Retour aux sources


Les papillons noirs
Philippe SALORT

y

Sur le blanc de la ville blanche
Les mimosas jaunes en branches
Frémissaient dans le sirocco.
Des hivers doux aux étés chauds
Les vaguelettes dans la lumière
Avaient le bleu en bandoulière.


Fils de rapatriés
J’ai dans mon encrier
Un vieil appartement
Très idéalement
Situé à Kouba
Avec la mer en bas.


Élevé dans les souvenirs
Les récits à n’en plus finir
Les yeux encore pleins du soleil
D’avant la croisière pour Marseille
De la tribu tombée des nues ;
Qui n’en est jamais revenue.


Fils de rapatriés
J’ai dans mon encrier
Un vieil appartement
Très idéalement
Situé à Kouba

Avec la mer en bas.


Élevé dans une Algérie
De paroles, de chants, d’écrits ;
Dans ce savoureux pataquès
Tissé de perles de tristesse
Par la famille et les amis
De cet exil, jamais remis.


Fils de rapatriés
J’ai dans mon encrier
Un vieil appartement
Très idéalement
Situé à Kouba
Avec la mer en bas.


J’ai vieilli sans avoir vaincu
La noire tristesse de ce vécu
Cette éternelle mélancolie
Au vif des mots ensevelie ;
Papillons noirs de mon enfance
Dans la Somme au nord de la France.


Fils de rapatriés
J’ai dans mon encrier
Un vieil appartement
Très idéalement
Situé à Kouba
Avec la mer en bas


© Philippe SALORT
Photo : Kouba en Algérie, Pinterest


Philippe Salort
Moi j'aime cet auteur qui débute à 60 ans !! Qui se sent plus artisan qu'artiste, plus potache que poète... Qui se dit davantage les doigts pleins d'encre que la tête dans les étoiles !
→ Voir la liste de tous ses textes sur le site
→ Son profil sur short-edition.com


Échos des jours
Mokhtar EL AMRAOUI

y
Murs portes et fenêtres 
Se font écrans de souvenirs
Quand tu les caresses  
Presses du regard assoiffé  
De tes impatientes questions
Ils coulent roucoulent d’ombres 
Portant l’écrin de tant de jeux 
Aux yeux de rencontres 
Luisant de feux d’aimer 
D’amertumes de séparations 
Et joies de retrouvailles

Tu revois danser les jours 
Dans le tintamarre des défis
Bravant inconscients l’impossible
En d’interminables rêves et soliloques 
A pied volants à vélo ou sur balançoire
Va-et-vient des roues des jours
Pentes d’euphories
Blessures de chutes
Soignées par les merveilleux contes 
Des lunes et soleils
Berceuses de si tendres mains
Puis encore pleurs et rires
Partir revenir rebondir 
Telles sont nos pages de vie 
Entre souvenirs et oublis 

© Mokhtar EL AMRAOUI


Mokhtar El Amraoui (1955-aujourd'hui)
Poète d’expression française né à Mateur, en Tunisie, Mokhtar El Amraoui a enseigné la littérature et la civilisation françaises pendant plus de trois décennies, dans diverses villes de la Tunisie. Il est passionné de poésie depuis son enfance. Il a publié quatre recueils de poésie et plusieurs de ses poèmes ont été publiés sur Internet et en revues-papier.
→ Voir la liste de tous ses textes sur le site
→ Blog de l'auteur : https://mokhtarivesenpoemesetautresvoyages.blogspot.com/


Vingt
Pierre-Michel SIVADIER

y
Vingt déploient
sur les coteaux brûlés
prévisions de sang d’anges
et les vents s’entrechoquent.
 
Vents
danger
quand ils vengent
impatience étourdie.
 
Vingt vignes adossées
nourries dans la fournaise
se ressourcent au terreau des oracles.
 
Entraide monacale
vierges et doux sentiments.
 
Tu,
passant,
imagines
les vendanges d’après.
 
Ô sang d’ange,
il te faut les aider !
Aux sarments de ces vignes
il faut prêter serment.
 
Remonter à la source
de joie prémonitoire
déployée par les vins
sur les coteaux brûlés.

 

© Pierre-Michel SIVADIER
Extrait du recueil Frondes étourdies, Editions Stellamaris (2018)


Pierre-Michel Sivadier (1944-aujourd'hui)
Pianiste accompli, compositeur prolifique, Pierre-Michel Sivadier mène également une carrière d'auteur. Il a, entre autres, écrit et joué pour Christian Vander, Jane Birkin, Lambert Wilson ou James Ivory.
Chanteur expressif, créateur de nombreuses œuvres vocales et d’harmonisations polyphoniques, il se situe dans un univers poétique croisant le piano, la chanson, le jazz et les musiques improvisées. Il a publié fin 2023 son sixième ouvrage littéraire Désordres - Journal, pamphlets, poèmes. Son septième recueil Rien ne vaut le présent paraîtra au printemps aux éditions Maïa.
Autres textes :
Le printemps nous surprendra toujours...

C'est la trêve des confiseurs...
Comprendre les marées
Laper la paix...
→ Son site Internet
→ Sa page Facebook


Souvenirs sépia
Annick PIPAUD

y

Une photo retrouvée : une maison, un jardin.
Des vacances oubliées. Pourtant…
Réminiscences des souvenirs estompés.
Les volets grincent.
Le parquet craque.
Les cavalcades rugissent dans l’escalier.
La nappe à fleurs recouvre une petite table.
Le nounours attend docilement notre arrivée, chaque été.
Les odeurs de lavande, d’herbe coupée, de menthe foulée.
Le chien dort sous le tilleul.
La cueillette des mûres puis le temps des confitures gourmandes.
Je souris.


© Annick PIPAUD


Annick Pipaud
Professeur de mathématiques à la retraite mais artiste dans l'âme (peinture, photo, poésie...), Annick Pipaud écrit depuis son plus jeune âge. Elle a participé à plusieurs festivals de poésie.
→ Voir la liste de tous ses textes sur le site


Montmorin
Nathalie LAURO

y

Il y avait Mirko
le chien de l’oncle Émile,
le rosier de papy
Sur la terrace claire.


On jouait aux cailloux,
Aux poupées, aux oursons,
Et on soignait Zoé
La girafe éborgnée.


On riait, on chantait,
Des comptines d’été,
On courait à travers
Le pré ensoleillé.


Ça sentait la lavande,
Les blés juste coupés,
Le ruisseau dans la mousse,
Les tilleuls de juillet.


Les hivers étaient blancs
Quand la neige venait
Enchanter le décor,
Nos petits yeux brillaient.


Le silence givré
Déployait son manteau,
Les flocons cadencés
Dansaient sur les carreaux.


