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Création de la page le 07/02/2023

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Le Monde de Poetika
Site & Revue de poésie en ligne
N° ISSN : 2802-1797

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Posté le 17/03/2023 - Thème : Temps / Homme

Trente secondes de la vie d'un homme

Le temps de saisir dans son œil
Le chat l’oiseau la rose l’abeille
Et le regard perdu d’une fille de rue

Le temps de saisir dans son nez
L’odeur puissante du goudron
Et le parfum porteur d’un nom de reine

Le temps d’orner l’oreille
D’un cri d’enfant
D’un crissement de roue

Le temps de respirer six fois
De rêver d’espérer
Et de rouler comme un galet
Dans le torrent sauvage de la vie

 

© Edmond DUNE


pEdmond Dune
(1914-1988)

Ecrivain, poète et auteur dramatique luxembourgeois, Edmond Dune a été un écrivain aux multiples facettes, pourtant complémentaires : poésie, théâtre aphorismes, prose et traduction (de l’allemand et de l’italien). Il s'est adonné à la peinture dans les dernières années de sa vie. Il a collaboré à de nombreuses revues littéraires au Luxembourg et à l’étranger.



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Posté le 15/03/2023 - Thème : Amour

L'école buissonnière

Je t’ouvre des pays qui n’ont pas de frontières
Je te présente à Dieu
Tu prends fleur dans le vent
L’oiseau bâtit son nid au creux de ton épaule


Je te poursuis encor sur la mer
C’est pour toi
Que cette main devient étoile et primevère
Et c’est pour toi
L’envol inquiétant des fenêtres


En ce moment tu viens de m’apparaître
À la place que j’occupais
A celle que j’occuperai
Pendant bien des années encor
Tu es le lierre de mon corps


Je ne veux plus te voir effrayée
Mais dormante
Et la poitrine nue
Comme un pays neigeux
Je te destine au frais tumulte de ma bouche.

 

© René-Guy CADOU


pRené-Guy Cadou
(1920-1951)

Poète français qui grandit dans une ambiance de préaux d’écoles, de rentrées des classes, de beauté des automnes, de scènes de chasse et de vie paysanne qui deviendront plus tard une source majeure de son inspiration poétique. Fils d'instituteurs, il devient lui aussi instituteur et rencontre Hélène, le grand amour de sa vie qui fut aussi l'inspiratrice de nombreux recueils. Durant l'Occupation allemande, il témoigne de son soutien à la Résistance par ses écrits et son désir de dénoncer la barbarie nazie. Il composera un nombre considérable de poèmes avant que la maladie ne l'emporte prématurément à l'âge de 31 ans.



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Posté le 13/03/2023 - Thème : Espoir

Je voudrais que mon crâne...

Je voudrais que mon crâne soit comme une chapelle
Abandonnée perdue au fond d'un val touffu
On entend bourdonner une mouche une abeille
Et l'on croît deviner des sourires aux statues
 
Je voudrais que mon cœur soit comme un feu dans l'âtre
Qui rougeoie dans la nuit avec sa bonne odeur
Dans les tisons l'on voit un mystérieux théâtre
De masques de chevaux de rires et de fleurs
 
Je voudrais que mon corps soit une goélette
Qui danse en s'amusant sur la crête des flots
A la proue le beaupré se moque des tempêtes
Tous les vents sont amis de ce fringant rafiot
 
Je voudrais que mes mains sachent guérir les peines
De tous ces fronts brûlants les enfants affolés
Ce pauvre homme qui pleure et cette bohémienne
Au milieu des bagnoles et comme hallucinée
 
Je voudrais que mes yeux comprennent la lumière
Qui dore toutes choses du long manteau de Dieu
Les paupières fermées plus loin que la prière
Embrasser d'un regard le profond puits des cieux
 
Je voudrais que mon âme demeure la fidèle
De ce chant lumineux en enfance jailli
Qu'au silence épanoui elle file comme une aile
Vers le grand rendez-vous du soleil de la Nuit

 

© Philippe FORCIOLI


pPhilippe Forcioli (1953-2023)
Auteur-compositeur-interprète d'origine corse, Philippe Forcioli a été élevé entre le midi de la France et Paris. Il reste attaché aux valeurs de son enfance dont les plus fortes sont justice et solidarité. Ses études scientifiques s'inscrivent dans l'évolution souhaitée par ses parents, et son sens de la famille ne s'est jamais démenti. Ce barbu à l'accent du sud n'est pas tout à fait ordinaire puisqu'en poète des temps modernes, il a déclamé Delteil, Brassens, Cadou. Amoureux de la nature, il a organisé des randos-lectures-chansons et sillonné la Corse, l'Angleterre ou l'Irlande. Son livre-testament, Les Impromptus de la Sauvegarde, rédigé sur son lit d'hôpital alors qu'il est soigné pour un cancer,
témoigne sur son expérience en milieu médical et des moments-clés de sa vie.



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Posté le 11/03/2023 - Thème : Artiste

Apollinaire (acrostiche)

Guetteur mélancolique
Utopique voyageur sous le pont Mirabeau
Il regarde couler la Seine et ses amours éphémères
L’enchanteur pourrissant écrit, compose
La chanson du mal aimé… Lui voudrait être, le mâle aimé.
Annie, à son amour se déroba pour un autre quidam.
Un éclat d’obus est fiché dans cette peau trouée, il soupire ;
Madeleine ne viendra ni ce soir ni jamais
Elle attend un amant de cœur intransigeant.


Alcools, à la santé pour rien, infâme destinée
Poète assassiné, rêveur obstiné, d’amours désincarnés
Ombre de mon amour écrira-t-il un jour de grande peine
Louise ne me laisse pas seul, j’ai peur dans la tranchée
Lou, ne joue pas, j’ai peur du loup-garou
Installe-moi au berceau de tes bras
Non le chemin des dames n’est pas semé d’amour.
A Blaise qui ne peut plus faire de bras d’honneur il dit :
Il faut aimer l’étincelle de vie d’un coup de foudre’.
Rescapé de l’horreur. Il finira par prendre en grippe une
Espagnole tueuse de mille et cent poètes.

