La nuit, la lune et les étoiles...
Astronomie
Quand je regarde le ciel
la nuit du tableau noir
j’y vois des routes praticables
avec des sémaphores
un dessin d’enfant
qui relie des points
en comptant l’image
somme de silences
des formes originales
des fuites et des veines
des clignotements
et des rayures
saignent l’espace
des tracés de vies passées
des soupçons de vie future
et encore chaque fois
je m’y retrouve
mes pupilles s’agrandissent
tandis que mon ventre se noue
déjà l’arbre donne un coup de balai
il faut tout recommencer
J'ai tué la Lune
J’ai tué la Lune
Pour éteindre la nuit
Que les Hommes enfin puissent se reposer
J’ai tué la Lune
Et ses reflets d’argent
Ces reflets malicieux savez-vous ce qu’ils cachent ?
J’ai tué la Lune
Pour mieux voir les étoiles
Retrouver le chemin des vieilles caravelles
J’ai tué la Lune
Pour qu’enfin les falaises
Et les phares dressés n’aient plus peur des marées
J’ai tué la Lune
Me pardonnerez vous ? Je voyais dans son œil
tous les chagrins du monde
Etoiles filantes
Ce soir, c’est la nuit des étoiles filantes,
Y seras-tu papa ? Y seras-tu maman ?
On m’a dit que vous êtes des étoiles,
Que vous brillez de mille feux dans ce ciel,
Que vous me regardez en êtres invisibles,
Ce soir, c’est la nuit des étoiles filantes,
Y seras-tu maman ?
Y seras-tu papa ?
Aurais-je le temps de vous apercevoir
Si vous filez aussi vite que la lumière ?
Cette lumière qui était vôtre dans ma vie
Ce soir, c’est la nuit des étoiles filantes,
Y serez-vous papa, maman ?
Y serez-vous grand-mère, grand père ?
Y a t-il un défilé qui vous honore
Pour tout ce que vous avez apporté
À tous ceux que vous avez tant aimés ?
Ce soir, c’est la nuit des étoiles filantes,
Et si vous y êtes, maman, papa,
Et si vous y êtes grand-père, grand-mère,
Filez encore plus vite que d’habitude,
Restez dans votre ciel si dégagé,
Ici-bas, tout s’est tellement dégradé...
Entre la nuit et le silence
Entre la nuit et le silence
paupières fermées
Je voisine avec les arbres
je parcours la terre
je traverse les mers
je saute d’étoile en étoile
je porte si près le rêve
Mes chemins sont d’amour
j’en connais les visages
Nuit au jardin
Connais-tu la douceur des beaux jardins nocturnes
Où, sous les baisers blancs de la lune, les fleurs
Voluptueusement froides et taciturnes
Versent leurs parfums lourds dans la lumière en pleurs ?
Connais-tu la douceur des beaux jardins nocturnes ?
Comme une fleur qui chante, en la vasque d’eau vive
Sur sa tige s’élance et tinte le jet d’eau,
Et, lys surnaturel, sa corolle plaintive
Monte en désirs mourants vers l’astre jeune et beau,
Comme une fleur qui chante en la vasque d’eau vive.
Viens ! La brise épuisée a des saveurs étranges.
Viens ! Je sais le secret d’un amour singulier
Dont le charme interdit étonnerait les anges ;
C’est un fruit oublié sur l’antique espalier.
Viens ! la brise épuisée a des saveurs étranges
Une virginité douloureuse et divine
S’évapore dans l’air comme un encens très doux.
Ô bonheurs incréés qu’un cœur souffrant devine !
Voici, voici qu’expire éperdument en nous
Une virginité douloureuse et divine.
— Aux paradis gelés, où la neige et le givre
Se pâment sur les flancs exsangues des glaciers,
La volupté du froid et du silence enivre
Comme un léthé cruel les cœurs émaciés
Aux paradis gelés de la neige et du givre.
La nuit
Quand la lune blanche
S'accroche à la branche
Pour voir
Si quelque feu rouge
Dans l'horizon bouge
Le soir,
Fol alors qui livre
A la nuit son livre
Savant,
Son pied aux collines,
Et ses mandolines
Au vent ;
Fol qui dit un conte,
Car minuit qui compte
Le temps,
Passe avec le prince
Des sabbats qui grince
Des dents.
L'amant qui compare
Quelque beauté rare
Au jour,
Tire une ballade
De son coeur malade
D'amour.
Mais voici dans l'ombre
Qu'une ronde sombre
Se fait,
L'enfer autour danse,
Tous dans un silence
Parfait.
Tout pendu de Grève,
Tout Juif mort soulève
Son front,
Tous noyés des havres
Pressent leurs cadavres
En rond.
Et les âmes feues
Joignent leurs mains bleues
Sans os ;
Lui tranquille chante
D'une voix touchante
Ses maux.
Mais lorsque sa harpe,
Où flotte une écharpe,
Se tait,
Il veut fuir... La danse
L'entoure en silence
Parfait.