Si je ferme les yeux
Je revois tendrement
Tous ces instants précieux
Et clichés émouvants :


Le gros chardon-soleil,
Le bouquet de fleurs sèches,
Le cosy, le pétrin
Et les draps de flanelle,


Le fruitier ébréché,
Les rideaux en dentelle,
Les cassis et groseilles
Du jardin de Mireille,*


Mes copines Sophie,
Béatrice et Armande,
Le chat jaune Minet
De la cousine Rose*…


Ces charmants souvenirs
Aux saveurs de l’enfance,
Quelque peu effacés…


... Nos vacances alpines.


© Nathalie LAURO

* Montmorin dans les Hautes-Alpes
* Les cousines de mamie
© Photo : Montmorin - Nathalie Lauro


Nathalie Lauro
Ecrivaine, poétesse et artiste numérique, Nathalie Lauro travaille à partir de ses photos shootings. Elle aime photographier les villes comme Berlin, Londres, Paris, Hambourg et Amsterdam mais sa spécialisation reste le sud, la Méditerranée, le soleil, les couleurs, les lumières et la Dolce Vita. Elle est par ailleurs présidente de l'association Luna Rossa.
→ Voir tous ses textes sur le site
→ Découvrir son dernier recueil
→ Site de l'association Luna Rossa
→ Son site : http://www.nathalielauro.com/


Mon fils
Michel MIAILLEy

J’ai vécu trop tranquille
Bien loin des récompenses
Sans voir le temps qui file
Sans bousculer la chance
La chance
Simple passant du temps
Sans rêves de héros
Râleur ou bien content
J’étais presque de trop
Dans l’existence creuse
Loin des moments de gloire
Courant entre berceuse
Et mélodie qui foire

Mon fils
Tu me remplaceras
Mon fils debout
Tout ce que je n’ai pas pu faire
Joue-le même au poker
Comme un superbe roi un soldat

Je n’ai rien fait pour plaire
Par des charmes secrets
Tout m’était ordinaire
Sans honneur sans chiquet
Sans chiquet
Je n’ai pas tout reçu
Du monde et ses folies
Tant de fausses vertus
Des choses trop polies
J’ai suivi mon chemin
Ce parcours uniforme
D’un homme sans destin
Sans brillant haut-de-forme

Mon fils
Toi tu me grandiras
Mon fils
Debout dans ton aura
Là où iront tes pas
Où tu me survivras
Le cœur empli de certitudes
Tout là-bas

J’ai vu l’amour sincère
Sans grandes aventures
Les jours avec ta mère
Et le bonheur qui dure
Qui dure
Je n’ai pas été prince
Ni seigneur conquérant
Ma fortune fut mince
Mes coffres étaient trop grands
Je n’ai pas à rougir
Pourtant devant les hommes
Ma route va finir
Loin des chemins de Rome

Mon fils
Tous les deux mon fils
Mon fils
Dessus le temps qui glisse
Pourtant
On se ressemble
Dans un même édifice
Partageant
Tous les maux la douleur
Et les délices

Mon fils
On est pareils mon fils
Mon fils
L’âme et le cœur lisses
Mais ce que je n’ai pas pu faire
Fais-le sans mystère
Mon fils

© Michel MIAILLE
Chiquet : dérivé de chique, petite parcelle de quelque chose


Michel Miaille (1951-aujourd'hui)
Poète, auteur de sketches et de pièces de théâtre, Michel Miaille est retraité du Ministère de l'environnement et membre de la SACEM. Il a obtenu plusieurs prix de poésie, notamment avec avec des poèmes en langue provençale, et participe à des anthologies. Il a publié plusieurs recueils.
→ Voir la liste de tous ses textes sur le site


Dans l'attente fragile
Caroline BAUCHER

y

Dans l'attente fragile
De la brise agile,
La fleur avait espéré
Que dans le souffle du vent
Ses pétales s'envoleraient
Libérés, ils partiraient
Dans le mumure du temps.
Laissant dans leur sillage
Ce parfum de mélancolie,
Un sentiment de nostalgie
Que même le bavardage
Des oiseaux ne saurait panser.
Dans l'attente fragile
De la brise agile
La fleur, au souvenir murmuré
De cette pluie de pétales
Se fana dans le soir automnal. 


© Caroline BAUCHER


Caroline Baucher (1983-aujourd'hui)
Née en Roumanie, Caroline Baucher vit actuellement à Nice. Elle publie dans différents forums et revues de poésie en ligne.
→ Voir la liste de tous ses textes sur le site
→ Son site


Quiétude
Didier COLPIN

y

La mer dépouille l'âme
D’un souffle généreux
L’absolu la réclame
Dans des reflets ombreux
Autant que lumineux
Chantant toute la gamme…


Survient du large un vent
S’enfuient les artifices
Beauté de l’océan
Délivrant ses offices
Loin de ces édifices
Au dessin trop savant…


Saine est la thérapie
Elle sait ressourcer
Son bien-être irradie
Loin du temps courroucé
Habile à pourchasser
Sans aucune empathie…


Bien-être simple et vrai
-Pour vitrail un nuage-
Et sans forcer le trait
Sa caresse soulage
-Tous ces pas sur la plage
Sont d’un bienfait concret-…

 

© Didier COLPIN


Didier Colpin (1954-aujourd'hui)
Didier Colpin est né en 1954 à Laval, petite ville de l’Ouest de la France. Il a découvert l’écriture et la poésie « sur le tard », en 2010. Depuis elle est devenue sa compagne de tous les jours… La poésie est pour lui le contraire de Twitter et de sa rapidité. Elle est un arrêt sur image… Sur un émoi sur un trouble sur la Beauté sur la laideur. Le tout vu, ressenti à travers le prisme qu’est son regard où deux plus deux ne font pas toujours quatre…
Voir la liste de tous ses textes sur le site
→ Sa page Facebook



Dans la profondeur du soir...
Henri BARON

pixabay.com

You don’t know me from the wind

You never will, you never did

Leonard Cohen, The Future, chanson éponyme de l’album sorti en 1992


Dans la profondeur du soir
sous les écholalies du vent
guette une sourde folie
un vertigineux solstice
qui m'engouffre dans la nuit
rédemptrice


l'horizon s'amenuise
et la lumière faiblit
s’éteint


si tu es mère un jour
tu comprendras mes maux
le souci de l'instant
l'angoisse du demain
la plaie profonde
invisible
la déchirure éternelle
et l’amnistie qu’on implore en silence


derrière un long sentier
de contrebande et de larmes
entre vases et rochers
dans les replis de brume
les errances vaines
je retourne à ma source


demain j'endormirai ma colère
riverai le temps d'un souffle
les lèvres de mes blessures
mes derniers mots
seront d'amour et de paix


d’une dérive à l’autre
je t'aime


© Henri BARON
HB © Autobiopoèmes, Rever(s)