© Claude DUSSERT


pClaude Dussert
(1947-aujourd'hui)
Poète, nouvelliste et pamphlétaire à ses heures, Claude Dussert est diplômé du Conservatoire d’Arts Dramatiques de Grenoble. Cadre commercial, il a créé sa société de communication « CBCD » en 1993 à Lyon. Il vit actuellement en Bourgogne, dans la région de Cluny. Éclectique dans ses lectures, sa passion pour la poésie l’a amené à être membre de nombreuses associations. Il participe activement à plusieurs anthologies de poésie et ouvrages collectifs ainsi qu’à des concours. Il a édité à compte d’auteur cinq recueils de poésie et un recueil de nouvelles. Il a également remporté de nombreux prix de poésie.



Voir aussi : → Anecdotes sur Guillaume Apollinaire
Voir aussi : → Site officiel Guillaume Apollinaire

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Posté le 11/03/2023 - Thème : Avenir

Message à l'avenir

Je t’écris d’un pays où le pôle nord a changé de cap
les moteurs dévastent l’air
noircissent nos poumons
les enfants galopent dans des écrans
les animaux sont abattus à grande vitesse
pour fournir à nos panses viande terne
on achète on consomme on jette
notre temps file file et file
nous construisons l’arme qui nous tue tous
en poussant juste sur un bouton
nous divisons la planète par lignes invisibles
interdit de les franchir si tu demandes asile
nous rêvons de conquérir l’espace
pour affamer une autre terre
nos frères meurent de faim de froid
à même les trottoirs aux pays des nantis
les plus âgés croupissent dans les mouroirs
l’eau la belle eau la ruisselante
nous la filtrons pour apaiser nos soifs
Dans ton coeur qui demain battra
un peu du mien y chantera
chante oui chante le demain d’aujourd’hui
tu lis ces mots c’est que tu vis
célèbre la vie qui passe
marche marche arpente les chemins
et de tes mains à d’autres reliées
aime oui aime le monde qui est tien
et de tes lèvres et de ton souffle
invente les mots de ton poème
chair lumineuse aux enfants de demain.

 

© Laurence VIELLE


pLaurence Vielle (1968-aujourd'hui)
Actrice, metteuse en scène et écrivaine belge, Laurence Vielle aime dire les mots, surtout les écritures d’aujourd’hui. Résidant dans sa ville natale, à Bruxelles, elle a joué dans plusieurs pièces, écrit également pour le théâtre, des scénarios pour le cinéma et de la poésie. Elle a reçu de nombreux prix dont celui de la meilleure comédienne au Festival de Clermont en 1999.



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Posté le 08/03/2023 - Thème : Femme

De chaque jour,
faites fête !
FEMMES !

Une seule journée pour fêter la femme ?
Quelle ingratitude infâme !
Des siècles ne pourraient suffire
Pour évoquer les injustices qu'on lui fait encore subir !

Que fêter ? Les jougs qui la font souffrir et dépérir ?
Les longues nuits d'amère solitude, de larmes et soupirs ?
Elle n'a pas attendu la charité d'une reconnaissance !
Tel un volcan fier en colère,
Pour mettre fin à ses souffrances,
Elle se réveilla, révoltée, de sa torpeur,
Jugulant toutes ses frayeurs et peurs !

Elle n’a jamais cessé de lutter
Contre les bourreaux et barreaux de ses douleurs,
Pour arracher, dans ses pires heures,
Son droit à la liberté, la dignité et la parité,
Son droit mérité à un juste bonheur,
Pour briser ses chaînes et l'horrible image
De l'éternelle soumise aux diktats de l'esclavage !

Chaque jour sera sa fête contre défaites et soumissions !
Chaque jour sera nouvelle aube de sa libération
Contre les perfides impitoyables oppressions
Qui essayent à coups de leurres et absurdes argumentations
De la plonger dans l’obscurité des inhumaines régressions !

 

© Mokhtar EL AMRAOUI


Mokhtar El Amraoui (1955-aujourd'hui)
Poète d’expression française né à Mateur, en Tunisie, Mokhtar El Amraoui a enseigné la littérature et la civilisation françaises pendant plus de trois décennies, dans diverses villes de la Tunisie. Il est passionné de poésie depuis son enfance. Il a publié quatre recueils de poésie et plusieurs de ses poèmes ont été publiés sur Internet et en revues-papier.



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Posté le 05/03/2023 - Thème : Femme / Liberté

Femmes-oiseaux de liberté

Aux femmes-colibris avec la force d’un aigle.

Dans un monde où l’habit fait le moine
et où l’apparence fait loi,
la douceur et le charme
passent souvent pour fragilité.
On a l’impression
que la bise va les emporter,
ces silhouettes d’oiseaux-femmes
aussi fines que le plus fin des roseaux.
On guette leurs pas hésitants,
les moindres failles dans leur voix.
Mais là, dans leurs frêles thorax,
sous leurs côtes,
c’est un volcan qui se déploie.
Le vent pourra souffler,
la tempête pourra se déchaîner,
rien ne déracinera
leurs âmes de roseaux plantées dans les nuages,
rien ne pourra porter atteinte
à leur joie, à leur force, à leur liberté,
à la puissance née de leur fragilité
d’oiseaux-femmes Amazones
d’oiseaux-flammes libérées.

Carpe Diem ! À la vie ! À la liberté !

 

© Parme CERISET


pParme Ceriset
Passionnée de poésie et membre de la Société des Poètes Français, rédactrice à La Cause littéraire, surnommée « la plume Amazone » pour son tempérament très indépendant et son attachement suprême à la liberté. Parme Ceriset navigue entre Lyon et le Vercors où elle puise son inspiration. Son roman autobiographique Le serment de l'espoir - Que la vie souffle encore demain paru chez L'Harmattan, fait écho à son parcours totalement atypique. Elle a grandi avec une maladie rare, a exercé en tant que médecin puis a été sauvée par une greffe des poumons après avoir passé quatre ans sous oxygène. Dans ce roman qui est une ode à la Vie, à l'Espoir, à la Nature, à la Passion, à l'Amour et à la Liberté, elle défend une conception artistique de l'existence en déroulant le récit par petites touches, comme une fresque impressionniste. Parme Ceriset est également dessinatrice. Elle est fascinée par la vie sauvage et le monde animal, par la spiritualité et son expression artistique depuis l'aube immémoriale du monde et de l'humanité. Sur le plan philosophique, elle considère la poésie, selon ses propres mots, comme "un acte de résistance contre le non-sens et la mort". Son Graal absolu est la "liberté libre" de Rimbaud, qu'elle poursuit elle aussi, parfois jusque dans les ténèbres, éclairée par le flambeau inextinguible de sa foi en la vie et en l'Amour universel. Elle se définit comme humaniste, écologiste, féministe et pacifiste. Sa devise : "N'appartiens qu'à toi-même et au souffle du vent." (Extrait de son recueil "N'oublie jamais la saveur de l'aube", 2019). Son dernier recueil Femme d'eau et d'étoiles a été publié en 2021 et vient d'être couronné du Prix Marceline Desbordes-Valmore 2021 par la Société des Poètes Français.