Le cercle l'embrasse,
Son pied s'entrelace
Aux morts,
Sa tête se brise
Sur la terre grise !
Alors
La ronde contente,
En ris éclatante,
Le prend ;
Tout mort sans rancune
Trouve au clair de lune
Son rang.
Car la lune blanche
S'accroche à la branche
Pour voir
Si quelque feu rouge
Dans l'horizon bouge
Le soir.
La nuit
La nuit silencieuse et sombre se recueille,
Pour observer le deuil du jour qui est parti.
Une chape de plomb chaque son amortit.
Nulle bête ne geint, ne bruisse nulle feuille.
C'est le temps du sommeil qui à la mort ressemble,
Où l'être s' aventure aux portes du néant.
C'est la terre engloutie dans un noir océan.
C'est l'heure ou les amants pour leurs rites s'assemblent.
L'heure où la solitude apparaît plus immense,
Plus profonde, atténuée par nul bruit familier ;
Où ceux qui croient au ciel se mettent à prier,
Où ceux qui n'y croient pas ratiocinent et pensent.
Celle où le corps s'endort, où l'esprit se réveille,
Où les peines d'hier, les soucis à venir
Viennent le tourmenter,
où les vieux et les vieilles
Questionnent le passé, les jeunes l'avenir.
Où nulle distraction n'occulte, nulle tâche,
Les malheurs du destin que le jour a calmés.
Où chacun reconnaît ses stigmates, ses taches,
Selon qu'il a fauté, selon qu'il a aimé.
C'est le temps mystérieux et propice aux légendes,
De la raison déchue par la reine illusion ;
Où le cerveau sensé donne sa démission,
Où l'irréel gouverne et l'inouï commande.
Où l'homme sans tracas explore de doux rêves,
Et son pareil sans joie des songes pleins d'effroi ;
Où le premier sourit lorsque l'aube se lève,
Où pleure le second lorsque pointent ses doigts.
On est entre deux eaux, la nuit, entre deux chaises.
Les pires mécréants ont des visions d'enfer.
De contes de fées ceux qui croient dur comme fer.
C'est le temps où la vie est entre parenthèses.
Mélancolie nocturne
Dont le sens, les secrets sont à jamais enfouis.
Luit dans des sanglots qui pleuvent en constellations.
Déposant des éclats de vivre en serpentins…
Ecoute
Derrière les fenêtres closes.
On dirait que c'est peu de choses,
Un pas s'en vient, un pas s'enfuit.
Le dernier autobus qui passe,
Quelqu'un qui chante quelque part,
Un avion au fond de l'espace,
Un voisin qui rentre bien tard.
Un chien aboie. Un matou miaule,
On entend glisser un vélo.
La nuit est pleine de paroles
Qui viennent de l'air et de l'eau.
Soleils couchants
Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.
La mélancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s’oublie
Aux soleils couchants.
Et d’étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent sans trêves,
Défilent, pareils
À de grands soleils
Couchants sur les grèves.
Le jour et la nuit
Quand on se dit « bonjour »,
Que les enfants courent
Vers l’école pour
Jouer dans la cour,
C’est le jour.
Quand la lune luit,
Que les chats sont gris,
Qu’on est dans le lit
Au calme et sans bruit,
C’est la nuit.
Etoiles filantes
Dans les nuits d’automne, errant par la ville,
Je regarde au ciel avec mon désir,
Car si, dans le temps qu’une étoile file,
On forme un souhait, il doit s’accomplir.
Enfant, mes souhaits sont toujours les mêmes :
Quand un astre tombe, alors, plein d’émoi,
Je fais de grands voeux afin que tu m’aimes
Et qu’en ton exil tu penses à moi.
A cette chimère, hélas ! je veux croire,
N’ayant que cela pour me consoler.
Mais voici l’hiver, la nuit devient noire,
Et je ne vois plus d’étoiles filer.
© François Coppée
Tristesses de la lune
Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse ;
Ainsi qu'une beauté, sur de nombreux coussins,
Qui d'une main distraite et légère caresse
Avant de s'endormir le contour de ses seins,
Sur le dos satiné des molles avalanches,
Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,
Et promène ses yeux sur les visions blanches
Qui montent dans l'azur comme des floraisons.
Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,
Elle laisse filer une larme furtive,
Un poète pieux, ennemi du sommeil,
Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d'opale,
Et la met dans son cœur loin des yeux du soleil.
La lune
Sur la lune de lait caillé
On voit un bonhomme.
Il porte sur son dos
Un fagot de gros bois.
Ça doit être bien lourd
Car il n'avance pas.
Il est là chaque mois,
Bûcheron d'autrefois.
Sur la lune de néon
On voit un astronaute
Il porte sur son dos
La fusée du retour.
Il est déjà parti
Il n'y a plus personne
Entre la mer des Crises
Et la Sérénité.
Sur la lune de néon,
On a peint les yeux, la bouche,
Le nez et un gros bouton
Sur lequel dort une mouche.
Toujours on a eu l'impression
Que cet objet astronomique
Était à portée de la main
Familier, mélancolique.
© Raymond Queneau