Henri Baron (1967-aujourd'hui)
Henri Baron nait à La Rochelle en 1967.
L’écriture (poétique ?) lui est, depuis l’enfance, essentielle.
Pour lui, il n’existe pas une et unique définition de la poésie :
« La poésie est multiple.
Elle peut être lue silencieusement, lue ou dite à voix haute, chantée, dansée,
essinée, peinte, sculptée, théâtralisée, filmée.
La poésie est partage.
Partage de l'invisible, de l'inaudible, des sens enfouis.
Partage d'un pont bâti entre deux rives ou deux êtres.
La poésie est sensitive, solitaire ou collective, mais libre. Elle ne se marchande pas.
Elle ne s'épluche pas, ni ne se décortique. Elle ne s'explique pas, ou s'explique mille et une fois, de mille et une façons.
Elle source au cœur de tous les arts, elle les ressource.
Partage de vie, partage vital.
Essencielle. »
Après des études d'Histoire, il choisit le métier d'instituteur. Devenu en parallèle directeur de centres de vacances et de loisirs puis formateur d’animateurs et d’animatrices, il aime transmettre et partager son amour de la poésie. En 1992, il crée avec son ami Texieros le texte du spectacle "L’enfance et le funambule" (première à Sauxillanges) : https://youtu.be/LgdrogzeSuY.
Instituteur en Charente-Maritime jusqu’en 2000, bajocasse d’adoption, il travaille désormais à Paris comme directeur d’école et partage régulièrement ses Autobiopoèmes, fruits de ses multiples rencontres sur le blog : https://henribaron.wixsite.com/grabouillages.
En 2022, Magali Mo met en image quelques-uns de ses grabouillages ("Vidéopoèmes") : https://www.facebook.com/mo.fotografia.
→ Voir la liste de tous ses textes sur le site
→ Sa page Facebook


Dans mon sentier
Etienne BUSQUETS

y

Dans le sentier de la rivière,
Au pays bleu des foins fanés,
Près du vieux pont, près du vieux lierre,
Un jour j'irai me retrouver.


Je ne sais pas par quel mystère,
Les dieux peut-être ont décidé,
Je sens là-bas l'appel des pères,
J'y suis heureux et adopté.


Dans le village de poussière
Aux murs épais d'ocres galets,
J'irai m'inspirer de la terre,
Elle encrera mes pauvres pieds.


Dans le sentier, la rue d'hier,
En bas du château du passé,
J'irai rejoindre mes grands-pères,
Et leur savoir, et leurs étés.


Dans ma maison, la porte ouverte,
Chacun pourra un brin causer,
De ses malheurs, ses découvertes ;
La tolérance est mon péché.


La vie sera bien différente,
Elle sera, un point c'est tout,
Dans la rigueur étincelante
De tout ce qui nous offre un goût.


Dans le sentier de la rivière,
Un jour j'irai chercher la paix,
Près du vieux pont, près du vieux lierre,
Près de mes amis retrouvés.


© Etienne BUSQUETS
Illustration de Michel ROMERO. Ce texte a obtenu le Prix Doëtte Angliviel à l'Académie de Toulouse en 1990. 


Etienne Busquets
Poète fénassol d'origine catalane (village de Lafenasse dans le Tarn), il est sociétaire des Amis de Jean Cocteau et membre des Poètes sans Frontières de Vital Heurtebize à Orange. Il a remporté plusieurs prix de poésie et collabore dans plusieurs revues et anthologies.
→ Voir la liste de tous ses textes sur le site
Son blog :
→ https://www.calameo.com/subscriptions/7446960


Communes racines
Arnaud MATTEI

y

Les cycles de la vie aux splendeurs féériques,
Vous content le soleil sous le ciel rugissant.
Naissance du monde, leur sève se levant
Sera à vous âmes, miracles et suppliques.


L’héritage laissé, les songes prophétiques,
Aux parfums éternels, d’une voix s’élevant
Chante les bonheurs au refrain enivrant
Chérubins, entendez leurs paroles magiques.


Vos mémoires perdues aux confins du passé,
Se souviennent parfois dans l’instant délaissé
D’un paradis bonheur aux communes racines.


A l’aube céleste, sous le regard des Dieux,
Ô mères fécondes, depuis les origines,
Vous êtes le futur des siècles merveilleux.


© Arnaud MATTEI


Arnaud Mattei (1962-aujourd'hui)
Né à Saint-Mandé d’une mère lorraine et d’un père corse, Arnaud Mattei travaille dans le Nord et vit en Moselle. Des quelques poésies de son adolescence retrouvées dans un cahier aux pages jaunies, à l'aube de ses soixante ans, il se sera passé un long moment de silence. Une absence que le vide du temps ne saurait combler. Il l’a brisée depuis quelques années pour reprendre la plume, afin de partager ses mots avec ceux qui voudront bien les écouter. Passionné de poésie et de philosophie, pour lui la vie est une goutte d’eau dans l’océan du temps, il veut en profiter à chaque seconde.
→ Voir tous les textes de l'auteur sur le site
→ Sa page Facebook


Sources fécondes
Michel KEUKENS

y

J’avais un maître comme on disait encore hier
qui nous faisait la classe quand j’étais encore bambin.
Vêtu été comme hiver de son vieux cache-poussière,
il pointait vers nous sa baguette quand on faisait le malin.


Dès que le bruit repérable de ses pas
légèrement décalés du fait de sa canne
annonçait de loin sa venue, on se tenait cois.
Faut dire qu’il en imposait, descendu de sa bécane.


Le doigt sur la bouche, on s’asseyait vite fait.
On sortait du cartable livres, crayons et cahiers
et on tremblait ne sachant qui il appellerait
pour venir au tableau notre fable du jour réciter.


A travers ses lorgnons, ses yeux aux sourcils épais
Fixaient son carnet de notes, son crayon entre ses doigts ténus.
La victime, les mains moites, son texte débitait,
Distrait par celui du fond qui le singeait, riait comme un bossu.


Le supplice terminé, il s’adonnait toujours à la même tâche :
de sa poche, il retirait sa pipe qu’il bourrait de tabac,
remettait l’élastique autour de sa blague, se lissait la moustache,
craquait une allumette, et expirait une volute de fumée.


Bien sûr l’école était mixte, mais les filles étaient studieuses
Nous regardaient à peine et jouaient les coquettes.
J’avais tout de même repéré de toutes la moins moqueuse.
J’adorais ses tresses : elle s’appelait Paulette.


Elle aussi, comme nous tous, venait à l’école à vélo :
Fallait la voir pédaler, jupe au vent, ignorant la peur.
Elle affichait un port de Reine, bref une vraie pro :
c’est normal son père du village était le facteur.