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Posté le 01/03/2023 - Thème : Artiste

Rodin

Entre force et lumière son geste est auguste
De ses mains de graveur il caresse le buste
Dans un piètre meublé ou dans une simple piaule
Qu’il dessine ou pétrisse la courbe d’une épaule
La cambrure d’un dos, la fermeté d’un sein
La perception d’un œil au regard sibyllin
L’amant tumultueux exorcise sa passion.
Sensuel, jouisseur, amoureux, polisson
Camille sera pour lui qu’une simple passion
La pierre devient sa muse, le marbre son pygmalion.


L’Académie des arts, trois fois le refoula
La sculpture, mon ami, n’est pas faite pour toi
Et bien que couronné comme "le bouc sacré"
C’est vers les bons pères qu’il croit trouver la paix.


Mais la nature bientôt reprend vite ses droits
Volage et infidèle il cumule à la fois
Aventures amoureuses et études de l’art
Dans l’Italie de Dante il se plait et s’égare.
Il est reconnu maître de l’art "in finito"
Il peaufine ses œuvres tel un peintre ses tableaux.


Les commandes affluent, les expos le réclament
Ses œuvres respirent la vie, on les dirait moulées
A même l’académie des corps fins, sculptés
La cabale n’est pas loin qui honnit ceux qui gagnent
Ses détracteurs seront les dindons de la farce.


Son art est au zénith il modèle les corps
Et leur confère une âme, une vie en accord
Il n’aime qu’en pointillé, ah ! Le bouc sacré.
C’en est dit, il épouse sa première conquête
Qui à chaque retour ne lui fait pas la tête
Elle meurt dans ces bras, il en est tout pantois
Il ne lui survivra à peine plus de six mois.

 

© Claude DUSSERT


pClaude Dussert
(1947-aujourd'hui)
Poète, nouvelliste et pamphlétaire à ses heures, Claude Dussert est diplômé du Conservatoire d’Arts Dramatiques de Grenoble. Cadre commercial, il a créé sa société de communication « CBCD » en 1993 à Lyon. Il vit actuellement en Bourgogne, dans la région de Cluny. Éclectique dans ses lectures, sa passion pour la poésie l’a amené à être membre de nombreuses associations. Il participe activement à plusieurs anthologies de poésie et ouvrages collectifs ainsi qu’à des concours. Il a édité à compte d’auteur cinq recueils de poésie et un recueil de nouvelles. Il a également remporté de nombreux prix de poésie.



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Posté le 22/02/2023 - Thème : Saison / Hiver

Un jour d'hiver

Arqué haut sur les monts et d'un bleu sans nuages
Qu'un triomphant soleil embrase éblouissant,
Le ciel, par la vallée où la chaleur descend,
Anime, en plein hiver, la mort des paysages.

Il semble qu'ici, là, la mouche revoltige,
Tourne dans la poussière ardente du rayon ;
On va voir le martin-pêcheur, le papillon,
L'un raser le ruisseau, l'autre effleurer la tige !

Le ravin clair bénit l'horizon rallumé ;
Du branchage et du tronc l'arbre désembrumé
Contemple, radieux, le luisant de la pierre.

Et, dans l'espace, au loin, partout, les yeux surpris
Ont la sensation d'un été chauve et gris
Dont la stérilité rirait à la lumière.


© Maurice ROLLINAT


pMaurice Rollinat
(1946-1903)
Poète, musicien et interprète français, Maurice Rollinat a écrit ses premiers poèmes en 1870, encouragé par George Sand. Ses textes, allant du pastoral au macabre en passant par le fantastique, lui valent une brève consécration en 1883. Tourmenté, souffrant de névralgies, il se retire dans la Creuse où il continuera son oeuvre littéraire. Au décès de sa compagne, il tente plusieurs fois de se suicider. Malade (probablement d'un cancer), il est hospitalisé à Ivry où il meurt à l'âge de 56 ans.



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Posté le 20/02/2023 - Thème : Amour / Bonheur

Sur mes paupières

Jamais je n'oublierai
Tes mots
Semés sur mes paupières heureuses
Dans ce nid à l'orée de ton bois
Dans ce lit qui n'en était pas un
Ce lit où le sommeil était une évidence
Après l'amour souvent
Jamais je n'oublierai
Ton regard d'océan au milieu des feuilles d'arbres
Ton sourire contagieux
Ta simplicité qui
Bien souvent s'énervait
Sur de simples broutilles
Et pourtant toujours là dans le creux de nos bras


© Flora DELALANDE


pFlora Delalande
Auteure et animatrice spécialisée en
écriture et plantes sauvages comestibles et médicinales, Flora Delalande est tombée en amour avec la poésie. Après avoir publié son premier recueil de poèmes en 2011, elle crée avec de jeunes poètes l’association Le Temps des Rêves.
Dès ses débuts, elle cherche à mêler les arts entre eux. En 2013, attirée par l’oralité et désireuse de partager le plus intimement possible son art avec le public, elle se lance dans la création de spectacles. Naissent alors des duos poétiques et musicaux, des pièces collectives et des performances totales faisant intervenir la peinture, la danse, la musique et le chant autour de ses poèmes. En parallèle, elle continue à publier des livres et arpente les contrées nouvelles du livre pauvre et du livre d'artiste.



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Posté le 18/02/2023 - Thème : Nature / Musique

Le chant des Rameurs

          J’ai demandé souvent
          Ecoutant la Clameur
          D’où venait l’âpre chant
          Le doux chant des Rameurs.

 

Un soir, j’ai demandé aux jacassants corbeaux
Où allait l’âpre chant, le doux chant des Bozos,
Ils m’ont dit que le Vent, messager infidèle
Le déposait tout près dans les rides de l’Eau ;
Mais que l’eau désirant demeurer toujours belle
Efface à chaque instant les replis de sa peau.

