Antonine Maillet



La neige ne brise jamais la branche du saule.
Proverbe japonais