L’été on ouvrait les fenêtres qui donnaient sur la cour
Où un platane séculaire nous gratifiait de son ombre.
A la récré, c’était les billes : on n’était jamais à court,
Le but étant bien sûr d’augmenter toujours leur nombre.


Au son de la cloche, on renfilait nos tabliers gris souris
Repérables à leurs nominettes, qu’on avait mis pendre
Dans le fond du local aux crochets d’un vernis défraîchi
Avant de reprendre place et tremper nos plumes dans l’encre.


Parfois, avec Monsieur Topaze, on sortait quand le soleil était haut.
On partait, notre briquet en bandoulière, déambuler sur les chemins.
Notre Maître nous enseignait les fleurs, les insectes, les oiseaux.
Il savait tout sur tout, il connaissait même les mots latins.


Certes ces souvenirs se perdent et s’éparpillent au fil du temps.
Mais ils ont marqué mon enfance, illuminé ma jeunesse.
J’aurais voulu être un saumon pour remonter le courant,
Retrouver la source de ces beaux moments d’ivresse.


© Michel KEUKENS
Nominette : bandelette de tissu collée ou cousue sur un vêtement et portant le nom de son propriétaire.


Michel Keukens (1948-aujourd'hui)
Né en Belgique, Michel Keukens a 75 ans et travaille toujours à titre de traducteur de brevets européens depuis plus de 30 ans, après avoir effectué une carrière partielle d'enseignant en langues germaniques (néerlandais, anglais, allemand) dans le secondaire. Il s'est toujours senti bien dans le monde de l'écriture, un parfait dérivatif qui le change radicalement de son activité éminemment technique ! En fait, il aime bien "raconter des histoires".
→ Voir la liste de tous ses textes sur le site


Retourner à Garonne
Christian SATGÉ

y

Avec l’Autan qui te mord et se noie en ses vagues
Et mieux ses flots flous qui courent comme l’on divague,
Mon fleuve ne va jamais droit,
Simple détroit, las, par endroit.
Entre ses hautes rives et ses berges bien basses
Où nichent le héron, le canard et l’agasse,
Sous ses nues limpides où on aime à revenir,
Des moissons des hiers aux vendanges à venir,
Je veux retourner à Garonne,
Qui ronronne autant qu’elle rone.


Mon fleuve en ses garennes est roi,
On en use comme un charroi
Là où les briques rouges défient les nuages.
Partout son fil de l’eau vous invite au voyage,
Tissant ses océans sur trame d’horizon,
Brodés de fils d’espoirs, bordés de déraisons,…
Je veux retourner à Garonne,
Ma matrone,des fois mignonne
Avec ses remous nés des monts de par ici,
Sa bonté qui crée pays de cocagne aussi.


Avec un cours qui croit à crues au printemps qui pleure
Un lit qui louvoie en bois, s’y love ou nous leurre
Mon fleuve ne va jamais droit,
Simple détroit, las, par endroit.
Entre des étés lourds à assommer un somme
Et des hivers si doux qu’ils font chanter les hommes
Qui lors, en leurs soirées ou agapes en veillées
Faisaient morte saison tant plus ensoleillée,
Je veux retourner à Garonne,
Qui nous luronne ou nous larronne.


Mon fleuve court les champs, adroit,
Et, dans nos villes, oublie l’octroi,
Avec l’Autan qui nous mord et se noie en ses vagues
Et mieux ses flots fous qui courent comme l’on divague,
Tissant ses océans sur trame d’horizon,
Brodés de fils espoirs, bordés de déraisons,…
Je veux retourner à Garonne,
Aux eaux vaironnes et qui maronne,
Qui, dans la nuit qui tant tient ma plume éveillée,
Revient me hanter ou bien me désommeiller…


© Christian SATGÉ


Christian Satgé (1965-aujourd'hui)
Auteur prolifique, fabuliste et conteur éclectique, Christian Satgé est professeur d'histoire-géographie dans le département des Hautes-Pyrénées. Il a publié plusieurs recueils et plus d'une soixantaine de ses textes figurent dans Le Monde de Poetika. Son dernier recueil : Recadré paru chez 5 Sens Editions.
→ Voir la liste de tous ses textes sur le site
Son blog : → https://lesrivagesdurimage.blogspot.com/

→ Sa page Facebook


Héritage de rien
Claude DUSSERT

y

Comme je ne cherchais rien
Je l’ai enfin trouvé
Ce n’était pas grand-chose
Presque rien
Mais c’était déjà quelque chose.
Quelque chose de rien
Un petit chemin qui sentait la fougère
Au bout de ce chemin la maison de mon père
Elle était toujours là
Accrochée à son four à pain
Cachée derrière des bosquets efflanqués.
Sur le devant
Une immense véranda paradait
Bien qu’un peu défraîchie ;
Elle offrait ses baies aux oiseaux étourdis
Genre étourneaux
Qui venaient à tire d’aile
Se fracasser les ailes
Croyant que le passage était porte d’espace.
Des plumes et du sang parcheminaient les vitres.
La collision était brutale, inattendue
Et peu s’en relevaient.


À l’étage les volets dégondés
Claquaient au moindre vent
Et les carreaux des vitres
Aux abonnés absents
Ne reflétait plus les rayons du soleil.
La toiture éventrée
Ne comptait plus ses tuiles
Béait comme le sourire
D’un vieillard édenté.
Le parc quant à lui
Rayonnait de jachère
En un mot pour tout dire
Etait à l’abandon.
Ce constat fait
Je retournais sur mes pas.
Hériter est parfois véritable sinécure.


© Claude DUSSERT 


Claude Dussert (1947-aujourd'hui)
Poète, nouvelliste et pamphlétaire à ses heures, Claude Dussert est diplômé du Conservatoire d’Arts Dramatiques de Grenoble. Cadre commercial, il a créé sa société de communication « CBCD » en 1993 à Lyon. Il vit actuellement en Bourgogne, dans la région de Cluny. Éclectique dans ses lectures, sa passion pour la poésie l’a amené à être membre de nombreuses associations. Il participe activement à plusieurs anthologies de poésie et ouvrages collectifs ainsi qu’à des concours. Il a édité à compte d’auteur cinq recueils de poésie et un recueil de nouvelles.
→ Voir la liste de tous ses textes sur le site
→ Sa page Facebook


Citadine
Myriam CLOWEZ

y

J’étais surtout une citadine
Je l’étais et le suis encore
Je dus quitter ma ville divine
Et je pleurais de tout mon corps.


Là où j’étais invisible
Où je longeais les murs en paix
J’allais devenir une cible
Pour des filles mal intentionnées.