 

          J’ai demandé souvent
          Ecoutant la Clameur
          D’où venait l’âpre chant
          Le doux chant des Rameurs.

 

Un soir, j’ai demandé aux verts Palétuviers
Où allait l’âpre chant des Rudes Piroguiers ;
Ils m’ont dit que le Vent, messager infidèle
Le déposait très loin, au sommet des palmiers ;
Mais que tous les palmiers ont les cheveux rebelles
Et doivent tout le temps peigner leurs beaux cimiers.

 

          J’ai demandé souvent
          Ecoutant la Clameur
          D’où venait l’âpre chant
          Le doux chant des Rameurs.


Un soir, j’ai demandé aux complaisant Roseaux
Où allait l’âpre chant, le doux chant des Bozos,
Ils m’ont dit que le Vent, messager infidèle
Le confiait là-haut, à un petit oiseau ;
Mais que l’Oiseau, fuyant dans un furtif coup d’ailes,
L’oubliait quelquefois dans le ciel indigo.

 

          Et depuis, je comprends
          Ecoutant la Clameur
          D’où venait l’âpre chant
          Le doux chant des Rameurs.


© Birago DIOP

Extrait du recueil Leurres et lueurs, Editions Présence Africaine, 1960


pBirago Diop
(1906-1989)
Poète et conteur sénégalais, Birago Diop avait restauré l'intérêt général pour les contes africains et avait été promu au rang des plus grands écrivains africains francophones. Vétérinaire de formation, diplomate et porte-parole du mouvement littéraire de l'Afrique Noire, Diop est un exemple de "l'homme de la Renaissance africaine".



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Posté le 18/02/2023 - Thème : Rêve

Rêves

Mes nuits sont tressées de rêves
Doux comme le vin nouveau
J’ai rêvé que les fleurs des arbres tombaient
M’enveloppaient, me recouvraient.

 

Et toutes ces fleurs devenaient des baisers
Brûlants comme le vin rouge
Et tristes comme des papillons de nuit qui savent
Qu’ils devront s’éteindre dans le faux-semblant de la mort

 

Mes nuits sont tressées de rêves
Lourds comme le sable fatigué
J’ai rêvé que, des arbres mourants,
Les feuilles tombaient dans ma main.

 

Et toutes ces feuilles devenaient des mains
Qui caressaient comme un sable mouvant
Et étaient fatiguées comme des papillons qui savent
Qu’ils finiront avant le rayon du soleil

 

Mes nuits sont tressées de rêves
Bleus comme le mal d’amour
J’ai rêvé que de tous les arbres tombaient
Des flocons de neige qui tintinabulaient

 

Et tous ces flocons devenaient des larmes
Que j’ai pleurées chaudement –
Comprends mes rêves, mon amant,
Ils sont tous pleins de désir pour toi.

8 novembre 1941


© Selma MEERBAUM-EISINGER

Traduit de l'allemand par Marc Sagnol


pSelma Meerbaum-Eisinger
(1924-1942)
Poétesse germanophone, cousine germaine de Paul Celan, Selma Meerbaum-Eisinger est décédée le 16 décembre 1942 dans le camp de travaux forcés de Michailowka en Ukraine qui, en tant que juive victime de persécutions, mourut du typhus à dix-huit ans. Son œuvre est souvent classée parmi la Littérature-monde. L’œuvre de Selma Merbaum est composée de 58 poèmes, qu'elle a écrits soigneusement au stylo chacun sur une page puis reliés en un album intitulé Blütenlese [Anthologie]. Les poèmes de Selma Merbaum qui ont pu être sauvés traitent avant tout de romances impressionnistes, d'élégie à la nature d'une maîtrise stylistique remarquable, imprégnée de mélancolie.



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Posté le 18/02/2023 - Thème : Nature

Cession

Le vent,
dans les terres sans eau de l’été, nous
quitte sur une lame,
ce qui subsiste du ciel.

En plusieurs fractures, la terre se précise. La terre demeure stable dans le souffle qui nous dénude.

Ici, dans le monde immobile et bleu, j’ai presque atteint ce mur.
Le fond du jour est encore devant nous.
Le fond embrasé de la terre.
Le fond et la surface du front,
aplani par le même souffle,
ce froid.

Je me recompose au pied de la façade comme l’air bleu au pied des labours.

Rien ne désaltère mon pas.


© André du BOUCHET
Extrait de " Dans la chaleur vacante ", Editions Mercure de France, 1959


pAndré du Bouchet
(1924-2001)

Poète français, André du Bouchet passe son enfance en France jusqu'à la débâcle qui le jette sur les routes avec sa famille puis s'exile aux Etats-Unis, et devient professeur. De retour en France en 1948, il publie des textes critiques et ses premiers écrits poétiques paraissent en 1950. Sa poésie exigeante, réfractaire à tout embrigadement, s’inscrit dans le sillage de Stéphane Mallarmé et voisine avec celle de Pierre Reverdy ou René Char ; elle ouvre sur un paysage dans lequel erre l’homme, hiératique et pourtant central. Il est le cofondateur en 1967, avec Yves Bonnefoy et Jacques Dupin de la revue L’Éphémère, qui accueille des poètes comme Philippe Jaccottet ou Paul Celan.



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Posté le 16/02/2023 - Thème : Nature

Du même endroit

Au fur et à mesure que l'eau de la rivière se déplace
à contre-courant près du rivage,
elle se disperse dans des brins d'herbe
loin de son centre.
La mémoire fait un voyage à rebours
où une matière incertaine
revient avec de nombreux fragments.


© Giampiero NERI


pGiampiero Neri
(1927-2023)
[Vrai nom : Giampiero Pontiggia]
Poète italien, Giampiero Neri était connu pour son style roman ; son œuvre est connue pour son style concis, sec et sans fioritures, et veiné de mélancolie et d'humour. Son œuvre était souvent écrite en prose. En 2019, il a reçu le prix de poésie du Cilento pour sa brillante carrière.



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Posté le 16/02/2023 - Thème : Métier

La fileuse

Assise, la fileuse au bleu de la croisée
Où le jardin mélodieux se dodeline ;
Le rouet ancien qui ronfle l'a grisée.


Lasse, ayant bu l'azur, de filer la câline
Chevelure, à ses doigts si faibles évasive,
Elle songe, et sa tête petite s'incline.