Elles me furent tout de suite hostiles
J’étais l’étrangère venue du Nord
Je pataugeais dans cette ville
Qui n’offrait aucun réconfort.


Vipère au poing menait sa meute
Mais je n’avais pas peur des loups
Je ne voulais pas qu’il y ait d’émeute
Il me fallait sortir du trou.


Je ne me plaignais à personne
Bien sûr cela les agaçaient
Et un matin gris d’automne
Elles furent prises dans leur filet.


Ma cadre était une personne
Humaine et pleine d’empathie
Et elle découvrit en somme
Des monstres dans son paradis.


Dès lors ma vie ne fut plus bancale
La fin du contrat approché
Elles ne purent plus faire de mal
Et elles ne purent plus jouer.


Je retrouvais ma chère ville
Celle de mes vertes années
Et j’oubliais ces êtres vils
Qui voulaient toutes me condamner.


Mon retour aux sources fut triomphal
Car tous mes amis m’attendaient
Je me pris une pluie magistrale
Souvenir de mon cher passé.


© Myriam CLOWEZ


Myriam Clowez (1961-aujourd'hui)
Retraitée du secteur sanitaire et social, Myriam Clowez a toujours aimé la poésie et c'est surtout à l'adolescence qu'elle a écrit de nombreux poèmes. Aujourd'hui, elle profite de son temps libre pour participer aux concours de poésies.
→ Voir la liste de tous ses textes sur le site 


Revenir à la source
Marie-José PASCAL

y

Revenir à la source puiser entre nos mains
L'eau non encore souillée qui abreuve
Les lèvres et les terres desséchées,
Revenir à la source cette unique richesse
Qui est un don du ciel quand il est partagé.
Dans la joie de l'offrande et dans un grand silence,
Essuyer d'un regard les larmes des plus déshérités,
Jusque-là oubliés sur leurs chemins de vie.


© Marie-José PASCAL


Marie-José Pascal (1952-aujourd'hui)
Marie-José Pascal écrit depuis l'enfance. Membre de l'association Le Capital des Mots, sociétaire de L'Académie internationale L'école de La Loire, elle a été publiée dans de nombreuses revues et anthologies : Humanisme Harmonie, Florilège, l'Etrave, Traversées, revue numérique des citoyens des lettres, anthologie Flammes vives, de l'Humain pour les Migrants. Elle a reçu le Prix Charles Péguy 2020. En 2021 : le prix Hubert Fillay 2021 pour le recueil « A deux voix » co-écrit avec Alain Morinais, le prix Jules Supervielle 2021 pour le recueil « Lanterne de papier », le prix Qualité des Arts. En 2023, le Prix Paul Verlaine et 2024, le Prix Jacques Prévert.
→ Voir tous ses textes sur le site
→ Sa page Facebook


Le parfum du retour
Jean-Luc ROS

y

Je reviens,
là où le vent parle en secret aux pierres,
où le mistral souffle son souffle chaud,
et où la garrigue chante sous les pieds nus.


Sous l'ombre des oliviers,
la terre s’épanouit dans un murmure de résine,
le thym et le romarin bruissent de leur parfum,
et le soleil broie l’air lourd comme une promesse.


Les collines s’étendent, érodées de lumière,
chaque pas réveille le chant des cigales,
et les mas en pierre, sous leur toit de tuiles,
murmurent des secrets oubliés, gardés par le temps.


Je redeviens la poussière qui se lève,
le souffle chaud qui se mêle à la terre,
je bois aux fontaines qui murmurent,
et je m’endormirai dans l’ombre des pins.


© Jean-Luc ROS


Jean-Luc Ros (1961-aujourd'hui)
Né en 1961 à Toulouse en Haute-Garonne, Jean-Luc Ros a eu un parcours professionnel marqué par la direction dans le domaine de l’Économie Sociale et Solidaire, il a toujours cherché à conjuguer engagement social et créativité. Poète éphémère, il navigue entre les mots avec une sensibilité qui s’épanouit dans le monde du théâtre, de la musique et de la poésie, des univers qu’il connaît depuis plus de vingt ans. Aujourd’hui, sa plume a trouvé refuge dans le Vaucluse à Monteux, proche d’Avignon…
Son implication dans le milieu culturel et philosophique se concrétise par un engagement actif au sein de l’association Eclosion13, dédiée à l'accompagnement des intermittents du spectacle et à la promotion de la scène locale. Il y œuvre avec des talents variés, allant des comédiens aux artistes de la musique, dans une démarche de soutien et de valorisation des acteurs du secteur.
Au fil des années, Jean-Luc Ros a été primé au concours de poésie des Hauts-de-France, et ses œuvres trouvent régulièrement leur place sur les réseaux sociaux, où il partage ses écrits avec un public fidèle. Il a également collaboré avec des artistes peintres, en partageant ses poèmes aux côtés de leurs créations visuelles. Aujourd’hui, il travaille sur un recueil de poésie, un projet personnel qui reflète sa passion pour la langue et la profondeur des émotions humaines. Parallèlement, il est en collaboration avec un photographe, mêlant ses poèmes à des clichés noir et blanc, un dialogue entre l’image et la plume qui nourrit son écriture.
Autre texte :
→ Femme, tu es...
→ Sa page Facebook


Je me souviens
Jean-Marc LAINELLE

y
Dans ma mémoire restent les bribes du passé.

Je me souviens de l'odeur du café dans l'escalier.
Des pas lourds de mon père sur les marches en bois,
De l'odeur de sa pipe, à la fumée bleue d'autrefois.


Je me souviens entendre parler les mineurs, le matin,
A l'heure où les paroles résonnent dans les corons.
Un au revoir à leurs femmes, après c'était le train
Qui les emmenait à la mine, abattre le charbon.


Je me souviens quand maman préparait les repas,
Entre deux buées de lessives, pas de temps pour soi.
Les postes de travail se succédaient avec les musettes,
Les enfants attendaient le retour du pain d'alouette.


Je me souviens de notre jardin avec son lilas violet,
Des rangées de légumes alignées comme nos volets.
Et le linge des buées volait au gré du vent de juillet,
Et les enfants couraient sur les terrils ensoleillés.


Je me souviens des veillées d'hiver près de la cuisinière,
Quand la neige avait recouvert de son épais manteau,
Les maisons alignées où nous faisions une ultime prière ;
«  Que notre papa mineur revienne, c'est le plus beau cadeau ».


De cette enfance restent des souvenirs d'une vie de labeur.
La mine nous a laissé ses lettres de noblesse du travail.
Et je me souviendrai toujours de ses yeux en pleurs,
Quand le trou noir emportait un frère dans ses entrailles.