Un arbuste et l'air pur font une source vive
Qui, suspendue au jour, délicieuse arrose
De ses pertes de fleurs le jardin de l'oisive.


Une tige, où le vent vagabond se repose,
Courbe le salut vain de sa grâce étoilée,
Dédiant magnifique, au vieux rouet sa rose.


Mais la dormeuse file une laine isolée ;
Mystérieusement l'ombre frêle se tresse
Au fil de ses doigts longs et qui dorment, filée.


Le songe se dévide avec une paresse
Angélique, et sans cesse, aux doux fuseaux crédule,
La chevelure ondule au gré de la caresse...


Derrière tant de fleurs, l'azur se dissimule,
Fileuse de feuillage et de lumière ceinte :
Tout le ciel vert se meurt. Le dernier arbre brûle.


Ta sœur, la grande rose où sourit une sainte,
Parfume ton front vague au vent de son haleine
Innocente, et tu crois languir... Tu es éteinte


Au bleu de la croisée où tu filais la laine.


© Paul VALÉRY


pPaul Valéry
(1871-1945)
Ecrivain, poète et philosophe français, Paul Valéry effectue un début de carrière dans l'ombre, secrétaire particulier d'Edouard Lebey, fonction qui lui laisse le loisir de l'étude, la recherche et des rencontres avec le milieu artistique et littéraire de l'époque. Ce n'est qu'au sortir de la Première guerre mondiale, à l'abord de la cinquantaine, que sa célébrité éclate en tant que poète avec la publication de La Jeune Parque. Il devient dès lors immensément célèbre en tant qu'intellectuel et homme de lettres.



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Posté le 09/02/2023 - Thème : Silence

Dans le silence de la ville

Derrière les murs dans la rue
Que se passe-t-il quel vacarme
Quels travaux quels cris quelles larmes
Ou rien la vie un linge écru

Sèche au jardin sur une corde
C'est le soir cela sent le thym
Un bruit de charrette s'éteint
Une guitare au loin s'accorde

Il fait jour longtemps dans la nuit
Un zeste de lune un nuage
Que l'arbre salue au passage
Et le coeur n'entend plus que lui

Ne bouge pas c'est si fragile
Si précaire si hasardeux
Cet instant d'ombre pour nous deux
Dans le silence de la ville


© Louis ARAGON


pLouis Aragon
(1873-1914)
Poète et romancier français, il participe au mouvement dadaïste et surréaliste aux côtés d'André Breton. En 1928, sa rencontre avec Elsa Triolet, l'amour de sa vie, lui inspirera de nombreux poèmes. Bon nombre de ses textes ont été mis en musique par Léo Ferré ou Jean Ferrat.



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Posté le 09/02/2023 - Thème : Mort / Religion

Quand nous aurons joué nos derniers personnages

Quand nous aurons joué nos derniers personnages,
Quand nous aurons posé la cape et le manteau,
Quand nous aurons jeté le masque et le couteau,
Veuillez vous rappeler nos longs pèlerinages.

Quand nous retournerons en cette froide terre,
Ainsi qu’il fut prescrit pour le premier Adam,
Reine de Saint-Chéron, Saint-Arnould et Dourdan,
Veuillez vous rappeler ce chemin solitaire.

Quand on nous aura mis dans une étroite fosse,
Quand on aura sur nous dit l’absoute et la messe,
Veuillez vous rappeler, Reine de la promesse,
Le long cheminement que nous faisons en Beauce.

Quand nous aurons quitté ce sac et cette corde,
Quand nous aurons tremblé nos derniers tremblements,
Quand nous aurons râlé nos derniers râlements,
Veuillez vous rappeler votre miséricorde.

Nous avons gouverné de si vastes royaumes,
Ô Régente des rois et des gouvernements,
Nous avons tant couché dans la paille et les chaumes,
Régente des grands gueux et des soulèvements.

Nous n’avons plus de goût pour les grands majordomes,
Régente des pouvoirs et des renversements,
Nous n’avons plus le goût pour les chambardements,
Régente des frontons, des palais et des dômes.

Nous n’avons plus de goût pour le métier des armes,
Reine des grandes paix et des désarmements,
Nous n’avons plus le goût pour le métier des larmes,
Reine des sept douleurs et des sept sacrements.

Nous avons tant appris dans les maisons d’école,
Nous ne savons plus rien que vos commandements,
Nous avons tant failli par l’acte et la parole,
Nous ne savons plus rien que vos amendements.

Quand nous aurons joué nos derniers personnages,
Quand nous aurons posé la cape et le manteau,
Quand nous aurons jeté le masque et le couteau,
Veuillez vous rappeler nos longs pèlerinages.


© Charles PÉGUY


pCharles Péguy
(1873-1914)
Ecrivain, poète et essayiste, Charles Péguy est mort pour la France le 5 septembre 1914, le premier jour de la première bataille de l'Ourcq. Son œuvre, multiple, comprend des mystères d'inspiration médiévale en vers libres et des recueils de poèmes en vers réguliers. Intellectuel engagé, après avoir été militant socialiste libertaire, anticlérical, puis dreyfusard au cours de ses études, il se rapproche à partir de 1908 du catholicisme et du nationalisme. Le noyau central et incandescent de toute son œuvre réside dans une profonde foi chrétienne qui ne se satisfaisait pas des conventions sociales de son époque.



y
Posté le 09/02/2023 - Thème : Ecriture

Je suis une feuille

Aurais-je imaginé que je me trouverais là Une mine de stylo plantée sur ma peau ? Les yeux de mon bourreau qui ne me quittent pas Ma blancheur lui fait peur, je sais qu'il cherche ses mots

Je suis une feuille blanche, je ne demandais rien Qu'à rester sur mon arbre et attendre la fin Moi j'aimais le vent se perdant dans les feuilles Le murmure de la sève qui me donnait la vie Moi j'aimais la hauteur que j'avais sur les choses Je n'ai pas vu venir la lame qui m'a trahie

Si au moins je servais de papier officiel Pour signer des traités et protéger les faibles Ou être dans les mains d'un poète oublié Qui me jetterait ses vers comme on cherche un ami

J'aurais pu être pressée sur le cœur d'une enfant Écoutant dans mes lignes la voix de son amant Ou être le pliage d'un gamin de huit ans Et voler dans les airs sous les rires des enfants Ou être dans les pages d'un livre d'histoire Qui dit que le chemin est encore tellement long

Mais voilà que je sens que la plume me frôle Et les lettres se forment comme l'encre tourbillonne J'n'ai jamais vu plus lourd que le poids de ces mots C'est la misère d'un homme que je sens sur mon dos

Il dit "je veux finir d'avec ma vie Pardonne-moi mon amour mais je m'arrête ici Ce n'est pas de ta faute si je baisse les bras Mais j'ai perdu ma chance de gagner ici-bas" Et moi c'était mon rôle de porter tous ces mots Et les larmes d'une femme tomberont sur moi bientôt

J'aurais pu être pressée sur le cœur d'une enfant Écoutant dans mes lignes la voix de son amant Ou être le pliage d'un gamin de huit ans Et voler dans les airs sous les rires des enfants Mais je tourne la page d'une triste histoire Qui dit que le chemin n'était pas tellement long Pas tellement long, pas tellement long


© Renan LUCE
Extrait de l'album "Repenti"


pRenan Luce
(1980-aujourd'hui)
Auteur-compositeur-interprète, il rencontre le succès en France avec son Album Repenti en 2006 et sa chanson La Lettre.



y
Posté le 08/02/2023 - Thème : Société

Moi aussi, je chante l'Amérique

Moi aussi, je chante l’Amérique.

Je suis le frère à la peau sombre.
Ils m’envoient manger à la cuisine
Quand vient du monde.
Mais je ris,
Et je mange bien,
Et je prends des forces.

Demain,
Je serai à la table
Quand viendra du monde.
Personne,
Alors,
N’osera me dire
« Va manger à la cuisine ».

De plus,
Ils verront comme je suis beau
Et ils auront honte —

Moi, aussi, je suis l’Amérique.


© Langston HUGHES


pLangston Hughes
(1902-1967)
Poète, nouvelliste et écrivain américain, Langston Hughes participera au journal étudiant de son école de Cleveland (Ohio) et écrira ses premières nouvelles, poésies et pièces de théâtre. Sorti de son université à Columbia, en 1922, il privilégiera les joies de la rue d'Harlem à sa scolarité. Pour vivre, il cumule les petits boulots. Ses études à l'université de Lincoln lui permettent d'obtenir un doctorat en littérature en 1943. Il effectue ses premiers travaux d'écriture en tant que journaliste et publie ses premiers recueils. Sa renommée est due en grande partie à son implication dans le mouvement culturel communément appelé Renaissance de Harlem qui a secoué Harlem dans les années 1920.



y
Posté le 07/02/2023 - Thème : Amour / Mer

Le soleil et la mer partir

Sans même se retourner partir pour oublier
Les instants d’une vie et les tracas aussi.


Partir pour éviter que le train qui nous mène
D’un seul coup nous amène les valises à la main
Vers un autre destin.


D’un coucher de soleil
Où rien n’est plus pareil
Sur une plage d’écume bercée par un éclat de lune
Partir et oublier.


Partir
Les yeux vers l’horizon rivés sur le néant
Une pluie d’étincelles illuminant le ciel.


Partir mais sans partir
Comme la vague au rocher caressante à souhait
Dans les plus beaux soupirs des moments de faiblesse
À l’ivresse des caresses un élan qui s’arrête puis soudain recommence
Comme les pas d’une danse.


Partir et revenir sans jamais le trahir.
Partir sans toi ne serait pas partir
C’est comme un peu partir sans moi
Mon cœur entre tes doigts.


D’un coucher de soleil où rien n’est pareil
D’un rayon de lune sur le lit d’une dune
Que ces éclats dérivent et soudain nous enivrent
T’amenant jusqu’à moi dans un divin désir
Partager avec toi des moments de plaisir.


© Tony RICHARD


Tony Richard (1950-aujourd'hui)
Né à Coblence d'un père militaire et d'une mère bretonne, Tony Richard a d'abord exercé le métier de pâtissier pendant une vingtaine d'années puis a été enseignant pendant 30 ans. Une carrière bien remplie pour ce voyageur qui a sillonné la France, de Paris à Cagnes-sur-Mer en passant par Boulogne, Limoges et bien d'autres contrées. Il a également voyagé en Chine et au Japon. Ecrivain sur le tard et passionné de poésie, il a publié plusieurs recueils, à découvrir sur son blog.



y
Posté le 07/02/2023 - Thème : Saison / Hiver

Apathique saison...

Apathique saison. Hiver saison boudeuse.
Dans l’air, le vent fredonne une chanson hideuse
Que l’oiseau parodie en un doux contrepoint.
Au bois chaque arbre arbore, à son torse, un pourpoint
D’écorce. Il fait si froid ! Tout grommelle et tout grogne
Mais, petit à petit, c’est l’hiver que l’an rogne,
Croque, jour après jour. Tant mieux ! Il était temps
Que reviennent les mois adorés du printemps.
Par les bois tout l’attend. C’est tout un plébiscite.
Que revienne la joie et que l’on ressuscite.

© Marcel MICHEL


Marcel Michel
Marcel Michel a toujours voyagé en écriture. Depuis 2013, il couche sur le papier son monde intérieur foisonnant. Son dernier recueil est rempli des sons d’une nature vivante, de réflexions sur l’homme et sur les choses qui nous entourent et que l’on ne perçoit plus. Ouvrage où la beauté, de poème en poème, pose sa touche délicate.