Je me souviens de cette longue histoire de ma jeunesse,
Où la vie était belle dans la fraternité des hommes.
Où la différence n'existait pas, elle était une richesse.
Je me souviens, et j'en parle encore comme un psaume.


© Jean-Marc LAINELLE


Jean-Marc Lainelle (1951-aujourd'hui)
Né en 1951 à Haveluy, une petite commune du Nord de la France. Jean-Marc Lainelle se découvre une passion pour la poésie grâce à son travail au cœur de la forêt de Saint-Amand-les-Eaux.
Quelques petites notes en 1995 sur un calepin de bûcheron vont très vite prendre de l'ampleur et le faire devenir poète par la force des choses. Cette richesse poétique, qu’il partage autour de lui sans modération, lui vaut la reconnaissance dans de nombreux concours nationaux et internationaux de poésie. Il vient de publier son premier recueil : Poésie ma fidèle amie. En 2025, il remporte le Prix du Public au Concours
→ Voir la liste de tous ses textes sur le site
→ Découvrir son recueil
→ Sa page Facebook


Retour aux sources
Louis FONTAS

y

Toi, Homme, as-tu pensé que dans le corps de l'autre,
Du voisin comme du lointain, il existe un peu de toi-même ?
Toi qui n'es qu'une infime partie du Genre, depuis les
Origines quelles qu'elles puissent être affirmées ou
Contestées, tu es mêlé à d'autres, à leur chair, à leur
Souffle, à leur vie, à leur état de mort, de poussière,
De forces redistribuées dans le circuit de l'Univers.
Tu es une parcelle d'un tout fait d'énergie et de matière
Pensante.

Alors, vois-tu, c'est à partir de cela que l'on conçoit la
Solidarité, l'acte de bienveillance,le désir brûlant d'une
Paix, d'une quiétude, de la supportabilité, d'une
Coexistence efficace, vivante et vraie.
C'est dans tous ces concepts, dans ces atouts qui sont
Le fruit de l'existence, que la morale de l'existence et
Du bien-être trouve son fondement, sa raison d'être,
Sa réalité.

A part cela, tout n'est que rêve impalpable, virtuel,
Léger et informe, Tout se révèle comme une manifestation
Des forces de l'impur, de l'instable, de l'anti-vrai
Du néant absolu. Evite, Homme, cette déperdition, cette
Déprédation, cette dispersion de ton état, hors des
Limites que tu t'es tracées, et que la Nature t'impose.
Tu dois subir ta vie en l'organisant ; c'est là que
Réside ce que l'on appelle le Paradis, dans la façon
Que tu concevras de vivre en tenant compte de cet
Optimum de conditions qui régissent la condition
Humaine elle-même.

Il est capital pour toi et pour les autres qui sont
Egalement toi, que tu médites cela, sinon tu seras
Ton propre ennemi qui te conduira à la destruction
De tes intimes valeurs et de celles des autres qui
Sont faits à ton image. Perçois cette responsabilité
Et cette nécessité et tout ira bien, tout ira même
Beaucoup mieux.


© Louis FONTAS


Louis Fontas (1920-2011)
Licencié en droit, Louis Fontas est un ancien élève des T.P.E. (Paris), ancien assistant physicien au laboratoire de l’École Nationale des Ponts et Chaussées à Paris, ancien commissaire aux Enquêtes Économiques à Paris, ex-membre de l’Organisation Civile et Militaire. Il a passé la grande majorité de sa vie professionnelle à la Direction de Centres Hospitaliers à Paris et en Province. Il a été membre de plusieurs commissions nationales au Ministère de la Santé.
Il est Officier de l’Ordre National du Mérite et Officier des Palmes Académiques. Malgré une formation et une activité professionnelle à forte empreinte technique et scientifique, il est un poète authentique et il écrit depuis l’adolescence. Il a été lauréat du concours Poetika en 2011.
Autre texte :
→ La limace et l'escargot


Le moulin de mon coeur
Christine DUHAMEL

y

Dans les champs, au creux de ce moulin calmé,
Je te revoyais au temps des blés en pagaille,
Où comme les ailes de papillons, tu dansais
Au gré des vents épousant nos fiançailles.


Tes ailes tournoyaient en cadence, en chœur,
Où les rouages de nos vies grinçaient parfois,
Sous les coups pressants du meunier sans cœur,
Qui s’arrogeait le droit de rester sous ton toit.


Les vents dominants dominaient ton humeur,
Tant tu pouvais être le moulin d’un câlin,
Au sentier des ânes qui portaient ton labeur,
Tant tu te savais orgueilleux sous tes refrains !


Nos vies ont changé, tu es devenu le gardien
D’un lointain passé, où tu te refais une cure,
Sous l’effigie du touriste qui nous retient
Le temps d’un dimanche passé sous ton augure.


© Christine DUHAMEL


Christine Duhamel (1961-aujourd'hui)
Originaire du Nord de la France, le coeur de Christine Duhamel vibre dans l'écriture de poèmes. Elle a créé son blog pour exprimer les envies, les joies et les peines vécues au fil de ce monde si compliqué parfois mais plein de jolies surprises aussi.
→ Voir la liste de tous ses textes sur le site
→ Sa page Facebook
→ Son blog


Tristesse
Alphonse de LAMARTINE

y

Ramenez-moi, disais-je, au fortuné rivage
Où Naples réfléchit dans une mer d’azur
Ses palais, ses coteaux, ses astres sans nuage ;
Où l’oranger fleurit sous un ciel toujours pur.
Que tardez-vous ? Partons ! Je veux revoir encore
Le Vésuve enflammé sortant du sein des eaux ;
Je veux de ses hauteurs voir se lever l’aurore ;
Je veux, guidant les pas de celle que j’adore,
Redescendre en rêvant de ces riants coteaux.
Suis-moi dans les détours de ce golfe tranquille ;
Retournons sur ces bords à nos pas si connus,
Aux jardins de Cynthie, au tombeau de Virgile,
Près des débris épars du temple de Vénus :
La, sous les orangers, sous la vigne fleurie
Dont le pampre flexible au myrte se marie,
Et tresse sur ta tête une voûte de fleurs,
Au doux bruit de la vague ou du vent qui murmure,
Seuls avec notre amour, seuls avec la nature,
La vie et la lumière auront plus de douceurs.


De mes jours pâlissants le flambeau se consume,
Il s’éteint par degrés au souffle du malheur,
Ou s’il jette parfois une faible lueur,
C’est quand ton souvenir dans mon sein le rallume.
Je ne sais si les dieux me permettront enfin
D’achever ici-bas ma pénible journée :
Mon horizon se borne, et mon œil incertain
Ose l’étendre à peine au delà d’une année.
Mais s’il faut périr au matin,
S’il faut, sur une terre au bonheur destinée,
Laisser échapper de ma main
Cette coupe que le destin
Semblait avoir pour moi de roses couronnée,
Je ne demande aux dieux que de guider mes pas
Jusqu’aux bords qu’embellit ta mémoire chérie,
De saluer de loin ces fortunés climats,
Et de mourir aux lieux où j’ai goûté la vie.