y
Posté le 07/02/2023 - Thème : Amour

Le chant de mon oud

Sauras-tu écouter,
Sur le fil tendu éperdu des heures,
Mon oud fêlé, qui pour toi,
S’habille de mille feux d’oiseaux d’oueds ?
Je te viens, de bien loin, te dire, de mon levant
En courbes, le sang fatigué,
Pourtant, tant enchanté de mon attente,
De mon inextinguible soif
Qui boit à la Seine de tes courbes assoiffées
Et aux galbes dressés de tes seins parfumés
Par tant de désir retenu, détenu
Qui veut exploser et tuer ces inutiles morts lentes !
Pourquoi ne suis-tu pas les pas de nos pas qui nous dansent ?
Ecoute, donc, tout ce bois, toutes ces cordes,
Qui en nous, qui par nous, qui pour nous
Se font chair,
Se font voix,
De nos chairs,
De nos voix,
Voix de nos chairs,
Chairs de nos voix
Et renaissent à leur quintessence,
Sans peines ni souffrances,
De fontaine t’attendant, en stances
Se tendant, s’étendant
En oud, en ses pleurs fous d’incompris, en ses fleurs
S’offrant aux feux de tes lèvres,
A la chaude rosée printanière de tes seins qui ont soif,
Roucoulant à quatre mains tous ces jasmins en éclairs
Si lactés convolant en justes notes égarées
Puis retrouvées en fugues mineures, en fugues majeures égayées
Loin de toute frayeur, reniant les blêmes torpeurs,
En volutes fulminant de cris d’aimer tapageurs
De gémir, de soupirs, de complaintes et de bonheur
Dits dans nos couleurs d’après silences et douleurs,
En fusions enivrées de danseurs !
Ecoute-le, mon oud, prendre en ailes
Tes furtifs sourires d’apeurée
Pour les faire planer
Sur les plus hautes cimes des extases éclatées !
Ris-toi, mais ris-toi, donc, de ces cendres
Qui veulent étouffer les chaudes braises
De ton corps qui brûle dans cette geôle
Qui assassine ta liberté et ses radieux envols !
Ecoute-le, mon oud, mon cœur,
Te chanter en odes, toi qui l’as charmé :
« Ceins tes seins des lauriers de tes trophées
Qui méritent leur chemin de volupté,
Pour laisser fleurir, à jamais, l’or
De ce splendide bonheur,
Le sublime droit d’aimer ! »

Oud : luth à cordes pincées très répandu dans les pays du Maghreb, en Turquie, en Grèce et en Arménie

© Mokhtar EL AMRAOUI
Extrait de "Le souffle des ressacs"


Mokhtar El Amraoui (1955-aujourd'hui)
Poète d’expression française né à Mateur, en Tunisie, Mokhtar El Amraoui a enseigné la littérature et la civilisation françaises pendant plus de trois décennies, dans diverses villes de la Tunisie. Il est passionné de poésie depuis son enfance. Il a publié quatre recueils de poésie et plusieurs de ses poèmes ont été publiés sur Internet et en revues-papier.



y
Posté le 07/02/2023 - Thème : Vie

Chienne de vie

Dans cette chienne de vie
j'ai préféré tirer la chasse,
tirer la langue
et le diable par la queue
que de tirer du gun
ou de tirer des chèques
sur le malheur des autres.
J'ai préféré passer l'éponge,
passer mon tour,
passer les bornes,
passer pour fou
que de passer tout droit.

Mais cette chienne de vie
est parfois si jolie
(merci Prévert)
sans collier sans licou,
les deux pieds dans la vase
et le poil au soleil.

Quand on m'aura dompté,
dressé, salarié,
je ne serai plus
qu'un masque sans visage,
une ride sans voix,
un habit sans personne,
un corps en location,
un coeur à la consigne,
une âme en peine.

Je veux rester sans nom
au milieu de la foule
et faire l'accolade
à tous ceux qui s'égarent.
Je veux rester rebelle
et me refaire une vie
hors des sentiers battus,

Je veux planter ma tente
au milieu de l'orage
et faire d'un volcan
un oasis de paix,
de la peur une armure
et de l'angoisse un feu
pour réchauffer la vie.
 

Je veux rester debout
pour une femme qui passe
mettant le feu au cul
et la main à la pâte.
Je veux rester vivant
pour une femme qui chante
et rallume à ma queue
le désir des voyous.


© Jean-Marc LA FRENIÈRE


pJean-Marc
La Frenière
(1948-2023)
Né au Québec dans la vallée du Richelieu, Jean-Marc La Frenière, poète de rue, a distribué sa poésie par l’intermédiaire des itinérants. Puis sur Internet, il a participé à des groupes d'écriture collective puis a publié dans des revues.



y
Posté le 07/02/2023 - Thème : Mer

Les cocotiers

Sous la brise du large, au déclin du soleil,
Les cocotiers géants bercent leurs chevelures ;
Leurs palmes doucement vibrent au soir vermeil
Ainsi qu’en haut des mâts de chantantes voilures.


Le refrain de la mer, à leur chanson, pareil
Glisse sur le rivage aux blanches dentelures
Un soupir doux et frais qui hante le sommeil
Des sables endormis à l’ombre des ramures…


Mais qu’elle est, tout à coup, cette voix dans la nuit
Qui livre ses accents au murmure des palmes
Et qui semble, à la mer, dire un profond ennui ?


Est-ce de l’au-delà un faible écho qui meurt
Avec la blanche lame au pied des rives calmes
Ou la tristesse en moi qui fait pleurer mon cœur ?

 

© Alcide BARET


pAlcide Baret
(1914-1959)
Poète et écrivain réunionnais, Alcide Baret était instituteur à la Rivière Saint-Louis. Il obtient plusieurs prix de poésie et fréquente les poètes de l'île. Il est fondateur de la revue Trait d'union, et édite son premier recueil Primes accords en 1949. Il devient membre de l'Académie de la Réunion et fait partie de la Société des poètes français à Paris. Ne survivant pas au décès brutal de son épouse, il décède à l'âge de 45 ans et laisse une oeuvre poétique inachevée.


Site qui lui est consacré :
→ http://baret.alcide.monsite-orange.fr/

y
Posté le 07/02/2023 - Thème : Inclassables

Dulcie

La pluie

au creux de ta main

songe s’ouvre

l’oiseau

que flèche le vent

tient debout

le mot qui de loin t’inspire l’étoile caravelle

pleure pas tes esclavages

âge ancien

 

© Boris GAMALEYA


pBoris Gamaleya
(1930-2019)
Né à Saint-Louis de La Réunion, Boris Gamaleya est un poète, écrivain et dramaturge français. Enseignant dans différents collèges de l'île, il milite dans le Parti communiste réunionnais et se passionne pour la culture populaire. L'ordonnance Debré le contraint avec son épouse et d'autres fonctionnaires d'Etat, à quitter l'île et il devient enseignant en région parisienne. Durant cet exil de douze années, il commence l’écriture de ses poèmes d’exil et de combat qui seront publiés plus tard. Après une grève de la faim, il parvient à rejoindre l'île et y sera enseignant jusqu'à 1985. Il publie son premier livre Vali pour une reine morte en 1973, long poème épique à la fois lyrique et dramatique. De retour en France en 2012 avec son épouse, il s'installe à Barbizon.



y
Posté le 07/02/2023 - Thème : Amour

Regard

Ton regard couleur de fleuve

Est l'eau docile et qui change

Avec le jour qu'elle abreuve.