© Alphonse de LAMARTINE
Extrait des Méditations (1820)


Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poète, romancier, dramaturge, historien et homme poltique français, Alphonse de Lamartine participa à la Révolution de février 1848 et proclama la Deuxième République. En octobre 1816, en cure à Aix-les-Bains, la rencontre avec une jeune femme mariée, Julie Charles, marque un tournant décisif dans la vie du poète mais leur histoire d'amour passionnée vire à la tragédie lorsque Julie, restée à Paris, meurt en décembre 1817. Alphonse de Lamartine écrit alors les poèmes des Méditations dont le recueil est publié en 1820 et obtient un succès fulgurant. Son lyrisme associé à une expression harmonieuse fait la qualité des poèmes de Lamartine, la partie la plus marquante de son œuvre étant constituée par les poèmes pleins de sensibilité inspirés par son amante Julie Charles, empreints des thèmes romantiques de la nature, de la mort, et de l'amour.
Autres textes :
Autour du  toit qui nous vit naître
Le moulin au printemps
La branche d'amandier
→ Sa biographie sur Wikipédia


Souvenir
Alfred de MUSSET

y

J’espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir
En osant te revoir, place à jamais sacrée,
O la plus chère tombe et la plus ignorée
Où dorme un souvenir !


Que redoutiez-vous donc de cette solitude,
Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main,
Alors qu’une si douce et si vieille habitude
Me montrait ce chemin ?


Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,
Et ces pas argentins sur le sable muet,
Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,
Où son bras m’enlaçait.


Les voilà, ces sapins à la sombre verdure,
Cette gorge profonde aux nonchalants détours,
Ces sauvages amis, dont l’antique murmure
A bercé mes beaux jours.


Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse,
Comme un essaim d’oiseaux, chante au bruit de mes pas.
Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse,
Ne m’attendiez-vous pas ?


Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères,
Ces larmes que soulève un coeur encor blessé !
Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières
Ce voile du passé !


Je ne viens point jeter un regret inutile
Dans l’écho de ces bois témoins de mon bonheur.
Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille,
Et fier aussi mon coeur.


Que celui-là se livre à des plaintes amères,
Qui s’agenouille et prie au tombeau d’un ami.
Tout respire en ces lieux ; les fleurs des cimetières
Ne poussent point ici.


Voyez ! la lune monte à travers ces ombrages.
Ton regard tremble encor, belle reine des nuits ;
Mais du sombre horizon déjà tu te dégages,
Et tu t’épanouis.


Ainsi de cette terre, humide encor de pluie,
Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour :
Aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie
Sort mon ancien amour.


Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie ?
Tout ce qui m’a fait vieux est bien loin maintenant ;
Et rien qu’en regardant cette vallée amie
Je redeviens enfant.


O puissance du temps ! ô légères années !
Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets ;
Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées
Vous ne marchez jamais.


Tout mon coeur te bénit, bonté consolatrice !
Je n’aurais jamais cru que l’on pût tant souffrir
D’une telle blessure, et que sa cicatrice
Fût si douce à sentir.


Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées,
Des vulgaires douleurs linceul accoutumé,
Que viennent étaler sur leurs amours passées
Ceux qui n’ont point aimé !


Dante, pourquoi dis-tu qu’il n’est pire misère
Qu’un souvenir heureux dans les jours de douleur ?
Quel chagrin t’a dicté cette parole amère,
Cette offense au malheur ?


En est-il donc moins vrai que la lumière existe,
Et faut-il l’oublier du moment qu’il fait nuit ?
Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste,
Est-ce toi qui l’as dit ?


Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m’éclaire,
Ce blasphème vanté ne vient pas de ton coeur.
Un souvenir heureux est peut-être sur terre
Plus vrai que le bonheur.


Eh quoi ! l’infortuné qui trouve une étincelle
Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis,
Qui saisit cette flamme et qui fixe sur elle
Ses regards éblouis ;


Dans ce passé perdu quand son âme se noie,
Sur ce miroir brisé lorsqu’il rêve en pleurant,
Tu lui dis qu’il se trompe, et que sa faible joie
N’est qu’un affreux tourment !


Et c’est à ta Françoise, à ton ange de gloire,
Que tu pouvais donner ces mots à prononcer,
Elle qui s’interrompt, pour conter son histoire,
D’un éternel baiser !


Qu’est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine,
Et qui pourra jamais aimer la vérité,
S’il n’est joie ou douleur si juste et si certaine
Dont quelqu’un n’ait douté ?


Comment vivez-vous donc, étranges créatures ?
Vous riez, vous chantez, vous marchez à grands pas ;
Le ciel et sa beauté, le monde et ses souillures
Ne vous dérangent pas ;


Mais, lorsque par hasard le destin vous ramène
Vers quelque monument d’un amour oublié,
Ce caillou vous arrête, et cela vous fait peine
Qu’il vous heurte le pied.


Et vous criez alors que la vie est un songe ;
Vous vous tordez les bras comme en vous réveillant,
Et vous trouvez fâcheux qu’un si joyeux mensonge
Ne dure qu’un instant.


Malheureux ! cet instant où votre âme engourdie
A secoué les fers qu’elle traîne ici-bas,
Ce fugitif instant fut toute votre vie ;
Ne le regrettez pas !


Regrettez la torpeur qui vous cloue à la terre,
Vos agitations dans la fange et le sang,
Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière :
C’est là qu’est le néant !


Mais que vous revient-il de vos froides doctrines ?
Que demandent au ciel ces regrets inconstants
Que vous allez semant sur vos propres ruines,
A chaque pas du Temps ?


Oui, sans doute, tout meurt ; ce monde est un grand rêve,
Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin,
Nous n’avons pas plus tôt ce roseau dans la main,
Que le vent nous l’enlève.


Oui, les premiers baisers, oui, les premiers serments
Que deux êtres mortels échangèrent sur terre,
Ce fut au pied d’un arbre effeuillé par les vents,
Sur un roc en poussière.


Ils prirent à témoin de leur joie éphémère
Un ciel toujours voilé qui change à tout moment,
Et des astres sans nom que leur propre lumière
Dévore incessamment.


Tout mourait autour d’eux, l’oiseau dans le feuillage,
La fleur entre leurs mains, l’insecte sous leurs pieds,
La source desséchée où vacillait l’image
De leurs traits oubliés ;


Et sur tous ces débris joignant leurs mains d’argile,
Etourdis des éclairs d’un instant de plaisir,
Ils croyaient échapper à cet être immobile


Qui regarde mourir !
Insensés ! dit le sage. Heureux dit le poète.
Et quels tristes amours as-tu donc dans le coeur,
Si le bruit du torrent te trouble et t’inquiète,
Si le vent te fait peur ?