Petit matin, Robe d'ange

Un pan du manteau céleste

Sous tes cils, entre les rives

S'est pris. Coule, coule eau vive.

La nuit part, mais l'amour reste

Et ma main sent battre un cœur.

L'aube a voulu parer nos corps de sa candeur.

Fête-Dieu.

Le désir matinal a repris nos corps nus

Pour sculpter une chair que nous avions cru lasse.

Sur les fleuves au loin déjà les bateaux passent.

Nos peaux après l'amour ont l'odeur du pain chaud.

Si l'eau des fleuves est pour nos membres,

Tes yeux laveront mon âme ;

Mais ton regard liquide au midi que je crains

Deviendra-t-il de plomb ?

J'ai peur du jour, du jour trop long

Du jour qu'abreuve ton regard couleur de fleuve

Or dans un soir pavé pour de jumeaux triomphes

Si la victoire crie la volupté des anges,

Que se révèle en lui la Majesté d'un Gange.


© René CREVEL


pRené Crevel
(1900-1935)
Ecrivain et poète surréaliste, René Crevel a fait des études de lettres et de droit à la Sorbonne mais délaisse les cours pour la lecture ou les discussions avec des artistes. Son père se suicide alors qu'il a 14 ans : cet évènement marquera profondément sa vie. Il fait la connaissance d'André Breton en 1921 et rejoint les surréalistes. Exclu du mouvement en 1925, il se tourne vers le dadaïsme. En 1926, il est atteint de tuberculose. Il s'investit beaucoup dans l'organisation du "Congrès international des écrivains pour la défense de la culture" de 1935, mais suite à une altercation, il est exclu du congrès. Apprenant qu'il souffre d'une tuberculose rénale alors qu'il se croyait guéri, il se suicide au gaz dans son appartement, après avoir griffonné sur un papier « Prière de m'incinérer. Dégoût ».



y
Posté le 07/02/2023 - Thème : Vieillir / Saisons

Passer l'hiver

J'aurai encore laissé passer l'hiver
Sans refaire la charpente mangée aux vers
Et ni enfin écrire cette lettre
Sur l'amour, sur le vide rongeant l'être


J'aurai aimé mal, très, toutes mes femmes
Mal entretenu tous mes feux et flammes
Je n'aurai pas vu le mot sous la porte
Mais j'aurai hurlé dans des sonos mortes


J'aurai mal parlé pour mes espérances
Dépensé tout le bien de mes parents
Dans toutes les danses perdu mon pas
Fait le coup de poing où il fallait pas


J'aurai convoqué les mots et les dieux
Sans retenir l'eau crevant le barrage
Ni les poissons d'or sautant dans tes yeux
Ni la silhouette avec son bagage


J'aurai attendu longtemps l'aube et l'homme
Puis je me serai endormi trop tôt
Quand j'étais peut-être l'aube et cet homme
J'ai froid dans mon manteau


La nuit se dévide et le soleil fond
Et j'aurai laissé courir sur son aire
Le beau bateau. Il est échoué sur les hauts-fonds
De tes yeux, ton silence, ton désert !


J'aurai laissé mon fils comme un voleur
Fuir par la porte étroite sous mon cœur
S'en alla chercher une balle au front
Mon petit combattant, ma ressemblance…


J'aurai toujours pris la vie de très haut
Et sans avoir pas trahi père et mère
J'aurai laissé par le carreau cassé entrer l'hiver
J'aurai laissé mourir de froid tous mes oiseaux


© Jacques BERTIN


pJacques Bertin (1946-aujourd'hui)
Chanteur, poète et journaliste français, Jacques Bertin est un artiste à contre-courant de la variété à partir de la seconde moitié des années 1960 et son œuvre n'aura jamais les faveurs des médias ni du grand public. Artiste sans compromissions, ses chansons sont partagées entre une inspiration politique et une autre éminemment poétique. Il a obtenu deux fois le Grand Prix du Disque de l'Académie Charles-Cros durant sa carrière.



y
Posté le 07/02/2023 - Thème : Voyage

Bohémiens en voyage

La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s’est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L’empire familier des ténèbres futures.

 

© Charles BAUDELAIRE


pCharles Baudelaire
(1821-1867)
Connu pour sa vie de bohême et poète torturé, il ne publia de son vivant qu'une seule oeuvre "Les Fleurs du Mal", recueil qui fut condamné et censuré dès sa sortie en 1857 car trop choquant pour la morale bourgeoise avant de passer à la postérité. Criblé de dettes, il séjournera durant deux ans en Belgique (1864-1866) pour y donner des conférences mais sa santé se dégrade. Il revient à Paris où il meurt un an plus tard à l'âge de 46 ans des suites de la syphilis, d'abus d'alcool et autres drogues.



y
Posté le 07/02/2023 - Thème : Mort

Mort

Où a-t-on trouvé le corps mort ?
Qui a trouvé le corps mort ?
Le corps était-il mort quand on l’a trouvé ?
Comment a-t-on trouvé le corps mort ?


Qui était le corps mort ?


Qui était le père ou la fille ou le frère
Ou l’oncle ou la sœur ou la mère ou le fils
Du corps mort et abandonné ?


Le corps était-il mort quand on l’a abandonné ?
Le corps était-il abandonné ?
Par qui a-t-il été abandonné ?


Le corps mort était-il nu ou en costume de voyage ?


Quelle raison aviez-vous de déclarer le décès du corps mort ?
Avez-vous déclaré la mort du corps mort ?
Quels étaient les liens avec le corps mort ?
Comment avez-vous su la mort du corps mort ?


Avez-vous lavé le corps mort
Lui avez-vous fermé les deux yeux
Avez-vous enterré le corps
L’avez- vous laissé abandonné
Avez-vous embrassé le corps mort

Ce texte a été écrit après la description d’un cadavre dans une morgue par Gottfried Bennes.


© Harold PINTER


pHarold Pinter
(1930-2008)
Ecrivain, dramaturge, scénariste et metteur en scène britannique, Harold Pinter était aussi un grand voyageur. Il a écrit pour le théâtre, la radio, la télévision et pour le cinéma. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 2005.