J’ai vu sous le soleil tomber bien d’autres choses
Que les feuilles des bois et l’écume des eaux,
Bien d’autres s’en aller que le parfum des roses
Et le chant des oiseaux.


Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres
Que Juliette morte au fond de son tombeau,
Plus affreux que le toast à l’ange des ténèbres
Porté par Roméo.


J’ai vu ma seule amie, à jamais la plus chère,
Devenue elle-même un sépulcre blanchi,
Une tombe vivante où flottait la poussière
De notre mort chéri,


De notre pauvre amour, que, dans la nuit profonde,
Nous avions sur nos coeurs si doucement bercé !
C’était plus qu’une vie, hélas ! c’était un monde
Qui s’était effacé !


Oui, jeune et belle encor, plus belle, osait-on dire,
Je l’ai vue, et ses yeux brillaient comme autrefois.
Ses lèvres s’entr’ouvraient, et c’était un sourire,
Et c’était une voix ;


Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage,
Ces regards adorés dans les miens confondus ;
Mon coeur, encor plein d’elle, errait sur son visage,
Et ne la trouvait plus.


Et pourtant j’aurais pu marcher alors vers elle,
Entourer de mes bras ce sein vide et glacé,
Et j’aurais pu crier :  » Qu’as-tu fait, infidèle,
Qu’as-tu fait du passé ?  »


Mais non : il me semblait qu’une femme inconnue
Avait pris par hasard cette voix et ces yeux ;
Et je laissai passer cette froide statue
En regardant les cieux.


Eh bien ! ce fut sans doute une horrible misère
Que ce riant adieu d’un être inanimé.
Eh bien ! qu’importe encore ? O nature ! ô ma mère !
En ai-je moins aimé?


La foudre maintenant peut tomber sur ma tête :
Jamais ce souvenir ne peut m’être arraché !
Comme le matelot brisé par la tempête,
Je m’y tiens attaché.


Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent;
Ni ce qu’il adviendra du simulacre humain,
Ni si ces vastes cieux éclaireront demain
Ce qu’ils ensevelissent.


Je me dis seulement :  » À cette heure, en ce lieu,
Un jour, je fus aimé, j’aimais, elle était belle.  »
J’enfouis ce trésor dans mon âme immortelle,
Et je l’emporte à Dieu !


© Alfred de MUSSET


Alfred de Musset (1810-1947)
Alfred de Musset est unp poète et dramaturge français, de la période romantique. A 19 ans, il publie son premier recueil qui révèle son talent et commence à mener une vie de dandy débauché. Sa première comédie, « La Nuit Vénitienne » est un échec et il renonce provisoirement à la scéne. Pendant sa relation mouvementée avec George Sand, il écrit son chef-d'oeuvre « Lorenzaccio » en 1834 et sa pièce à succès « On ne badine pas avec l'amour. » Dépressif et alcoolique, à 30 ans, il écrit de moins en moins, mais il est élu à l'Académie française en 1852. Mort à 46 ans, à peu près oublié, il est redécouvert au XXè siècle et considéré comme l'un des grands écrivains romantiques français.
→ Voir la liste de tous ses textes sur le site
→ Sa biographie sur Wikipédia


m

Votre poème ici
Envie de rejoindre l'anthologie permanente ? N'hésitez pas à m'envoyer vos textes avec une mini biographie (facultatif mais conseillé !).
Voir les détails ici.
Courriel : poetika17(arobase)gmail.com
-------------
Nota : chaque mois, un nouveau thème ! Les textes publiés font l'objet d'une demande par courriel à leurs auteurs respectifs (sauf certains auteurs-compositeurs-interprètes), ou bien ils sont envoyés spontanément par les poètes. Et sauf mention spéciale, toutes les images proviennent de pixabay.com.
------------
Le Monde de Poetika
Site & Revue de poésie en ligne
N° ISSN : 2802-1797

Sur le même thème
Déluge sur Berlin de Nathalie Lauro
Deux barques sur l'étang de Roland Muhlmeyer
Clapotis d'été de Elea Laureen
Jeux d'eau de Annick Pipaud

→ Citations autour du thème

La vraie nouveauté nait dans le retour aux sources.
Edgard MORIN


Le renouveau a toujours été d'abord un retour aux sources.
Romain GARY


On s'en va parce qu'on a besoin de distration et l'on revient parce qu'on a besoin de bonheur.
Victor HUGO


Le retour aux sources reste pour toujours le moment le plus appréhendé.
Christ KIBELOH


→ Archives

Le chant de l'eau (avril 2025)
Le sacre du printemps (mars 2025)
Cupidon est passé par là ! (février 2025)
Envies d'ailleurs (janvier 2025)
Rêve de neige (décembre 2024)
Quel monde pour demain ? (novembre 2024)
La cuisine en poésie (octobre 2024)
Regards sur la poésie (septembre 2024)
Un air de vacances (juillet-août 2024)
Paris capitale du monde (mai 2024)
Tout le bleu du ciel... (avril 2024)
Battements d'Elles (mars 2024)
Le travail c'est la santé ! (février 2024)
Les douze mois de l'année (janvier 2024)
L'écritoire de Noël (décembre 2023)
A l'ombre des héros (novembre 2023)
L'absence (octobre 2023)
Patrimoine en poésie (septembre 2023)
Orage et tempête (juillet août 2023)
Au fil de l'eau (juin 2023)
La poésie animalière (mai 2023)
La poésie voit rouge (avril 2023)
La poésie fait son cirque (mars 2023)
Les couleurs du temps (février 2023)
La musique au coeur (janvier 2023)
Balade en forêt (décembre 2022)
La vie est une fête... (novembre 2022)
Vieillir... (octobre 2022)
Pluie d'automne (septembre 2022)
Amitie(s) (juillet-août 2022)
Femmes (juin 2022)
Un vent de liberté (mai 2022)
Silence, ça pousse ! (avril 2022)
Poésie voyageuse (mars 2022)
Crêpe ou gaufre ? (février 2022)
La liste de mes envies (janvier 2022) C'est cadeau ! (décembre 2021)
Blanc comme neige (novembre 2021)
La nuit, la lune et les étoiles (octobre 2021)
L'enfance (été 2021)
Soleil, plage et farniente...
Le printemps à ma porte
La poésie gourmandise
L'écritoire de Noël (Fêtes de fin d'année)
Le souffle de l'automne (automne 2020)
Plein été ! (juillet-août 2020)
La Fête des Mères (juin 2020)